On a pu se réjouir de lire, dans le premier entretien accordé par le nouveau ministre de l’éducation nationale au Monde[1] des propos tels que : " Je ne donnerai pas dans l'injonction. Je serai un ministre qui pousse aux solutions de terrain (…) Nous ne voulons pas tomber dans le travers d'imposer la même façon de faire partout (…) L'interdisciplinarité est très intéressante mais doit venir des acteurs de terrain. On ne la décrète pas. C'est pourquoi nous donnerons plus de liberté aux enseignants (…)"
Tout se passe, dans les déclarations de Jean-Michel Blanquer, comme s’il était parfaitement convaincu que, pour aller vers une société apprenante, il faut des établissements scolaires apprenants et donc sortir « d’une administration centralisée qui conçoit et diffuse des instructions vers des rectorats qui eux‐mêmes dirigent leur mise en œuvre, et vers des enseignants qui les appliquent en jouant seulement de l’espace clos de la classe pour s’inventer des marges de manœuvre[2] », comme la décrivent les auteurs du rapport Vers une société apprenante.
Cela supposerait la rupture avec ce que ces auteurs présentent comme « une organisation sur‐administrée (un essayiste a récemment décompté la parution de 225 circulaires par an en moyenne) mais sous‐encadrée (4% de personnels d’encadrement contre un taux moyen de 15%)[3] ».
M. Blanquer se saisira-t-il du rapport que nous venons de citer remis à sa prédécesseure en avril dernier pour « pousser aux solutions de terrain » ?
Selon les auteurs de ce rapport, il faut coopérer à toutes les échelles et, à celle de l’établissement, « favoriser les concertations pour construire une culture commune », « donner du sens au conseil pédagogique pour développer des pratiques collectives », « aménager des lieux d’échanges », et « associer toute la communauté éducative ». En un mot, il s’agit de « faire tomber les cloisons » et de « promouvoir des démarches inclusives et de projet ».
Les auteurs du rapport plaident donc pour « la promotion d’une culture de confiance, de coopération et d’expérimentation devrait amener à accorder plus de marges à chaque établissement, pour qu’il définisse à son niveau la façon d’organiser et de faire vivre la concertation». La forme scolaire française repose sur « une conception de l’élève en décalage par rapport à la globalité de l’enfant ou de l’adolescent. Dans une large mesure, les fonctionnements et règles scolaires visent un élève abstrait, défini uniquement par ses activités cognitives, coupé de son environnement social et culturel. »
« De nombreuses enquêtes, poursuivent les auteurs du rapport, ont mis en évidence l’isolement des enseignants français et leur difficulté à travailler en équipe. Cet isolement constitue un frein à la coopération, à l’expérimentation et à l’essaimage des pratiques. Les salles de professeurs et les centres de documentation et d’information (CDI), où il est en général difficile d’échanger et où l’aménagement et le mobilier, ne sont pas conçus pour des travaux collaboratifs. Ils n’encouragent pas les rencontres ni les initiatives en ce sens ‐ même s’il faut saluer l’évolution récente d’un certain nombre de CDI en “Centres de connaissance et de culture”[4] et de bibliothèques universitaires s’inspirant des Learning Centers anglais ou des “carrefours d’apprentissage” canadiens. Ils visent à “offrir une gamme de services étendus pour se rencontrer en petits groupes pour un travail précis ou échanger librement, rechercher des informations sur tout support, pas seulement numérique, réfléchir, lire, se cultiver, se détendre....” Des équipes, de plus en plus nombreuses, s’engagent dans une réflexion sur de nouveaux lieux et cadres d’apprentissage ; il existe tout un courant de recherche sur les learning‐labs. C’est aussi une occasion pour les professeurs documentalistes de former les élèves à la culture de l’information de les mettre dans des postures de recherche et de responsabilisation par rapport aux savoirs, et de développer eux‐mêmes des projets collaboratifs et interdisciplinaires avec leurs collègues ».
J’ai pu constater, lors d’une intervention récente sur les espaces d’apprentissage que la réflexion engagée dans le cadre d’un stage académique conduisait le conseiller principal d’éducation et le professeur-documentaliste d’un même établissement, à prendre rendez-vous pour amorcer une concertation relative à cette question. C’est dire, en effet, le cloisonnement qui prévaut encore souvent dans nos établissements. C’est dire aussi que l’idée chemine qu’il faut offrir aux élèves comme à l’ensemble des personnels des lieux propices à la coopération, à la conduite de projet, à la concertation, et que les centres de connaissances et de culture, en rompant avec les salles de permanence où au mieux l’on s’ennuie et en rapprochant salles d’étude et centre de documentation et d’information, sont propices à la transformation de l’établissement scolaire en établissement apprenant.
Si l’agilité accrue de l’institution scolaire repose sur la confiance dans la créativité pédagogique collective des enseignants et personnels d’éducation[5], sur l’enracinement d’une culture de l’expérimentation et de l’alliance éducative avec les parents, les collectivités, les acteurs du territoire et les chercheurs en éducation, sur l‘évolution des corps d’inspection d’une posture de contrôle à une posture d’accompagnement, on peut en attendre des bénéfices certains pour la réussite de tous, personnels et élèves. Et dans ce cadre, les instruments numériques d’information et de communication prennent toute leur dimension facilitatrice et incitatrice.
[1] http://www.lemonde.fr/education/article/2017/05/20/jean-michel-blanquer-il-nous-faut-depasser-le-clivage-gauche-droite-sur-l-ecole_5130829_1473685.html
[2] Catherine Becchetti-Bizot, Guillaume Houzel, François Taddeï, Vers une société apprenante, rapport sur la recherche et développement de l’éducation tout au long de la vie, avril 2017, http://cache.media.education.gouv.fr/file/2017/40/3/Rapport_recherche_et_developpement_education_V2_756403.pdf
[3] voir note 2
[4] Le vade-mecum Vers des centres de connaissances et de culture a été publié au printemps 2012 par la DGESCO dirigée alors par Jean-Michel Blanquer, Luc Châtel étant alors ministre.
[5] et non sur une liberté pédagogique strictement individuelle, qui peut s’épanouir dans le cloisonnement le plus rigide.