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Billet de blog 20 juin 2012

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Semaine de 5 jours, congés d’automne : l’éducation en mode gouvernement ou en mode gouvernance?

De Napoléon 1er, fondant l’Université impériale  dont il confie la charge à un grand maître[1], à Jacques Chirac, président de la République, rappelant en 2003, en conseil des ministres, que « l’école est le ciment de la Nation », l’école est devenue en France une affaire d’Etat[2] et le demeure encore.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De Napoléon 1er, fondant l’Université impériale  dont il confie la charge à un grand maître[1], à Jacques Chirac, président de la République, rappelant en 2003, en conseil des ministres, que « l’école est le ciment de la Nation », l’école est devenue en France une affaire d’Etat[2] et le demeure encore.

Il est bon d’avoir cette donnée à l’esprit pour saisir ce qui s’est joué à deux reprises récemment, à la suite d’annonces faites par le ministre de l’éducation nationale, numéro deux du gouvernement, qui ont conduit le premier ministre à préciser la position de celui-ci.

Lisons Le Monde daté du 18 mai [3]:

Vincent Peillon a-t-il fait son premier faux-pas ? En annonçant jeudi 17 mai sur France Inter que la semaine de classe repasserait à cinq jours pour les enfants du primaire dès la rentrée 2013, aurait-il manqué à sa promesse de concertation ? Jouerait-il déjà au ministre omnipotent? C'est ce que sous-entend Ségolène Royal. Jeudi après-midi cette dernière a taclé l'ancien porte-parole de sa campagne de 2007, estimant qu'une telle décision méritait "concertation" et devait être "arbitrée par le Premier ministre". Volant au secours du numéro 3 du gouvernement, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a répondu vendredi sur France Inter que la "concertation" aurait bel et bien lieu. Recadrage indirect de Vincent Peillon ? Pas vraiment puisqu'il nuance tout de suite le périmètre de ces discussions. "La question des rythmes a été abordée maintes et maintes fois (... ) et on a vu que cette question pénalisait les enfants dans leur réussite", a ajouté le Premier ministre.

Lisons Le Parisien du 14 juin [4]:

Nouveau recadrage, après que le ministre de l'Education nationale, Vincent Peillon, a annoncé, ce jeudi, un allongement de quatre jours des vacances de la Toussaint. Comme il l'avait fait sur la semaine de cinq jours, le chef du gouvernement, Jean-Marc Ayrault, a assuré dans l'après-midi, à Angers, qu'il ne s'agissait là que d'une «piste» et que la concertation «commençait».

Ce qui se joue ici n’est pas, pour l’essentiel une affaire de tempérament, de ministre omnipotent ou de premier ministre plus soucieux de concertation.

Il s’agit plutôt d’un profond changement, amorcé depuis le milieu des années quatre-vingts, qui s’est traduit par une modification constitutionnelle, en mars 2003, quand il a été précisé à l’article premier de notre constitution à propos de notre « République indivisible, laïque, démocratique et sociale » que « son organisation est décentralisée ».

Depuis 1985, c’en est fini des collèges nationalisés et des lycées d’Etat, qui sont devenus des établissements publics locaux d’enseignement. Les bâtiments, leur construction, leur entretien, et, depuis le début des années 2000, les personnels chargés de leur entretien sont à la charge des collectivités départementales et régionales, comme ceux des écoles sont à la charge des municipalités depuis le 19e siècle.

Plus largement, des contrats éducatifs locaux sont passés entre l’Etat et les collectivités, partant de l’idée que  « l’enfant tirera d’autant mieux parti de son temps scolaire et de son temps libre que ceux-ci seront mieux articulés et équilibrés. Le désir de connaître et d’être ensemble se nourrit volontiers d’activités culturelles, sportives ou ludiques, menées dans le cadre du temps libre, qui peuvent être l’occasion pour chaque enfant de se découvrir des talents et contribuer à la réussite de sa scolarité. La fatigue, le désœuvrement, l’offre d’activités trop éparpillées ou trop coûteuses, sont autant d’obstacles à l’égalité d’accès de tous au savoir, à la culture, au sport. » Un comité de pilotage départemental des contrats éducatifs locaux associe les représentants des institutions suivantes : association des Maires,  Conseil Général, services de l’Etat (Inspection académique, DDASS, DDE, DRAC) CAF, FAS[5].

