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Billet de blog 20 février 2017

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Laïcité: comment déjouer son instrumentalisation électoraliste?

Les semaines qui viennent ne manqueront certainement pas d’être marquées par des interventions instrumentalisant à des fins électoralistes la laïcité. La Lettre ouverte contre l’instrumentalisation politique de la laïcité est une contribution bienvenue pour éclairer les enjeux réels de la laïcité dans la France d’aujourd’hui.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les éditions de l’Aube viennent de publier une Lettre ouverte contre l’instrumentalisation politique de la laïcité[1], recueil de dix-sept textes écrits par dix-huit hommes et femmes d’horizons différents, d’Etienne Balibar à Geneviève Zoïa.

On pourrait être surpris de l’adjectif politique caractérisant l’instrumentalisation de la laïcité, celle-ci étant essentiellement un principe politique s’appliquant à l’autorité publique. Le texte de la quatrième de couverture ne reprend pas cette qualification du titre mais parle plus justement d’ « utilisation frauduleuse », d’accaparement « à des fins électoralistes ».

Mais, au delà de cette dispute sémantique, on voit bien à quoi les auteurs pensent. Il n’est qu’à se rappeler l’égarement du débat politique autour du burkini l'été 2016 en France pour savoir de quoi il retourne.

Les textes composant cette Lettre ouverte apportent des éclairages complémentaires sur la question. Nous n’en évoquerons ici que quelques uns.

Eclairage historique, comme celui de Christiane Vollaire, qui présente la laïcité comme « une histoire de double langage », en rappelant « la corrélation historique entre laïcisation et colonisation », et le lien entre émancipation proclamée et aliénation de fait.

Eclairage psychosociologique, comme celui de Pascal Tisserant qui distingue des conceptions de la laïcité en lien avec les idéologies de la diversité, opposant ainsi laïcité d’assimilation et de ségrégation à laïcité d’individualisation et d’intégration. Des responsables politiques de premier plan, un président de la République, un premier ministre, ont porté une conception de la laïcité d’assimilation, qui revitalise le lien entre laïcisation et colonisation.

Eclairage par le droit, comme celui apporté par Pierre Merle, qui rappelle l’article premier de notre constitution[2], et interroge ce que nous entendons par « égalité devant la loi » et « respecter toutes les croyances », en s’appuyant sur des traités et la jurisprudence internationale. Le comité des droits de l’homme de l’ONU a ainsi considéré que l’exclusion d’un lycéen sikh refusant de quitter son turban violait le pacte international relatif aux droits civils et politiques[3]  dont la France est signataire. De ce point de vue la loi de 2004, interdisant le port de signes ostensibles d’appartenance religieuse aux élèves  des établissements publics peut être considérée comme  en contradiction avec ce pacte international, voire l'article 18 de la déclarartion universelle des droits de l'homme[4] et en grande tension avec l’article premier de notre constitution.

Eclairage philosophique comme celui d’Edgar Morin explorant « le trou noir de la laïcité », et appelant à la ressourcer. La laïcité, selon lui, c’est la problématisation, le questionnement qu’il faut porter contre les évidences impensées de la technoscience,  la parcellisation des existences, les dégradations écologiques et morales, le règne arrogant et obscurantiste des experts, les régressions démocratiques. C’est promouvoir une démocratie cognitive.

Eclairage des sciences sociales, comme celui de Béatrice Mabilon-Bonfils, qui, à partir d'un propos de Pierre Bourdieu en 2002, la question patente –faut-il ou non accepter le port du voile dit islamique ? – occulte la question latente – faut-il accepter en France les immigrés nord-africains ?,  revisite tous les débats et controverses actuels provoqués par une spirale mortifère de surenchère prétendument laïque. Elle appelle à relire l’article 18 de la déclaration universelle des droits de l’homme[4].

Eclairage comparatiste, comme celui portant sur l’hôpital et l’école, apporté par Laurent Visier et Geneviève Zoïa, qui mettent en lumière le contraste dans l’appréhension actuelle de la laïcité dans ces deux institutions et avancent quelques pistes d’explication du phénomène.

C’est un outil précieux que cette Lettre ouverte, car l’instrumentalisation électoraliste d’une prétendue laïcité ne nous sera certainement pas épargnée dans les débats et interventions des semaines précédant l’élection présidentielle.


[1] Sous la direction de Christine Delory-Momberger, François Durpaire et Bétarice Mabilon-Bonfils.

[2] « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.

La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales ».

http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/la-constitution-du-4-octobre-1958/texte-integral-de-la-constitution-du-4-octobre-1958-en-vigueur.5074.html

[3] http://www.eods.eu/library/UN_ICCPR_1966_FR.pdf

[4] « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites »

http://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/

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