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Billet de blog 19 octobre 2016

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Violences dans les lycées : une histoire ancienne, mais un contexte nouveau?

Les violences dans les collèges et lycées ne datent pas d’hier, mais les réalités sociales, culturelles, territoriales et scolaires ont bien changé. Les études internationales montrent que la lutte contre la violence gagne plus à s’appuyer sur le climat scolaire et le recul des inégalités scolaires que sur une approche exclusivement sécuritaire.

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L’histoire de l’éducation retient que la violence dans les collèges et les lycées est une histoire ancienne. Un article de Philippe Marchand, paru en 2008, traite de La violence dans les collèges au XVIII° siècle[1], un autre, publié dans la même revue par Agnès Thiercé en 2001, examine Révoltes de lycéens, révoltes d’adolescents au XIX° siècle[2].

Elle retient aussi le fait que cette violence n’est pas exceptionnelle. Philippe Marchand rapporte ainsi la situation au 18e siècle : « Dans les premiers jours de février 1757, un élève du collège du Quesnoy, s’estimant insulté par un de ses condisciples, le frappe d’un coup de couteau mortel. En octobre 1758, au collège de Bavay, un élève injustement accusé d’avoir été à l’origine d’un tumulte se voit condamner au fouet ; ses camarades protestent, le condamné frappe le supérieur du collège d’un coup de couteau sans gravité et s’enfuit ». Quant à Agnès Thiercé, la première phrase de son article est éclairante : « Plus de deux cents mutineries d’élèves secouent les collèges et les lycées du XIX° siècle ». On le voit, ces violences sont à la fois individuelles et collectives, dans leurs origines (un conflit interpersonnel, un régime disciplinaire violent) comme dans leurs conséquences (un acte individuel, une révolte collective).

Bien évidemment, il ne s’agit pas de réduire l’actualité au passé, ni d’établir une équivalence entre le supérieur du collège frappé d’un coup de couteau en 1758 à Bavay, ou le maître d’internat assailli à coup de chaises et victime d’une tentative d’étranglement en 1874 à Bastia et l’actualité récente de 2016 :  l’enseignant  roué de coups par deux agresseurs dans une rue d’Argenteuil devant ses élèves au retour d'une séance d'EPS, le professeur d’électricité frappé au visage par deux élèves à Calais, au lycée Coubertin, ou la proviseure de Tremblay en France agressée à coups de pieds et de poings devant son lycée.

Ce rappel historique a du moins un premier intérêt : monter que nous ne vivons pas une dégradation sans précédent aucun des relations des élèves à leurs maîtres et à l’école, et nous indiquer quelques pistes utiles à l’explication partielle d’actes inadmissibles : l’âge de l’adolescence est celui de la révolte contre les autorités quelles qu’elles soit, rejet qui peut être particulièrement violent.

Il en a un second, c’est de questionner, comme le fait Eric Debarbieux dans son dernier ouvrage publié[3], « l’approche uniquement sécuritaire qui est idéologique, dangereuse par son renforcement des pratiques d’exclusion et inadaptée à la réalité de la violence quotidienne».

Les historiens de l’éducation mettent en avant dans leurs analyses, l’importance des châtiments corporels au 18e siècle, et le régime disciplinaire extrêmement violent au 19e siècle, les élèves dénonçant le « despotisme » de leur principal, ou réclamant de ne pas être « traités comme des chiens ». On mesure alors le chemin parcouru depuis : les conditions disciplinaires ont bien changé depuis la fin du 20e  siècle, et l’introduction du droit dans les établissements scolaires, avec notamment la reconnaissance de droits des élèves, en 2000[4].
Mais qu’apporte l’ouvrage dirigé par Eric Debarbieux, qui rassemble les contributions d’un panel de chercheurs, spécialistes internationaux de la violence scolaire ?

