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Billet de blog 22 avril 2012

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Centres de connaissances et de culture : quel modèle politique d’éducation ?

 Dans un récent billet[1], nous nous sommes inquiétés des orientations et instructions pour la rentrée 2012 au sujet de la laïcité. Nous nous interrogeons aujourd’hui sur le sens d’une expérimentation proposée dans la même circulaire de préparation de rentrée[2] : la transformation des centres de documentation et d’information en centres de connaissances et de culture (3C).

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Dans un récent billet[1], nous nous sommes inquiétés des orientations et instructions pour la rentrée 2012 au sujet de la laïcité. Nous nous interrogeons aujourd’hui sur le sens d’une expérimentation proposée dans la même circulaire de préparation de rentrée[2] : la transformation des centres de documentation et d’information en centres de connaissances et de culture (3C).

Le choix des mots

Pour apprécier ce qui se joue dans ce changement d’appellation, on peut d’abord considérer ce qui est conservé et ce qui est modifié.

Le terme de centre demeure. D’une part, c’est le même terme utilisé en anglo-américain dans l’appellation des learning centres[3].  D’autre part, si l’appellation de centre semble renvoyer à une conception plus centralisatrice que distributive de la ressource, plus physique que virtuelle de l'espace, elle a l’avantage aussi de mettre l’accent sur l’importance d’un lieu, physique et virtuel, qui puisse constituer, au sein de l’espace scolaire, un « tiers lieu » qui se différencie du lieu de travail traditionnel (la classe) et de la résidence personnelle comme d’autres « troisièmes lieux » qui « caractérisent notre environnement » et influencent nos modes de vie : « le café du coin, le centre commercial, le devant de l’église, la bibliothèque, le parc où on promène son chien, peuvent être caractérisés de tiers lieux » (d’après Ray Oldenburg, cité par Vincent Audette-Chapdelaine, 2009[4]). Le fait que le 3C rapproche espaces de vie scolaire et de documentation s’inscrit bien dans cette logique. Au 3C, on n’est pas en classe, ni dans sa chambre, mais dans un tiers lieu.

« De connaissances et de culture » remplace «  de documentation et d’information ».  On pourrait s’étonner de la disparition du terme information à l’ère de la société de l’information et les professeurs-documentalistes regretter l’effacement du terme identitaire de documentation. Mais ce serait ne pas voir que les termes retenus affichent une ambition extrêmement forte. Au même titre que la classe, le 3C est un lieu d’acquisition de connaissances et de culture.  C’en est fini d’une hiérarchie qui opposait trois ordres : celui de l’enseignement dans le saint des saints de la classe, celui de la documentation au CDI, celui de la vie scolaire dans les salles de permanence.  Créer un centre de connaissances et de culture, c’est considérer que dans tout l’établissement scolaire, l’élève apprend et se cultive. Le professeur-documentaliste, le conseiller principal d’éducation se trouvent ainsi positionnés à égale dignité que leurs collègues enseignant en classe.

Un modèle politique d’éducation vivant

Le modèle politique d’éducation républicain français, dessiné dès 1791-1792 par Condorcet,  met l’accent sur les connaissances théoriques plus que pratiques : « Si on enseigne une science comme étant la base d’une profession, il est inutile d’arrêter les élèves sur la partie pratique de cette science, parce que l’exercice de la profession à laquelle on les destine conservera, augmentera même l’habitude nécessaire à cette pratique ; mais si on ne veut pas qu’elle devienne une routine, il faudra dans l’éducation insister beaucoup sur les principes de théorie que, sans cela, ils seraient exposés à oublier bientôt. »[5]

En valorisant les connaissances et la culture, la nouvelle appellation s’inscrit dans cette filiation : il s’agit bien, toujours, d’acquérir des connaissances qui constituent la culture nécessaire au citoyen. Un peuple ignorant prend les mauvaises décisions. Pour Condorcet, « le rôle de l’éducation est de permettre aux hommes de jouir de leurs droits ».

En même temps, la circulaire dessine ainsi la silhouette du 3C : « Ce projet éducatif et pédagogique s'appuie sur les compétences du professeur-documentaliste qui peut, dans cette perspective, recourir au soutien des CRDP. Le centre de connaissances et de culture privilégie à la fois le numérique et le livre, dans une approche où la maîtrise de la langue est un appui indispensable aux autres apprentissages ». En indiquant que le  3C, qui donne toute sa place au numérique au côté de l’imprimé, est un lieu d’apprentissages, on l’inscrit dans un contexte nouveau qui se caractérise notamment par le décloisonnement du pédagogique et de l’éducatif, par l’accent mis sur l’apprentissage par les élèves et non exclusivement sur l’enseignement par les maîtres. C’est ce que confirme la page du site éduscol consacrée au 3C[6] : « les élèves peuvent s'y former et apprendre de manière autonome. Des enseignants et des personnels encadrants y apportent des conseils et une aide méthodologique et disciplinaire aux élèves».

C’est ici que se perçoit l’enrichissement apporté au modèle politique d’éducation républicain, traditionnellement organisé autour de la figure du maître en majesté professant devant un groupe d’élèves formant une classe. Ce modèle continue d’organiser l’essentiel des temps d’enseignement, mais il s’hybride en intégrant explicitement le fait que l’élève apprend aussi et se forme de manière autonome, seul et en groupes divers, en bénéficiant des conseils et de l’aide de personnels enseignants et d’assistance éducative. Il ne s’agit plus seulement d’ouvrir les yeux des élèves, de les déciller, en leur transmettant les Lumières, mais de favoriser aussi leur autonomie à l’école, ce que les québécois nomment leur « enpouvoirement ».

La transformation des CDI en centres de connaissances et de culture n’est pas un simple changement d’étiquette. Elle n’est pas non plus une rupture avec le modèle d’éducation républicain. Elle manifeste la vitalité de ce modèle, par sa capacité à intégrer sa visée d’émancipation démocratique dans son organisation même. Elle s’inscrit pleinement dans la logique structurant le socle commun de connaissances et de compétences des élèves (2006)[7] et  les compétences attendues des professeurs, documentalistes et conseillers principaux d’éducation (2010)[8]. Elle conforte le rôle clef du professeur-documentaliste dans la conception et la mise en œuvre d’une politique pédagogique et éducative de l’établissement s’inscrivant pleinement dans ce modèle vivant[9].


[1] http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-veran/070412/orientations-et-instructions-pour-la-rentree-2012-vers-une-laicit

[2] http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=59726

[3] voir notre billet à ce sujet : http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-veran/200312/learning-centre-quels-enjeux-pedagogiques-professionnels-et-colle

[4] Audette-Chapdelaine Vincent (2009). « Les nouveaux troisièmes lieux et le design de l’expérience sociale » http://www.infogramme.org/index.php/tag/architecture-de-linformation/

[5]  Condorcet, Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, Second mémoire sur l’instruction publique, 1791, in  Œuvres complètes, tome 9, Levrault, Schoell et Cie,Paris, an XIII (1804)

[6]« http://eduscol.education.fr/cid59679/les-centres-de-connaissances-et-de-culture.html*

[7] http://media.education.gouv.fr/file/51/3/3513.pdf

[8] http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000022485632&dateTexte=&categorieLien=id

[9] voir notre billet cité en note 3 : http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-veran/200312/learning-centre-quels-enjeux-pedagogiques-professionnels-et-colle

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