Qu’a la suite de la visite du ministre dans ce département vendredi, Hérault Tribune puisse titrer : Gabriel Attal « dans nos établissements scolaires, on peut changer des destins qui semblaient écrits par avance ! »[1] témoigne de la conviction du ministre, attaché à ce que François Dubet appelle une « croyance nécessaire » : « la croyance nécessaire dans l'école conçue comme un îlot de justice dans un monde injuste », car, pour bien faire son métier, « l’enseignant doit croire que l’élève peut apprendre, de la même manière que le médecin doit croire que le malade peut guérir et l’on sait que l’efficacité du travail sur autrui participe largement du théorème de Thomas sur la prédiction créatrice »[2].
Mais le ministre affirme également d’autres propositions qui témoignent de croyances qui ne sont pas nécessaires, sauf à penser que rien n’importe plus que de conserver le système scolaire, voire de le restaurer sous une forme marquée par une représentation largement idyllique du passé. Et il faut souligner aussi la cohérence de la vision du ministre.
Est-il question de la formation des enseignants ? Inutile de chercher à améliorer la formation universitaire qui est assurée à tous depuis la création des IUFM en 1989. Le secret de la solution miracle ? « Les bonne vielles écoles normales » évoquées par le Président de la République dont chacun sait depuis août 2023 qu’il considère que l’éducation fait partie de son « domaine réservé », ripolinées par son ministre en « écoles normales du 21e siècle ». Parler d’école normale et non plus d’institut universitaire, c’est faire prévaloir la norme, la règle ; il ne s’agit pas de fonder ou développer un savoir, mais de le gérer et d’organiser sa diffusion selon une méthode, la bonne méthode appliquée par tous.
Est-il question des manuels scolaires ? En parfaite cohérence avec la restauration des écoles normales, le ministre en vient très clairement à préconiser la labellisation des manuels, comme cela a été expérimenté à Mayotte. Le ministre ne pèse pas ses mots : « Avec un manuel unique, labellisé, on a vu des résultats spectaculaires en un an »[3]. Il ne s’agit plus ici de remonter à avant 1989, mais plus d’un siècle auparavant, quand Jules Ferry, à la suite du rapport de Ferdinand Buisson du 6 novembre 1879, confie le choix des manuels aux enseignants (arrêté du 16/6/1880) et étend cette liberté en 1881 aux professeurs du secondaire.
Il faut se réjouir que le ministre pose clairement la question des savoirs enseignés à l’école. Mais dans quels termes le fait-il ? A propos des futures « écoles normales du 21e siècle », il explique qu’il s’agit pour lui de revoir la formation des enseignants dans des « disciplines-clés ». On peut douter qu’il s’agisse des sciences de l’éducation ou de la sociologie, plutôt de la pédagogie du français et des mathématiques, puisque c’est à cela que se réduisent les « savoirs fondamentaux ». On est, là encore dans le grand bon en arrière, vers l’avant Jules Ferry, pour qui « les leçons de choses, l’enseignement du dessin, les notions d’histoire naturelle, les musées scolaires, la gymnastique, les promenades scolaires, le travail manuel, le chant, la musique chorale (…) […] tous ces accessoires auxquels nous attachons tant de prix », « sont à nos yeux la chose principale, parce qu’en eux réside la vertu éducative.[4] ». On est bien loin alors de l’enseignement traditionnel du “lire, écrire, compter”.
Aucun domaine n’échappe à l’esprit de la restauration de "l’école d’avant" que porte le ministre.
L’organisation de l’enseignement par cycles, pour donner plus de continuité à la formation scolaire et permettre à chacune et chacun d’avancer à son rythme dans l’acquisition des apprentissages, ne trouve pas grâce à ses yeux : « Faut-il maintenir une organisation par cycles ou revenir à un séquençage par année ? », demande-t-il. Mais sa réponse ne fait pas de doute : « Beaucoup de professeurs des écoles m'ont dit à quel point ils (les programmes par cycles) manquaient de clarté ».
La composition des classes, dans les disciplines clés que sont les mathématiques et le français, doit échapper à la règle de l’hétérogénéïté, de manière à séparer en "groupes de niveau" les bons, les moyens et les faibles. Cette tripartition censée être favorable aux progrès de tous, remonte cette fois non pas à l’avant Jules Ferry, mais à l’Ancien régime, quand les collèges jésuites séparaient les optimi des dubii et des inapti. Les collèges d’avant la réforme Haby (1975) avaient, dans le même esprit, leurs classes de type 1 conduisant au lycée général , de type 2 conduisant à l’enseignement professionnel, et de type 3 conduisant à l’apprentissage et « la vie active ». Cette tripartition s’est maintenue jusque dans la notation d’aujourd’hui à travers la « constante macabre » démontrée par les travaux d’Antibi[5].
Ainsi, mises bout à bout, les propositions du ministre dessinent une orientation claire pour son ministère : s’appuyer, pour « améliorer le niveau des élèves », sur des modèles du passé, et, notamment, ne pas du tout remettre en cause ce que le passé nous a légué et qui pèse lourdement sur les conditions d’enseignement et d’apprentissage : une politique des savoirs
- qui sépare l’instruction de l’éducation, avec des personnels différents pour la prendre en charge ;
- qui, au sein de l’instruction, sépare et hiérarchise les disciplines scolaires entre elles ;
- qui, à l’issue du collège, permet aux uns de choisir la voie générale et contraint la plupart des autres à emprunte la voie professionnelle sans qu’existe des possibilités de communication entre elles.
Finalement, M. Attal ne serait-il pas un bon disciple de Tancredi Falconeri, personnage imaginé par Tomasi di Lampedusa dans Le Guépard, qui affirme : « pour que tout reste comme avant, il faut que tout change »[6] ?
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[1] https://www.herault-tribune.com/articles/video-montpellier-gabriel-attal-dans-nos-etablissements-scolaires-on-peut-changer-des-destins-qui-semblaient-ecrits-par-avance/
[2] https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2002-1-page-13.htm
[3] https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/le-chamboule-tout-de-gabriel-attal-pour-elever-le-niveau-des-eleves-1984962
[4] Jules Ferry, Congrès pédagogique des institutrices et instituteurs de France,1883, cité par Claude Lelièvre, "Education et/ou instruction ?" Administration & éducation, 2014/2
https://www.cairn.info/revue-administration-et-education-2014-2-page-11.htm
[5] André Antibi, La constante macabre, édition Math’adore, 2003
[6] Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Il Gattopardo, Feltrinelli, Milan, 1958, Le Guépard, traduit par Fanette Pézard, Le Seuil, 1959, Le Guépard, traduit par Jean-Paul Manganaro, Le Seuil, 2007