L’enseignement professionnel, priorité éducative des années qui viennent si l'on en croit le Président de la République récemment réélu, est resté jusqu’ici, selon Daniel Bloch, auteur d’une note pour la fondation Terra Nova[1], « un angle mort du système éducatif ». Cette note a le double mérite de dresser un état actuel de l’enseignement professionnel et d’ouvrir des perspectives novatrices pour cette voie de formation qui accueille un tiers des lycéens. Elle s’inscrit aussi dans un contexte où les incertitudes sont grandes sur l’avenir de la voie professionnelle, comme en témoignent les inquiétudes syndicales relatives à un démantèlement du lycée professionnel[2] ou les difficultés particulières rencontrées par les professeurs de lycée professionnel selon une étude publiée en 2020 dans le numéro 95 d’Education et Formation.
Dans la note de Terra Nova, l’analyse de la situation actuelle, qui vient de loin, est sans concession. Daniel Bloch pointe nettement le raccourcissement de la formation en bac professionnel de quatre à trois ans à partir de 2009, pour de strictes raisons d’économie de fonctionnaires, alors que, dans le même temps, la performance scolaire des élèves quittant le collège pour le lycée professionnel s’est dégradée, comme l’attestent régulièrement les enquêtes PISA. Cela ne pouvait qu’aggraver les sorties sans qualification, et susciter la volonté de poursuivre sa formation au delà du baccalauréat, alors que l’accès des lycéens professionnels aux STS et BTS est en fait très limité.
Pour envisager de donner un nouveau souffle au lycée professionnel, Daniel Bloch propose de prendre les lycéens professionnels pour ce qu’ils sont en transformant leur curriculum : le CAP passerait de deux à trois ans, le bac pro de trois à quatre ans, en portant pour chacun le temps de formation professionnelle en entreprise à un an, contre actuellement un trimestre pour le CAP et un semestre pour le bac pro. Pour parfaire cette refondation du parcours de formation professionnelle, Daniel Bloch propose d’expérimenter, après le bac pro dans les lycées professionnels, un bachelor professionnel en trois ans. Ce serait selon lui une bonne façon de sortir par le haut du syndrome du sapeur Camembert qui se traduit par l’échec massif de la poursuite de la formation post bac des lycéens professionnels faute de capacités d’accueil suffisantes.
Pour porter au gouvernement cette priorité, l’auteur suggère un ministère délégué ou un secrétariat d’Etat à l’enseignement professionnel et à la planification pédagogique. Il s’agit en effet, selon lui, d’avoir une vison décennale des formations, avec comme socle une loi de programmation budgétaire.
Il ne fait pas de doute que les propositions de Daniel Bloch constituent une importante remise en question de l’organisation prévalant depuis 2009 dans l’enseignement professionnel, qui n’a rien de cosmétique. On attend avec impatience de lire son Histoire engagée de l’enseignement professionnel, qui doit sortir à la rentrée aux Presses universitaires de Grenoble. On ne peut toutefois s’empêcher de constater que, si ces propositions visent à renforcer la formation, la réussite et l’insertion des élèves de l’enseignement professionnel, elles s‘inscrivent néanmoins dans le modèle dominant qui n’est pas interrogé dans cette note : celui qui veut que, nécessairement, ce soient les élèves aux résultats scolaires les plus fragiles qui soient orientés vers les formations professionnelles, quand ceux qui réussissent mieux, poursuivent en lycée général et technologique. Cette ventilation des élèves, apparemment scolaire, est en fait, profondément sociale et ségrégative. L’état de l’Ecole 2021 le confirme[3] : les jeunes issus de milieux populaires sont surreprésentés dans l’enseignement professionnel, ceux issus de milieux sociaux favorisés surreprésentés dans le général. N’y aurait-il pas là une bonne raison de l’angle mort médiatique et politique qui caractérise le lycée professionnel ?
Plus généralement, ne devrait-on pas, pour donner un souffle encore plus fort à la réflexion, questionner la séparation entre lycées professionnels et lycées généraux et technologiques, y compris au sein même des lycées polyvalents, où les bâtiments sont distincts et où les élèves se méconnaissent, et, plus globalement encore, la politique des savoirs qui conduit, de l’école au collège, à constituer des flux d’élèves dont les uns, en réussite, iront au lycée général, tandis que les autres iront au lycée professionnel, au risque de décrocher en cours de route ? Cette interpellation et sans doute nécessaire pour sortir définitivement du dualisme réducteur et ségrégatif qui caractérise notre enseignement. Elle est amorcée dans le jalon « technologie, enseignement professionnel et curriculum » proposé par le CICUR[4], au travers notamment de ces deux questions :
- « Quel est le sens profond de l’opposition général/technique et technologique/professionnel ? Doit-on conserver la hiérarchie des contenus enseignés en les réduisant à des savoirs d’usages ou à des savoir-faire techniques à mesure qu’ils s’adressent à des publics moins favorisés socialement et culturellement ?
- Quel sens donner à l’enseignement dit général dans la voie professionnelle (noter dans la réforme en cours une co-intervention associant un professeur de l’enseignement général et un professeur de l’enseignement professionnel) ? »
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[2] http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2022/06/23062022Article637915633033408069.aspx?
[3] https://www.education.gouv.fr/l-etat-de-l-ecole-2021-325732
[4] Collectif d'interpellation du curriculum : https://curriculum.hypotheses.org/165