Cela signifie que toute mesure modifiant l’équilibre entre le temps scolaire et le temps non scolaire a un impact sur les collectivités et associations impliquées dans les activités culturelles, sportives, ludiques proposées aux jeunes. 

En annonçant le passage à la semaine de 5 jours à l’école, ou l’allongement de 4 jours des vacances d’automne, le Ministre s’est certes légitimement appuyé sur les propositions faites par la conférence national sur les rythmes scolaires réunie en 2011 par son prédécesseur Luc Chatel. Il s’est ainsi conformé au principe de continuité de l’Etat, et au bon usage républicain. Mais, s’il n’est pas nécessaire en effet de repartir de zéro sur les rythmes scolaires, il convient de tenir compte du fait que l’éducation nationale n’est plus pilotée exclusivement par l’Etat, mais est entrée en régime de gouvernance, ce qui suppose, pour chaque décision impliquant divers acteurs, d’envisager avec eux la meilleure façon de mettre en œuvre la mesure envisagée.

L’éducation n’est plus l’affaire exclusive de l’Etat, ni l’objet d’une cogestion entre l’Etat et les représentants des personnels. Elle est devenue un domaine où s’impose la gouvernance, à l’interne comme à l’externe.

A l’interne, il n’y a plus un seul poste de pilotage ministériel, imposant ses décisions à tous les échelons hiérarchiques inférieurs. Le poste de pilotage ministériel définit les grandes orientations permettant d’atteindre les objectifs définis par la représentation nationale. Il doit désormais, pour que ces objectifs soient atteints, passer contrat avec les académies qui elles mêmes passent contrat avec les établissements publics locaux d’enseignement.

A l’externe, le poste de pilotage gouvernemental ne peut pas imposer des décisions aux collectivités territoriales ni aux divers acteurs économiques et sociaux. Les communes, départements, région, ont leur propre politique éducative, que l’Etat doit prendre en compte et sur laquelle il s’appuie, par exemple quand un département ou une région équipent les collégiens ou les lycéens d’un ordinateur portable. L’Etat doit donc s’engager dans un processus continu de coopération et d’accommodements entre des intérêts divers et conflictuels. Dans le domaine du temps hors scolaire, il doit bien entendu s’entendre avec les représentants des communes, des départements, des régions, mais aussi avec les représentants des parents et les acteurs du tourisme, par exemple, dont la force est connue.

Les deux annonces de Vincent Peillon, et les réactions du premier ministre à leur propos, illustrent bien ce que nous vivons : le passage d’une culture du commandement administratif par l’Etat à une culture de l’accommodement, d’une culture de gouvernement à une culture de gouvernance de l’éducation.


[1] L’Université impériale est fondée sur une ligne hiérarchique descendante avec les académies, à la tête de laquelle Napoléon 1er  place un recteur. « Chaque académie sera gouvernée par un recteur. Le recteur reçoit des ordres du ministre, les transmet aux établissement et rend compte de leur exécution ». Ce système fonctionne jusqu’aux années 1950.

[2] Voir Christian Nique, Comment l’Ecole est devenue une affaire d’Etat (Paris, Nathan, 1990), Jean-Michel Chapoulié, L’Ecole d’Etat conquiert la France, deux siècles de politique scolaire (Presses universitaires de Rennes, 2010)

[3] http://www.lemonde.fr/ecole-primaire-et-secondaire/article/2012/05/18/semaine-de-5-jours-premier-faux-pas-ou-affichage-du-style-peillon_1703654_1473688.html

[4] http://www.leparisien.fr/societe/rythmes-scolaires-peillon-allonge-de-4-jours-les-vacances-de-toussaint-14-06-2012-2048266.php

[5] http://www.ville.gouv.fr/IMG/pdf/pel_cle02544f.pdf

voir aussi le volet éducatif des contrats urbains de cohésion sociale http://www.education.gouv.fr/bo/2007/2/MENE0603257C.htm

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