Cet énième rapport de l’inspection générale -l’IGESR désormais- sur les chefs d’établissement du second degré[1] vaut sans doute d’abord par le choix des citations placées en exergue, qui, qu’elles datent de la fin du 19e siècle ou du milieu du 20e, mettent l’accent sur la responsabilité et l’autorité du proviseur d’une part, et d'autre part sur sa liberté très restreinte, « étouffée sous les règlements » selon M. Ribot, promoteur de la réforme de l’enseignement secondaire en 1902, ou conduisant à demander « moins d’uniformité, moins de bureaucratie, un peu de liberté » selon M.Mottiroz en 1899. Est-ce à dire que de la fin du 19e au premier quart du 21e siècle, nihil novi sub sole ?
On est friand en tout cas de lire ce rapport de 2024 en se demandant ce qu’il va apporter de neuf au constat et aux perspectives. On se souvient en effet d’un événement marquant cette année : une tribune de chefs d’établissement face à la réforme du choc des savoirs imposant aux collèges, en contradiction avec l’autonomie des établissements publics locaux d’enseignement, l’organisation en groupes de niveaux dans les enseignements de français et de mathématiques[2] : les signataires de cette tribunre estiment que les contraindre à mettre en place le choc des savoirs, « avec une pression à peine dissimulée », revient à leur demander de « renier » leur « éthique », leur « déontologie » et « les principes républicains » auxquels ils sont attachés.
Bien entendu, le rapport daté de septembre fait silence sur ce phénomène pourtant révélateur d’une crise particulièrement aiguë. Mais le sommaire du rapport est éloquent, marquant de manière constante l’écart entre l’intenté et le réalisé : « attractivité du métier en baisse », « formation statutaire spécifique qui n’existe pas », « gestion du corps qui ne contribue pas à la transparence des processus », « des dispositifs de pilotage et d’animation qui ne réussissent pas à traiter l’ensemble des problématiques », « une évaluation des chefs d’établissement qui cherche encore son modèle et son rythme », « une formation continue rarement inscrite dans la professionnalité des chefs d’établissement », « des perspectives de carrière floues et peu accompagnées », « des misions entre théorie et réalité », « une charge de travail inexorablement croissante », « un ressenti qui questionne le sens du métier », le plateau de la balance est lourdement chargé du côté négatif. Seul point positif posé d’entrée de jeu dans le rapport : « les chefs d’établissement figurent parmi les fonctionnaires de l’État les mieux rémunérés », ce qui pourra pour le moins laisser songeurs les proviseurs les mieux rémunérés, à la tête de lycées où exercent des professeurs de classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) dont le traitement net de certains est supérieur au leur.
On attend alors les préconisations des rapporteurs. Il y en a douze. Certaines sont on ne peu plus vagues, comme la 4 : « Organiser une plus grande transparence sur la diffusion des postes vacants ou susceptibles de l’être ». D’autres désarmantes, comme la 11 : « Veiller à la qualité de l’accueil physique des chefs d’établissement dans les services académiques ». On retiendra la 10, qui entrouvre une perspective d’évolution : « Organiser le collectif de travail pour mieux répartir la charge actuellement dévolue au chef d’établissement au sein de l’équipe de direction élargie, dès lors qu’elle est complète, voire avec l’équipe enseignante ». C’est le seul endroit où les inspecteurs généraux considèrent le chef d’établissement comme partie prenante d’un collectif de travail, collectif qui ne se limite pas à l’équipe de direction élargie mais, audace remarquable des rapporteurs, pourrait, à l’extrême limite soulignée par le « voire », inclure « l’équipe enseignante ». Le rapport consacre une ligne et demie aux conseils pédagogiques : « Les conseils pédagogiques, très implantés, permettent, normalement, de mettre au cœur de l’établissement la réflexion pédagogique des équipes ». On conviendra que c’est assez peu. Mais c’est mieux que pour le conseil de vie collégienne ou lycéenne qui n'est pas cité, et le comité d’éducation à la santé à la citoyenneté et à l’environnement, seulement mentionné une fois parce que le chef d’établissement le préside. Cela tient sans doute à la focale des rapporteurs : plus intéressés par les relations du chef d’établissement avec sa hiérarchie académique et ministérielle, que par son inscription dans un établissement scolaire où divers conseils et comités permettent, si on sort d’une conception strictement fondée sur le commandement, de faire du collège ou du lycée, établissement autonome depuis 1985, une organisation apprenante, où l’on apprend mutuellement les uns des autres, et où le ou la chef d’établissement est reconnu(e) non pas simplement parce qu’il ou elle est le chef, mais parce qu’il ou elle sait faire vivre le collectif, les conseils, comités et commissions[3] qui permettent à chacune et chacun de trouver sa place, d’être entendu, écouté et reconnu, et à la politique pédagogique et éducative de l’établissement public local d’être co-construite. On pointera le grand absent de ce sommaire : le mot même de politique, pas politique publique, pas politique de la ville, mais politique pédagogique et éducative d’établissement, en est absent. Elle n’est citée qu’en note de bas de page, page 27, sans que les rapporteurs utilisent eux-mêmes cette notion. Comme si ce n’était pas là que résidait le sens profond du métier de chef d’établissement, censé « impulser et conduire» cette politique selon le protocole d’accord de novembre 2000[4]. Réfléchir sur ce qu’est « être chef d’établissement aujourd’hui » en omettant cette donnée essentielle depuis un quart de siècle, c’est sans doute se priver, au moment des recommandations, d’une précieuse clé aidant à sortir de la crise actuelle, et renforcer l’idée qu’en un siècle et demi, finalement, rien n’a changé.
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[1] https://www.education.gouv.fr/etre-chef-d-etablissement-dans-le-second-degre-aujourd-hui-415397
[2] https://cafepedagogique.net/2024/04/12/appliquer-le-choc-des-savoirs-perte-de-sens-et-reniement-de-lethique-pour-34-chefs-detablissement/
[3] https://boutique.berger-levrault.fr/conseils-et-commissions-dans-les-etablissements-publics-locaux-d-enseignement-17414.html
[4] https://www.education.gouv.fr/botexte/sp1020103/MENA0102675X.htm