La fiche du débat sur la refondation de l’école intitulée Des missions redéfinies pour des personnels reconnus indique :
« À l’heure où notre École rencontre des difficultés pour faire réussir tous les élèves, et notamment ceux les plus en difficulté, la problématique de la redéfinition des métiers de l’éducation est essentielle. Quelles sont aujourd’hui les missions des enseignants et des personnels de l’éducation ? Comment promouvoir et accompagner des pratiques professionnelles renouvelées dans l’intérêt de la réussite des élèves et du bien-être des personnels »
Il est donc question des « métiers de l’éducation », dont fait partie le métier d’enseignant, puis, plus loin,, des « missions des enseignants et des personnels de l’éducation ».
Comme la fiche n’indique pas « missions des enseignants et des autres personnels de l’éducation », on pourrait craindre de voir ici maintenue une logique exclusive qui sépare l’enseignement de l’éducation.
Actuellement, dans le second degré, on distingue en effet personnels d’enseignement et personnels d’éducation. Cette distinction est un héritage du lycée napoléonien, où la classe était confiée à des professeurs et les études à des personnels (maîtres d’étude puis répétiteurs) placés sous l’autorité d’un surveillant général à partir de 1819. Les surveillants généraux, dont les missions évoluent au cours du 20e siècle, cèdent la place aux conseillers d’éducation et conseillers principaux d’éducation à partir de 1970 seulement. Les maîtres d’internat et surveillants d’externat, placés sous leur autorité, demeurent, jusqu’à leur remplacement progressif, à partir de 2003, par les assistants d’éducation.
Pour beaucoup de parents, d’élèves, d’enseignants, si les appellations ont changé, les fonctions sont demeurées identiques, et « le maintien de l’ordre et la discipline » restent le cœur de métier des personnels d’éducation. Les professeurs enseignent en classe, les personnels d’éducation surveillent la permanence, la cour, les couloirs.
Pour lourd qu’il soit, cet héritage est en décalage avec la réalité vécue aujourd’hui par les personnels et les élèves. Le conseiller principal d’éducation est un collègue précieux pour le professeur principal : ses entretiens avec les élèves contribuent à l’émergence d’un projet personnel de formation ; pour le professeur de discipline : sa connaissance des familles facilite le dialogue avec elles ; pour le professeur documentaliste : ses échanges avec les élèves délégués, les élus lycéens peuvent renforcer le rayonnement du centre de connaissances et de culture et enrichir l’expression des élèves dans le journal en ligne, ses interventions au conseil pédagogique permettent de faire le lien entre activités d’enseignement et activités de vie scolaire. De son côté, le conseiller principal d’éducation ne peut pas agir de manière pleinement efficace, s’il ne travaille qu’avec les assistants d’éducation. Il coopère avec ses collègues professeurs pour mener à bien ses missions. Des professeurs interviennent dans les actions qu’il anime et coordonne, comme la formation des délégués. Le suivi de l’assiduité, la prévention de l’absentéisme reposent sur un travail d’étroite collaboration avec tous les professeurs. CPE et professeurs interviennent de façon concertée en heure de vie de classe, dans les divers parcours proposés aux élèves : parcours civique, parcours de découverte des métiers et des formations, parcours de formation à la culture de l’information, parcours artistique et culturel.
Le débat sur la refondation de l‘école note fort opportunément que « parce que les besoins des élèves ne sont pas les mêmes d’une décennie à l’autre, les métiers de l’éducation, et particulièrement celui d’enseignant, ont évolué au fil des années.
Les enseignants et les personnels intègrent déjà, et depuis longtemps, des pratiques professionnelles qui ne sont pas toujours intégrées dans les textes réglementaires : travail en équipe, autonomie pédagogique, lien avec les familles, soutien aux projets éducatifs, suivi personnalisé des élèves… »
Dans ce contexte, que pourrait-on attendre d’une politique de refondation ?
Sans doute pas qu’elle persiste dans l’approche juxtapositive des enseignements et de l’éducation comme pourrait le laisser penser l’appellation des futures écoles supérieures du professorat et de l’éducation où, si l’o n’y prenait garde, pourrait être maintenue, dès la formation initiale et le début de la professionnalisation, une séparation dommageable.
Sans doute pas non plus qu’elle raye d’un trait de plume ce que peut –être la valeur ajoutée de la présence d’experts de la relation éducative au sein de chaque établissement, pour peu que ces experts comme leurs collègues enseignants aient partagé ab initio une culture professionnelle commune du travail d’équipe où chacun prend sa part du travail éducatif en pleine connaissance des responsabilité de chacun.
Sans doute qu’elle crée les conditions les plus favorables au dépassement des clivages anciens, en transformant le cadre spatio-temporel lui-même qui les cristallise.
Restaurer pleinement un temps d’étude, pendant lequel les élèves apprennent, cherchent, produisent en préparation et prolongement des activités conduites en classe mais aussi dans le cadre d’une vie scolaire où ils acquièrent autonomie et responsabilité. Cette restauration en sera possible que si les heures d’enseignement stricto sensu pèsent moins lourd dans la journée. Placer ce temps d’étude sous la responsabilité partagée des enseignants et des personnels d’éducation, en gardant pour objectif que progressivement les élèves soient capables de self-government (Langevin-Wallon, 1946-47).
Repenser les espaces scolaires pour offrir les meilleures conditions de réalisation à ce temps d’étude. En finir, par exemple, avec des salles de permanence dépourvues de sens où des élèves attendent que se passent les « trous d’emploi du temps » eux aussi dépourvus de sens éducatif. En finir avec l’absence d’espace suffisant dédié au foyer socio-éducatif en collège et à la maison des lycéens en lycée professionnel et en lycée général et technologique. Concevoir des centres de connaissances et de culture où opèrent auprès des élèves, non pas les seuls professeurs-documentalistes, mais professeurs et personnels d’éducation agissant en concertation. Renforcer la mutation en cours des salles des professeurs multifonctions en espaces bien équipés, dédiés au travail d’équipe, au travail personnel, mais aussi à la détente.
Réaffirmer que chaque établissement se dote d’une politique pédagogique et éducative cohérente, où les actes sont en conformité avec les apparences formelles. Il ne suffit pas procéder à l’élection d’un conseil de la vie lycéenne et de se croire ainsi en conformité avec les textes réglementaires. Il faut réunir régulièrement ce conseil et le consulter sur l’organisation du temps et des espaces, mais aussi sur l’accompagnement personnalisé, les échanges linguistiques et culturels, l’information liée à l’orientation par exemple. Il ne convient pas d’avoir un règlement intérieur élaboré une fois pour toutes, mais d’associer élèves et parents à son élaboration continue, à partir de principes éthiques partagés : faire référence sans les citer aux valeurs de la République ne saurait tenir lieu de réflexion éthique. Veiller à l’étroite articulation du conseil pédagogique et du comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté pour éviter d’avoir dans l’établissement deux politiques qui s’ignorent, la pédagogique d’une part, l’éducative de l’autre, dont la mise en oeuvre est confiée à des personnels différents.
On le voit, il y a, en ce domaine, un vaste chantier. Eviter de s’y atteler serait sans doute condamner la refondation elle-même.