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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 21 janvier 2013

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Nuages de points : visualiser l’inégalité des chances ?

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Parmi les outils de pilotage des établissements scolaires, un certain nombre de données doivent être prises en compte.

Il s’agit pour une part de données externes à l’établissement, comme l’environnement économique, social, culturel, scolaire de l’établissement, qui influe sur les élèves accueillis par l’établissement. Il en est ainsi de la composition de la population scolarisée en termes de professions et catégories socio-professionnelles (CSP), on retient par exemple le taux de CSP favorisées et défavorisées. Il en va de même du taux de boursiers, de celui des retards d’un an à l’entrée en 6e pour les collèges par exemple.

Il s’agit d’autre part de données internes à l’établissement. Pour les collèges, on prendra par exemple en compte le taux de réussite au diplôme national du brevet et celui de mentions très bien parmi les admis, les taux de passage  dans les différentes classes de seconde de l’enseignement général, technologique et professionnel, et de redoublement en fin de troisième. Et on prendra en compte également les écarts constatés entre ces taux et la moyenne du département sur 4 années correspondant à la scolarité d’un élève en collège.

Ces données statistiques peuvent faire l’objet d’une représentation graphique sous forme de nuages de points,  dans laquelle chaque établissement est situé dans un repère orthogonal permettant de situer chaque établissement en fonction des indicateurs retenus pour tous, soit plutôt en haut à gauche, ce qui le place du côté de la réussite éducative, voire de l’excellence scolaire, corrélées à des données externes favorables, soit plutôt en bas à droite, ce qui le situe du côté des difficultés sociales, culturelles et scolaires cumulées.

Les points représentant  les établissements se regroupent en nuages permettant de constituer plusieurs groupes d’établissement placés dans des situations comparables et relevant donc d’un traitement adapté en matière de suivi et de dotation. Cette représentation graphique est communiquée aux chefs d’établissement, afin qu’ils situent mieux leur établissement et lisent mieux les décisions prises par l’autorité académique, en vue de préparer la prochaine rentrée scolaire, notamment en matière de dotation en heures d’enseignement.

Quand on analyse un tel tableau, on peut dire qu’il est sans surprise. Dans le nuage de la réussite et de l’excellence, on trouve bien entendu les collèges chics de centre ville ou de couronne résidentielle, et dans celui des difficultés cumulées, des établissements d’éducation prioritaire, notamment ceux du programme écoles, collège, lycée ambition, innovation réussite (ECLAIR) : le label du programme apparaît pour le coup comme une formule conjuratoire plus que comme une description de la réalité de ces établissements. Dans un département ordinaire, si les deux pôles opposés représentent chacun environ 16% de l’effectif total des collèges, les deux autres nuages, en position plus médiane, regroupent le reste, soit les deux tiers de l’effectif. On retrouve donc la très fameuse courbe de Gauss, si représentative de l’enseignement français, qu’il s’agisse des résultats des élèves à un devoir, ou d’une classe sur l’année, avec la répartition des « moyennes générales » qui n’ont aucun sens mais continuent d’être prises en considération. Courbe caractérisée, on le sait, par sa « constante macabre » soulignée par André Antibi [1]dès la fin des années quatre-vingts.

Au delà, on constate surtout combien l’école peut difficilement échapper à son assignation à reproduire, quand on perçoit une corrélation si nette entre ce que produisent les établissements en termes de résultats (orientation, succès aux examens) et leur environnement économique, social et culturel.

Du coup, réaffirmer comme le projet de loi d’orientation et de programmation le préconise la nécessité de réaffirmer l’objectif de 80% d’une classe d’âge au baccalauréat et de 50% avec un diplôme d’enseignement supérieur va de pair avec l’objectif affiché de réduire les inégalités territoriales dont la géographie des nuages de points est une éclatante illustration. Mais on mesure aussi combien cet objectif-là dépasse largement les possibilités d’une institution scolaire aussi mobilisée soit-elle pour l’atteindre. Après trente ans d’éducation prioritaire, le nuage constitué par les établissements cumulant les difficultés en termes de public comme de résultats  rassemble exclusivement des établissements qui  en relèvent : c’est dire si la réalité est plus facile à connaître et représenter qu’à transformer.

Il faudra être attentif à la modification apportée par la future loi d’orientation aux contrats d’objectifs, si, comme le projet de loi le prévoit, ces contrats deviennent tripartites, associant la collectivité territoriale de rattachement (le conseil général, pour les collèges) aux signataires actuels (l’établissement et l’autorité académique). Partie prenante du processus, la collectivité pourrait être tentée, confrontée au déterminisme externe pesant sur les établissements scolaires, non seulement de contribuer à encourager innovation, expérimentation, démarche de projet dans les établissements concernés, mais aussi de réévaluer les politiques dont elle est partie prenante : économie, emploi, entreprises, logement, transport, donnant ainsi la possibilité de jouer aussi sur les données externes qui conditionnent la vie de l’établissement scolaire.


[1] Antibi, André, La constante macabre, ou comment a-t-on découragé des générations d’élèves ?, Math’Adore, 2003

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