Jean-Pierre Veran (avatar)

Jean-Pierre Veran

formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Abonné·e de Mediapart

806 Billets

1 Éditions

Billet de blog 20 octobre 2022

Jean-Pierre Veran (avatar)

Jean-Pierre Veran

formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Abonné·e de Mediapart

Le travail collaboratif, scanner de l’institution scolaire dans le monde

Culture coloniale, cultures autochtones, culture scolaire, cultures disciplinaires, culture numérique, culture civique : les cultures sont au coeur du dernier dossier de la RIES, intitulé « travailler en collaboration à l'école ».

Jean-Pierre Veran (avatar)

Jean-Pierre Veran

formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le dernier numéro -90- de la Revue internationale d’éducation de Sèvres (RIES) consacre son dossier au travail en collaboration à l’école [1]. La question a été prise au sens large par les coordonnateurs du dossier, Patrick Rayou et moi-même, concernant la collaboration entre élèves comme au Mexique, en France ou au Rwanda, entre enseignants comme en Suède, entre élèves et enseignants comme au Japon, entre enseignants et autres personnels comme au Québec ou à Genève, entre établissements scolaires comme à Shanghaï, entre l’école et d’autres institutions comme en Catalogne.

L’avantage de ce choix éditorial, c’est qu’il permet de scanner le fonctionnement global de l’institution scolaire, et d’en percevoir, ici où là, les dynamiques porteuses, et les obstacles qui se dressent sur le chemin du travail en équipe.

Utilement, le premier article du dossier, écrit par Sylvain Connac, apporte une distinction précieuse entre collaboration et coopération. Mettre un groupe d’élèves en face d’une consigne en lui demandant d’y répondre, c’est courir le risque de voir les élèves se répartir les rôles : celui qui sait plus que les autres qui prend la direction, ceux qui l’assistent, ceux qui sont indifférent et celui qui perturbe le fonctionnement du groupe. En fin de course, l’élève qui a le meilleur niveau a renforcé ses connaissances, et les autres ont peu ou n’ont rien appris. La pédagogie coopérative vise à encourager les élèves à agir et apprendre avec, par et pour les autres, avec l’intention d’un bénéfice individuel et collectif. La confrontation d’idées, la diversification des personnes ressources, l’émulation et le soutien mutuel au sein du groupe font d’un groupe hétérogène un cadre de travail coopératif enrichissant et non un cadre de travail où les écarts peuvent se creuser.

On comprend alors comment, malgré les nombreux penseurs français de la coopération à l’école, la forme scolaire française est peu favorable à la coopération, ce qui explique la limite de la pratique des pédagogies coopératives dans nos classes. 

Le dossier, à travers les diverses contributions, permet de pointer des obstacles au travail coopératif ainsi que des leviers qui permettent de le réaliser.

Du côté des obstacles, il y a sans doute d’abord la limite des injonctions descendantes à la collaboration, comme on le voit entre personnels enseignants et de santé au Québec et à Genève, chaque métier défendant son identité professionnelle. Limite aussi des « bonnes pratiques » importées d’ailleurs, comme le montre l’article japonais à propos des « lesson studies » déclinées de manière appauvrie dans d’autres pays. Limites encore des croyances établies comme celle selon laquelle le numérique favoriserait naturellement la coopération entre élèves, ce que dément l’étude conduite dans un lycée de Mexico. Limites énormes de l’imposition d’une culture éducative coloniale à des peuples autochtones qui ont une culture de la coopération longtemps mise sous le boisseau, comme on le voit en Nouvelle-Zélande ou au Rwanda.  Obstacles des cultures disciplinaires différentes des enseignants, comme le montre l’étude suédoise, selon qu’ils ont une relation verticale ou horizontale aux savoirs. Obstacle enfin, en creux, de l’absence notable des parents dans les différents articles du dossier, alors que la coéducation est apparemment à l’ordre du jour international. Si l’on ne connaît pas cela, on risque l’échec d’une stratégie de collaboration.

