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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 22 février 2024

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L’éducation par et pour les territoires : une approche radicalement nouvelle

Repenser le rôle de l’Etat et des collectivités dans l’éducation en pensant les territoires non pas en unités administratives mais en riches bassins de vie, voilà une proposition qui a le mérite de redonner des couleurs au débat citoyen sur l’éducation.

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Il faut d’abord accepter de sortir des carcans de la réalité institutionnelle actuelle. Si, en effet, on s’en tient aux actuels effets des lois de décentralisation des années 80 du siècle dernier, on pensera automatiquement que penser l’éducation par et pour les territoires, c’est la mort de l’éducation nationale, et la responsabilité de l’éducation confiée à des présidentes ou présidents de région, de département, de métropoles, dont on peut redouter que les conceptions de l’éducation soient marquées chez certaines et certains d’entre elles et eux par un imaginaire réactionnaire qui n’est pas l’exclusivité de récents ministres. Et, en effet, il n’y aurait rien à gagner à cela.

Qu’écrivent les auteurs du Manifeste « Repenser l’éducation par et pour les territoires[1] » ?

Contrairement à certains, ils ne croient pas à un retour à un passé fantasmé et glorieux de "l’École de la République que l’on réformerait depuis le sommet de l’État à coup de mesures ponctuelles qu’un corps enseignant déjà déboussolé et épuisé serait sommé de mettre en œuvre". Ils invitent à un grand débat démocratique afin de définir « la société que nous voulons édifier et des défis que d’ores et déjà nous savons devoir relever », ce qui permettra de créer « le système de formation tout au long de la vie » répondant à ces défis et à cette finalité.

En aucun cas, il ne s’agit pour eux de plaider pour que l’État lâche complètement prise au profit d’exécutifs régionaux ou locaux. Il s’agit plutôt de penser les territoires, qui sont tout autre chose qu’une hiérarchie ou une concurrence de collectivités territoriales et locales, comme un bassin de vie riche de la diversité de ses acteurs éducatifs, institutionnels, entrepreneuriaux, culturels, médiatiques, associatifs, à partir du moment où chacun n’agit pas séparément, mais coopère avec les autres.

L’Etat et les collectivités actuelles changent de rôle dans ce passage d’un système de gouvernement à un système de gouvernance démocratique. L’Etat ne fixe plus des règles détaillées et uniformes applicables de la même façon partout, mais anime sur tout le territoire une réflexion collective destinée à dégager des principes directeurs communs, des objectifs partagés, à charge pour les territoires de les mettre en œuvre et de les atteindre en mobilisant l’ensemble de leurs ressources, dans lesquelles les collectivités tiennent toute leur place.

En matière éducative, cette révolution signifierait qu’on n’entrerait plus par des programmes de matières d’enseignement séparés nationalement définis, mais par les instruments utiles pour élaborer des réponses aux grandes questions de l’Anthropocène dont il faut équiper notre jeunesse pour qu’elle soit le mieux à même de les affronter et, par la formation tout au long de la vie, toutes les citoyennes et citoyens ; les matières scolaires ne seraient pas nécessairement reconduites dans leur hiérarchie et leur exclusivité actuelle, mais incitées à articuler leurs contributions à la formation des jeunes. Et ces articulations, travaillées dès la formation professionnelle initiale des enseignants et éducateurs, seraient réalisées dans les établissements scolaires, le collectif des personnels s’appuyant sur les ressources humaines, techniques, culturelles, professionnelles, d’éducation populaire du territoire pour penser très concrètement le parcours de formation des jeunes et des adultes qui y vivent.

On ne peut éluder ces propositions au motif qu’elles seraient utopiques. Ce qui serait en tout cas irrecevable, c’est de penser au retour non de l’école d’antan mais de la représentation qu’on s’en fait, et ce qui serait parfaitement inacceptable, c’est de croire qu’on peut continuer comme avant avec un ripolinage quasi annuel de l’organisation des enseignements, opérations cosmétiques et dépourvues de sens aussi bien pour les élèves que les personnels et les citoyens.

Que les propositions très ouvertes suscitent des questions, voire des réserves ou des oppositions, cela est plutôt sain pour la vitalité de notre débat démocratique. A chacun de se saisir de cette occasion pour y contribuer.

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[1] https://reconnaitre.openrecognition.org/education-et-territoires/

Voir aussi :

https://www.osonslesterritoires.fr/12.html

 On trouvera dans le Petit traité de gouvernance de Pierre Calame (ECLM, 2023) une réflexion précieuse sur ce qu'implique le véritable passage du gouvernement à la gouvernance.https://www.eclm.fr/livre/petit-traite-de-gouvernance/

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