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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 21 octobre 2016

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Evaluation professionnelle des enseignants : des silences révélateurs?

« Il vaut mieux un mauvais accord que pas d’accord du tout », dit-on souvent. L’étude d’un document de compromis entre ministère et représentants des personnels permet de mesurer ce que chacun serait prêt à concéder pour parvenir à un accord sur l’évaluation professionnelle des enseignants.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lire un document résultant de la négociation entre le ministère et les représentants des personnels, c’est mesurer ce sur quoi les partenaires de ce dialogue ont passé un compromis. L’état actuel du document destiné à l’évaluation professionnelle des enseignants, publié par Le Café pédagogique[1] offre une bonne occasion de le faire.

En effet, l’arrêté du 1er juillet 2013 a défini le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation[2].

Il est assez facile de retrouver les compétences retenues d’un commun accord, et de relever celles qui ne l’ont pas été. Sur quoi s’est donc établi ce compromis ?

On notera, du côté de la prise en compte du référentiel dans le document destiné à l’évaluation professionnelle, la plupart des compétences communes à tous les professeurs.  Et ce n’est pas rien de constater que, désormais, un professeur sera évalué par exemple sur sa capacité à prendre en compte la diversité des élèves, à favoriser leur socialisation, à les accompagner dans leur parcours de formation, à coopérer avec les parents et les partenaires de l’école, à s’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel. Il y a là certainement  une explicitation nouvelle de ce qui est attendu d’un professeur dans sa pratique professionnelle, dont on ne peut que se réjouir qu’elle fasse consensus, parce que l’évaluation professionnelle reposera désormais sur des critères particulièrement clairs pour tous.

Du côté des compétences manquant à l’appel dans ce document, on pourra estimer d’abord que l’une n’a pas été retenue parce qu’elle n’est pas nécessairement facile à observer en situation : « utiliser une langue vivante étrangère dans les situations exigées par son métier ».

On se dira ensuite que certaines d’entre elles sont sans doute considérées comme allant de soi : il en est ainsi de « faire partager les valeurs de la République » ou « inscrire son action dans le cadre des principes fondamentaux du système éducatif et dans le cadre réglementaire de l’école ». Mais on observera que « maîtriser les savoirs disciplinaires », qui va également de soi, figure comme premier élément de l’évaluation professionnelle des enseignants. Cela confirme sans doute ce que, par un tour de prestidigitation sémantique et syntaxique, la loi d’orientation de 2005 avait feint de résoudre en écrivant : « Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République [3]». S’il y a bien une mission première, ce n’est pas celle qu’on affiche (faire partager aux élèves les valeurs de la République), mais celle qui passe avant elle, dans l’ordre même de la phrase : la transmission des connaissances. On retrouverait cette même hiérarchisation entre instruction essentielle et éducation accessoire dans le document d’évaluation : mais il ne se donne pas la peine de la masquer, en évoquant les savoirs disciplinaires et en passant sous silence la formation du citoyen.

Il en est une autre dont l’absence peut surprendre un observateur attentif des politiques scolaires: « intégrer les éléments de la culture numérique nécessaires à l’exercice de son métier ». Y  aurait-il dans l’absence de référence à la culture numérique la manifestation d’une réticence de certains participants à la négociation à considérer que le numérique ne se réduit pas à des outils, mais qu’il constitue désormais une dimension importante de la culture que les enseignants ont mission de maîtriser pour  aider les élèves à se l’approprier ?

Quand on rapproche, dans ce document issu de la négociation, les compétences laissées  hors champ, on constate qu’elles portent sur  le domaine éducatif (valeurs et principes) et sur la culture numérique. Le compromis ne serait-il possible qu’en occultant la dimension civique des missions de tout enseignant et la part désormais importante de la culture numérique dans la culture que les élèves acquièrent à l’école grâce à leurs enseignants ?

Si tel était le cas dans la version définitive du document, cela serait d’abord révélateur d’un écart entre les objectifs assignés par le législateur à l’institution scolaire et leur mise en œuvre effective auprès des élèves. Et cela révélerait aussi ce que le ministère est prêt à concéder par rapport à sa politique pour obtenir un accord avec les représentants des personnels sur l’évaluation professionnelle des enseignants.


[1] http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoints/ppcr-grille161016.pdf

Il ne s’agit que de la dernière version et non de la version définitive de ce document support de l’évaluation professionnelle des enseignants.

[2] http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=73066

[3] Code de l’éducation, article L111-1

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