Du côté de leviers, on peut en  dégager quatre de ce dossier.

D’abord, la mise en commun entre entités qui pourraient vivre séparément : il en va ainsi du travail commun entre établissements différents pour favoriser l’amélioration de la qualité générale de l’éducation à Shanghaï, ou avec l’exemple catalan du service communautaire proposé aux lycéens. Ce service est fondé sur l’échange générationnel : alphabétisation numérique des plus âgés avec la réalisation d’activités comme la création d’un livre numérique de recettes, le soutien pour l’usage du téléphone portable ou des sessions pour maîtriser la réalisation de photographies avec le smartphone. On vise ainsi deux objectifs : un sens éducatif de l’agir pris en compte par l’école dans le parcours des lycéens et un engagement pour la transformation sociale.

Ensuite, la prise en compte d’éléments de formation qui ne se réduisent pas aux « fondamentaux ». C’est le cas avec le travail collaboratif des enseignants et des enfants: lesson study et tokkatsu [2] au Japon. Dans la préparation commune des leçons (lessons studies) sont mobilisés des savoirs disciplinaires, mais aussi non disciplinaires comme : à quoi ressemblerait un avenir désirable [par exemple, vivre en paix, en harmonie avec la nature, etc.] ? Quel rôle nos enfants seront-ils amenés à jouer dans la société future ? De quelles qualités pourrait-on vouloir doter les enfants de demain pour tendre vers cet avenir ? Quelles sont les forces et les faiblesses de nos élèves ? Que devons-nous faire ? Comment devons-nous enseigner ?

Autre levier essentiel, la volonté de ne pas se payer de mots, mais de regarder les conditions toujours contextualisées de la coopération. C’est le cas avec la planification et préparation collégiale des cours en Suède, avec l’analyse précise des conceptions des acteurs devant collaborer, par-delà les incitations formelles au travers de deux enquêtes. L’une explore et compare les perceptions des enseignants et des chefs d’établissement s’agissant de la préparation collégiale des cours et de ses conditions de mise en œuvre. L’autre compare cette préparation dans deux disciplines et préconise la prise en compte de la didactique des matières comme fondement d’une approche durable et pérenne visant à améliorer l’apprentissage des élèves.

Enfin, il importe d’assumer l’histoire de l’institution, d’avoir recours aux racines pour affronter les défis contemporains. Le concept de Tuakana-teina, manière traditionnelle d’enseigner et d’apprendre chez les Maoris entre des personnes âgées et des plus jeunes ou entre frères et sœurs d’âge différent a été adopté à l’école pour désigner des rapports multiples comme dans l’apprentissage entre pairs, l’enseignement mutuel entre professeurs et élèves, entre élèves aux capacités différentes, etc. Le concept incite à mettre l’accent sur le partage de ses forces, chacun sachant qu’il aura besoin des autres à un moment donné dans un domaine où il est en difficulté. Ainsi, un élève pourra aider un camarade à résoudre un problème de mathématiques puis bénéficier de son concours pour apprendre à nager. En Nouvelle-Zélande-Aotearoa, l’école est ainsi devenue partie prenante de la construction d’une société biculturelle.

Au fond, comme le souligne l’introduction du dossier, celui-ci pose des questions à la culture scolaire, dont il apparaît qu’elle ne peut rester étrangère aux diverses cultures qui constituent l’héritage de l’humanité.

______________________________________________

[1] https://journals.openedition.org/ries/

[2] Le tokkatsu, qui figure dans les plages horaires des programmes d’enseignement dès l’école élémentaire, fait de la vie scolaire une composante des temps d’apprentissages, fondée sur l’expérience de la prise de décisions collectives, de la recherche du consensus,  de la mise en œuvre concrète des décisions prises, participant ainsi à la formation psycho-sociale et civique des élèves.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.