Voici donc annoncée en ce mois de juin par la première ministre une réforme de l’enseignement moral et civique (EMC), conformément à l’une des propositions du « CNR » jeunesse[1]. D’après Libération[2], « Le contenu de cette matière, trop souvent sacrifiée afin de boucler les programmes, sera revu «main dans la main avec les jeunes», dit Matignon. Objectif : intégrer davantage d’éducation aux médias, un sujet encore insuffisamment traité à l’heure actuelle ».
Comme le rappelle Le Café pédagogique de ce jour[3], l’attention portée à l’EMC n’est pas nouvelle : en mars dernier une proposition de loi sénatoriale estimait que « les programmes, dont la rédaction confuse a attiré l’attention de la mission d’information, devront tirer les conséquences de cette reformulation du contenu de l’EMC et rééquilibrer la place des questions environnementales et sociétales par rapport aux enjeux institutionnels, qui doivent constituer le cœur de cet enseignement[4]». La Cour des comptes, de son côté, dès novembre 2021, observait que cet enseignement sert de variable d’ajustement des emplois du temps dans le second degré, fait l’objet de fort peu d’inspections, et qu’« une véritable politique de formation à la citoyenneté reste à construire », « à l’école et en dehors de l’école[5]».
On rappellera ici la manière dont l’EMC, enseignement introduit lors de la refondation de l’école en 2012-13, a vu ses programmes profondément remaniés par le ministre Blanquer en 2018-2019. Alors qu’initialement, l’EMC devait se focaliser sur l’apprentissage par la pratique du débat argumenté, les programmes d’EMC des écoles et des collèges ont mis en avant l’enseignement du « respecter autrui », des « valeurs de la République », de « la culture de la règle et du droit »[6].
Il fallait entendre ce matin sur France-Inter, Marie Trellu Kane[7], membre du CNR jeunesse, évoquer le souhait de voir l’EMC « devenir une vraie discipline », « un vrai cours », au lieu d’être « en marge » de l’histoire géographie ou du français, pour comprendre les enjeux qui ne sont jamais évoqués.
Les meilleurs programmes d’enseignement moral et civique, ou d’éducation aux médias et à l’information[8], ne pourront rien changer à la réalité des apprentissages effectifs des élèves tant que le temps d’apprentissage sera quasi exclusivement consacré aux « disciplines majeures » qui occupent l’essentiel de l’emploi du temps des élèves. En effet, certains enseignements, socialement considérés comme prioritaires (l’éducation aux médias et à l’information, la formation du citoyen) ne le sont nullement dans la hiérarchie des enseignements effectivement donnés aux élèves. Ils sont de fait aléatoirement rencontrés par les élèves, et pas par la totalité d’entre eux, puisqu’ils n’ont pas une place explicitement reconnue dans les emplois du temps à la hauteur de leur importance éducative.
Comme jamais cette hiérarchie des domaines disciplinaires n’est remise en question, les apprentissages estimés socialement utiles sont voués à une place marginale malgré toutes les déclarations officielles. Entre le dire et le faire, le fossé est béant !
C’est pourquoi, par delà les déclarations attendues de la première ministre sur le sujet, il n’y a rien à attendre d’effectif tant que n’auront pas été posées d’abord les questions de fond : quelles sont les finalités de notre école ? Que doivent apprendre tous les élèves ? Comment les disciplines scolaires actuelles et d’autres pourraient elles ensemble et non toujours séparément y contribuer ?[9] Si, au lieu de partir des programmes disciplinaires distincts, de frontières établies une fois pour toutes entre les savoirs, on partait des besoins de formation de nos élèves, on aurait une chance d’apporter enfin des réponses nouvelles et concrètes au lieu de déplorer régulièrement le besoin de renforcer la dimension éducative de notre école sans lui en donner les moyens effectifs.
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[1] https://conseil-refondation.fr/thematiques/jeunesse/
[2] https://www.liberation.fr/societe/permis-enseignement-moral-et-civique-valorisation-de-lengagement-les-annonces-delisabeth-borne-pour-la-jeunesse-20230621_INOO5YE2FNDATL3RAD2BTBAMLE/
[3] https://www.cafepedagogique.net/2023/06/21/cnr-jeunesse-matignon-va-reformer-lemc/?utm_campaign=Lexpresso_21-06-2023_1&utm_medium=email&utm_source=Expresso
[4] https://www.senat.fr/leg/ppl22-437.html
[5] https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-formation-la-citoyennete
[6] https://cache.media.education.gouv.fr/file/30/73/4/ensel170_annexe_985734.pdf
[7] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-mercredi-21-juin-2023-2316820
[8] Saluons ici les programmes du Collège, concernant l’EMI au cycle 4 (pages 138-139) :
https://eduscol.education.fr/document/621/download
[9] Voir l’interpellation du curriculum proposée par le Collectif CICUR : https://curriculum.hypotheses.org/