D’une part, on observe qu’un enseignant a 4 fois plus de risque d'être victime de violence dans les établissements défavorisés que dans les plus favorisés. Il y a donc bien un lien, désormais, entre inégalités sociales, culturelles, territoriales et violence à l’école. Si l’école ne peut pas résoudre à elle seule cette question, les autorités gouvernementales et les collectivités territoriales sont directement concernées. Un syndicaliste ensiegnant observe, dans un entretien avec Marie Piquemal dans Libération[5] : « Tous les établissements concernés par les violences sont des lycées professionnels ou polyvalents (filières générales, technologiques et professionnelles mélangées). Quoiqu’en disent les politiques, la voie professionnelle n’est pas l’égale de la voie générale, les moyens ne sont pas les mêmes(…) Le rapport du Cnesco (le Conseil national d’évaluation des politiques éducatives) a montré de manière éclatante ces inégalités. Il ne faut pas s’étonner ensuite qu’il y ait des actes de violence, nos élèves sont parfaitement réalistes sur leur condition et le peu de perspectives à la sortie de leur bac pro ».

D’autre part, toutes les études convergent sur un point : lutter contre la violence scolaire, dans un établissement scolaire, ce n’est pas prioritairement multiplier les portiques de détection et les caméras de vidéo-protection, c'est d’abord œuvrer à l’amélioration du climat scolaire, dans la classe comme dans l'établissement. Le slogan « tolérance zéro » est un slogan facile, mais, outre qu’il est inapplicable, il ne fait que renforcer ce qu’il prétend éradiquer.

Dans un entretien publié par Le Café pédagogique[6], Eric Debarbieux indique : « Qu'on porte plainte contre des agressions lourdes est une évidence. Mais quand dans la vie quotidienne des établissements on multiplie les exclusions, on contribue à éloigner l'école un certain nombre de populations qui se durcissent en réaction. C'est contre productif. C'est ce que les professeurs me disent sur le terrain : plus on punit et plus les enfants deviennent de plus en plus durs.  Voilà un sujet où les expériences internationales sont particulièrement intéressantes pour nous.» Il ajoute, à propos de la situation française : «Il y a une réalité criminologique qu'il faut retenir : quand vous êtes seul et que vous n'avez pas un collectif d'adultes pour vous protéger vous n'y arriverez pas. Le travail d'équipe est essentiel. Or on est encore parfois dans un refus du collectif dans les établissements. Cette année par exemple, je constate que les conflits d'équipe ont fortement augmenté dans les établissements. Les difficultés à travailler ensemble sont encore plus fortes. La notion d'équipe reste controversée dans les écoles en France». Et il livre une donnée qui fait réfléchir : «le nombre de répondants adultes qui disent avoir été harcelés par des collègues ou la hiérarchie : 14% ! Ce n'est pas rien. C'est même un chiffre supérieur à celui des élèves !»

Prendre en compte la complexité de tous ces éléments aide à percevoir les difficultés multiples qu’une politique effective de lutte contre la violence à l’école doit contribuer à résoudre. A l’heure où le débat politique pourrait être tenté de se nourrir de propositions simplistes face à des faits d’actualité, ne les perdons pas de vue.


[1] Histoire de l’Education, 118, 2008,  Marchand, Philippe, La violence dans les collèges au XVIII° siècle,

https://histoire-education.revues.org/546

[2] Histoire de l’Education, 89, 2001, Thiercé, Agnès, Révoltes de lycéens, révoltes d’adolescents au XIX° siècle,

https://histoire-education.revues.org/842

[3] Debarbieux, Eric, (sous la direction de) L'école face à la violence. Décrire, expliquer, agir, Armand Colin, collection U, 2016

[4] Décret n° 2000-620 du 5-7-2000. JO du 7-7-2000, modifiant le décret n°85-924 du 30 -8- 1985 relatif aux établissements publics locaux d’enseignement http://www.education.gouv.fr/bo/2000/special8/proced.htm

[5] http://www.liberation.fr/france/2016/10/17/agression-d-une-proviseure-a-tremblay-en-france-le-climat-est-tendu-depuis-la-rentree_1522514

[6] http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2016/10/19102016Article636124590590979367.aspx

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