Progressivement, nous apprend un article du Monde publié aujourd’hui[1], les deux lycées prestigieux de la Montagne Sainte Geneviève vont se voir appliquer la règle commune des lycées parisiens touchant l’affectation des élèves sortant des collèges.
Henri IV et Louis-le-Grand jusqu’ici faisaient leur marché en étudiant les dossiers scolaires des candidats, écartant de leur recrutement tout dossier ne donnant pas des signes d’excellence incontestable ; le résultat était mirifique, comme le souligne une responsable SNES-FSU de Louis le Grand : « Cet élitisme scolaire fonctionne. Il n’y a qu’à voir le nombre d’élèves que nous plaçons aux concours généraux ».
En effet, on voit mal, comment après avoir prélevé les élèves présentant les meilleurs dossiers scolaires, ces mêmes élèves ne réussiraient pas aux concours généraux. Les deux lycées n’ont aucun mérite à cela. Ils ont en revanche un tort : celui de priver les autres lycées parisiens d’élèves susceptibles de donner le meilleur aussi dans d’autres établissements.
Et l’on brandit à cette occasion l’horreur d’une affectation intégrant l’indice de position sociale pour réaliser un recrutement d’élèves plus équitablement répartis entre les divers lycées parisiens. « Le traitement algorithmique ne permet pas de distinguer les bons, les très bons et les excellents élèves », s’inquiète un responsable de la FCPE à Louis-le-Grand.
Inquiétude à très juste titre : l’entre-soi éducatif, ne saurait tolérer que l’on mélange quelques bons et une pincée de très bons aux excellents !
Bien entendu, selon ce parent d’élève, « On ne cherche pas à défendre la bourgeoisie parisienne mais l’excellence au sein du service public. »
L’excellence au sein du service public, qui en effet oserait être contre ? Sinon qu’il ne s’agit pas de cela mais de confisquer l’excellence au sein de deux établissements publics qui jusqu’ici recrutent leurs élèves comme deux établissements privés. Cet attachement à l’excellence au sein du service public a ses limites, notamment il n’admet pas l’égalité de traitement entre tous les élèves, ce qui pourtant devrait constituer une référence pour un.e responsable de la FCPE ou du SNES-FSU.
On ne peut que constater les effets bénéfiques de la procédure Affelnet en place depuis 2020 dans les autres lycées parisiens.
La ségrégation sociale a diminué de 33% dans les lycées concernés. Comme le rapporte Sylvie Lecherbonnier dans Le Monde, « les lycées les plus favorisés comptent davantage de boursiers. Charlemagne, dans le 4e arrondissement, est passé de 23 % à 28,5 % de boursiers entre 2020 et 2021, Victor-Duruy, dans le 7e arrondissement, de 8,8 % à 16,2 %, Sophie-Germain, dans le 4e arrondissement, de 24 % à 29,5 %. Dans le même temps, les lycées les moins favorisés ont vu leur proportion de boursiers baisser, à l’instar d’Henri-Bergson, dans le 19e arrondissement, passé de 60 % à 39,4 % au premier tour d’affectation ».
Le chemin de la mixité sociale est long, mais on ne peut que se réjouir qu’elle progresse, y compris sur la Montagne Sainte Geneviève. Sylvie Lecherbonnier note en outre qu’ « une tradition bien connue a conduit des familles à inscrire (à Henri IV) leurs enfants dès le collège pour maximiser leurs chances d’accéder dans la continuité au lycée. Avec l’intégration dans Affelnet, cette proportion risque de baisser drastiquement et pourrait même jouer, à terme, sur le marché de l’immobilier parisien, très corrélé à la carte scolaire ».
S’il ne s’agit pas sans doute non plus de défendre la bourgeoisie parisienne en s’opposant à l’application de la règle commune dans cet établissement, la préoccupation immobilière n’est peut-être pas complètement étrangère au sujet.
On voit donc à cette occasion resurgir l’attachement viscéral à une école de la ségrégation, qui sépare aussitôt que possible, et de manière particulièrement nette à l’entrée du lycée, le bon grain scolaire de l’ivraie, et qui, en confinant l’excellence dans des espaces protégés, nuit à la réussite du plus grand nombre en accroissant les inégalités scolaires au fil du temps.
C’est là le reproche fondamental qui peut être fait à cette prétendue politique de l’excellence : elle ne permet pas à la réussite scolaire de s’étendre, elle pénalise notre école et ses élèves au lieu de favoriser leur succès.
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