Le conseil supérieur des programmes, présidé par Alain Boissinot, achève d’examiner le 22 mai la proposition qu’il va soumettre au ministre concernant le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, prévu par la loi de refondation de l’école du 8 juillet 2013.
Entre la version du 11 juillet 2006 du socle commun de connaissances et de compétences, instauré par la loi du 23 avril 2005, et sa description par cette loi, on avait pu mesurer une remarquable évolution : de cinq compétences en 2005, on était passé à 7 en 2006, avec l’ajout des compétences civiques et sociales et de l’autonomie et l’initiative aux cinq initialement retenues : maîtrise de la langue, pratique d’une langue vivante étrangère, principaux éléments de mathématiques et culture scientifique et technologique, maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication, culture humaniste.
Après le 5 à 7 de 2006, le 7 à 5 de 2014 constitue-t-il un retour en arrière à 2005 ou a-t-il une autre signification ?
Premier constat : les 5 domaines du socle commun 2014[1] ne reprennent pas les 5 de 2005. Le premier domaine, les langages fondamentaux, concerne au moins maîtrise de la langue, langue étrangère, éléments mathématiques, techniques usuelles de l’information et de la communication. Le deuxième, apprendre à apprendre, manifeste la volonté d’expliciter ce que trop souvent les enseignements considèrent comme implicite : durant toute la scolarité obligatoire, il faudra, « dans tous les enseignements et espaces de la vie scolaire », procéder à un apprentissage explicite et programmé de cette compétence essentielle pour la formation tout au long de la vie. La France inscrit ainsi dans le socle commun une compétence clé préconisée par le parlement européen et le Conseil européen dès 2006[2]. Le troisième, former la personne et le citoyen, concerne au moins les compétences sociales et civiques, l’autonomie et l’initiative, et, bien entendu, l’enseignement moral et civique instauré par la loi de refondation. Le quatrième, l’homme et le monde : les sciences et les techniques, fait de la culture scientifique et technique un domaine à part entière du nouveau socle. Le cinquième, l’activité humaine dans un monde en évolution, concerne à la fois la culture humaniste (sens de la continuité, des mouvements et ruptures historiques, situation dans l’espace et le temps) mais implique aussi un nouveau dessein pédagogique, avec « la création d’œuvres personnelles exploitant les divers champs de la production artistique et culturelle». Sans doute a-t-on trouvé aussi avec cet intitulé de domaine un consensus qui permette d’intégrer sans le nommer « l’esprit d’initiative et d’entreprise », préconisé comme compétence clé pour l’éducation et la formation tout au long de la vie par le parlement européen et le Conseil en 2006[3].
Si l’on compare avec la recommandation européenne de 2006 la version 2006 et la version 2014 du socle commun français, on voit apparaître des lignes d’évolution intéressantes.
Une surprise d’abord : c’est au moment où le socle commun devient un socle commun de connaissance, de compétences et de culture que le terme de culture disparaît de l'énoncé des différents domaines. Cela signifie sans doute, si l’on est optimiste, que la culture est partout, puisqu’elle n’apparaît spécifiquement dans aucun des noms des cinq domaines.
La disparition d’un domaine consacré au numérique peut constituer une deuxième surprise, compte tenu de la place que lui a accordée la loi de refondation de juillet 2013. La lecture optimiste de cette disparition, c’est d’observer que désormais le numérique fait partie des langages fondamentaux, au même titre que la langue ou les mathématiques, qu’il n’est plus seulement considéré comme une technique, mais comme un langage.
La version 2014 se déprend ensuite fortement d’une reprise quasi terme à terme des compétences clés européennes, tout en reprenant justement celle qui avait été écartée dans la version 2006 : apprendre à apprendre. De ce point de vue, cela peut traduire une inflexion importante pour l’école française, jusqu’ici plus soucieuse d’apprentissage de connaissances que de l’acquisition des compétences permettant d’apprendre. Mais il faut tempérer cette avancée par le constat que les termes d’autonomie et d’initiative disparaissent des noms de domaine : il y avait là l’affirmation d’un objectif d’accès à l’autonomie et la responsabilité à la fin de la scolarité obligatoire, qui risque de perdre de sa force, alors que la responsabilisation progressive des collégiens est une condition de la réussite de leur formation en lycée et en lycée professionnel. Et comme on sait que le self governement, l’empouvoirement[4] des élèves sont par nature étranger à l’organisation scolaire française, on peut redouter l’effacement de cet objectif.
En effet, la version 2014 se prête également à une lecture ambiguë. Quatre sur cinq des différents domaines composant le nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture, peuvent être considérés comme relevant d’apprentissages académiques pour lesquels les enseignements disciplinaires dans leur forme actuelle offrent un cadre satisfaisant. Et on peut redouter, que, si cette lecture prévalait, le domaine apprendre à apprendre soit réduit à la portion congrue, car, c’est bien connu, dans les disciplines, on n’a pas le temps, il faut prioritairement boucler le programme. L’apprendre à apprendre serait alors essentiellement remis dans le second degré aux professeurs-documentalistes et aux conseillers principaux d’éducation, selon une division du travail traditionnellement établie.
On attend avec intérêt la proposition définitive issue du CSP. Ce sera, comme la version de 2006, et comme c’est inévitable en régime démocratique, une version de compromis entre des visions différentes de l’école. Mais les termes du compromis permettront de percevoir le point d’équilibre provisoirement atteint.
[1] On s’appuie ici sur la version soumise par son président au CSP le 15 mai 2014.
[2] http://europa.eu/legislation_summaries/education_training_youth/lifelong_learning/c11090_fr.htm
La recommandation 2006/962/CE retient huit compétences clés : communication dans la langue maternelle, communication en langues étrangères, compétence mathématique et les compétences de base en sciences et technologies, compétence numérique, apprendre à apprendre, compétences sociales et civiques, esprit d'initiative et d'entreprise, sensibilité et l'expression culturelles
[3] Recommandation 2006/962/CE du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, sur les compétences clés pour l'éducation et la formation tout au long de la vie [Journal officiel L 394 du 30.12.2006].
http://europa.eu/legislation_summaries/education_training_youth/lifelong_learning/c11090_fr.htm
[4] emprunt au français du Québec, puisque ce sont les québécois qui ont inventé ce mot en français pour décrire une visée éducative pour laquelle, en France, le vocabulaire est significativement pauvre.