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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 18 mars 2024

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L’école « sanctuaire » ? Plutôt l'école laïque, tout simplement...

L’école sanctuaire n’est pas nouvelle, héritée de l’Ancien Régime. « Sanctuaire républicain » dit la ministre : vraiment ? L’école laïque n’est pas une école dogmatique, mais celle de la pensée critique à l’égard des dogmes officiels comme « les savoirs fondamentaux » ou « les groupes de niveau ».

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L’actuelle ministre de l’éducation vient de déclarer sur X : « l’Ecole est un sanctuaire républicain[1]». Elle n’est sans doute ni la première ni la dernière à le faire tant c’est une incontournable du discours éducatif ministériel que cette référence à la sanctuarisation de l’école. Ainsi, en février 1996, c’est le ministre François Bayrou qui déclarait à l’Assemblée nationale : « Pendant des décennies, on a plaidé pour une école ouverte. (...) Il faut prendre une position inverse, travailler à resanctuariser l'école[2] »

En quoi cette idée, qui peut paraître à première vue frappée au coin du bon sens, est-elle un piège ?

Elle l’est pour plusieurs raisons, qui remontent aux origines de notre école, quand celle-ci était aux mains des ordres religieux avec pour mission l’inculcation du dogme catholique, de l’amour de la "vraie foi" et du roi. Dire que l’école est un sanctuaire, c’est dire qu’elle est close sur elle-même, fermée au monde extérieur, peu soucieuse des enjeux environnementaux, politiques, sociaux et sociétaux qui, par leur bruit et leur fureur, nuiraient  à « la bonne transmission des savoirs ».

Et les savoirs eux-mêmes, qu’on y transmet aux élèves plus qu’ils ne se les approprient, sont aussi une affaire de dogme : le dogme des "savoirs fondamentaux", le dogme de la hiérarchie des disciplines scolaires ne se discutent pas. De la même façon, l’évaluation des élèves est fondée sur le dogme de la moyenne trimestrielle et de la moyenne générale. Ce dogmatisme n’épargne pas la formation professionnelle des enseignants. Quand ils se forment dans leur discipline d’enseignement future, ils en approfondissent les contenus d’enseignement établis, mais il n’est pas fréquent qu’on les entraîne à étudier l’histoire des savoirs scolaires, la manière dont les disciplines scolaires, et notamment la leur, se sont configurées, en faisant des choix éliminant certains objets possibles d’enseignement au détriment d’autres. Choix qui ne sont aucunement « innocents », mais relèvent bien souvent d’une vision historiquement située. Il en va ainsi, par exemple, de la sous-représentation de la diversité littéraire francophone dans l’enseignement du français, très prioritairement focalisé sur la littérature hexagonale, et, au sein de cette littérature, de la hiérarchie établie entre les « grands classiques » et les autres. 

Si l’on veut instituer une société franco-centrée, respectueuse des hiérarchies héritées du passé dans le domaine de la culture comme dans celui de l’organisation sociale, il faut effectivement considérer l’école comme un sanctuaire plus dogmatique que républicain. Si, en revanche, on attend de l’école qu’elle prépare celles et ceux qu’elle forme à s’inscrire dans la construction d’une société responsable et solidaire, ouverte sur la diversité des cultures et attachée au respect du vivant, il est grand temps de séculariser l’école et de laïciser les savoirs scolaires. Rompre avec toute forme de dogmatisme, cultiver la pensée critique chez les élèves comme chez les futurs enseignants, y compris à l’égard des savoirs enseignés, et pas seulement à propos des « fake news », telle est la condition d’une école carrefour des savoirs qui fait de la pensée critique une pratique essentielle au développement des esprits et à l’approfondissement d’une société démocratique. Mais à l’heure du « choc des savoirs », fondé sur les « enseignements fondamentaux », du renforcement des notes dans l’évaluation des élèves, de la transformation du brevet en examen d’entrée en seconde, on peut mesurer combien les dogmes ont la vie dure et que la laïcisation des savoirs scolaires n’est pas pour demain.

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[1] « L’École est un sanctuaire républicain : elle doit protéger chacun, dans son intégrité physique et dans sa liberté de conscience, pour permettre et garantir la bonne transmission des savoirs ».

https://twitter.com/NBelloubet/status/1765047304468221985

[2] https://www.lemonde.fr/archives/article/1996/02/08/m-bayrou-veut-faire-de-l-ecole-un-sanctuaire-contre-la-violence_3701923_1819218.html

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