Dans un éditorial publié le 22 janvier, intitulé L’école, ou le triomphe du corporatisme, Le Monde s’exclame : « Quelle palinodie ! » en évoquant la question de l’organisation du temps scolaire.
Depuis longtemps, en effet les constats des spécialistes comme des citoyens convergent. L’organisation du temps scolaire est en France, indique le journal, « la plus absurde et la plus contre-productive qui soit ». Ce diagnostic transcende les clivages politiques. On se souvient encore du large débat conduit en 2011 dans le cadre de la conférence nationale sur les rythmes scolaires réunie à l’initiative de Luc Chatel, sous le précédent quinquennat. Parmi les dix propositions retenues par consensus et présentées le 4 juillet 2011, la cinquième était ainsi libellée : « Au moins neuf demi-journées. Finies les semaines de quatre jours. Une semaine de classe devrait au moins s’étaler sur neuf demi-journées »[1].
On observera que le gouvernement Fillon ne s’est pas engagé ni à la rentrée 2011 ni en préparant la rentrée 2012 dans la mise en œuvre de tout ou partie des recommandations de la conférence nationale qu’il avait réunie. C’est le nouveau ministre Vincent Peillon qui a donc repris, à l’ouverture du nouveau quinquennat, le dossier là où l’avait laissé son prédécesseur.
Il l’a repris en annonçant clairement la couleur, et en engageant une concertation sur la refondation de l’Ecole, où la question du temps scolaire a, à nouveau, fait l’objet d’un consensus. Le rapport de la concertation publié en octobre 2012 propose clairement, dans la partie Vers l’école du futur, au chapitre Les élèves au cœur de la refondation, un objectif : Des rythmes éducatifs adaptés et respectueux des besoins des enfants qui comporte notamment la préconisation suivante : « Augmenter à l’école primaire le nombre de jours de classe, par la mise en place d’une semaine de quatre jours et demi. La demi-journée supplémentaire serait le mercredi, avec possibilité de dérogations au niveau des communes[2] ».
De Luc Chatel à Vincent Peillon, entre 2011 et 2012, on a donc agi dans un esprit de gouvernance fondé sur la démocratie participative, avec une conférence nationale en 2011, une concertation en 2012, qui ont abouti à des préconisations strictement cohérentes sur les rythmes scolaires.
Et voici donc le 22 janvier les professeurs des écoles de l’académie de Paris quasi unanimement vent debout contre la mise en oeuvre de cette mesure par la ville de Paris dès la rentrée 2013, et, le 23, les professeurs des écoles de France appelés par leur syndicat majoritaire à une journée nationale d’action[3]. Sous le titre Rythmes : pas sans les enseignants, ce syndicat s’insurge notamment contre le fait suivant : « aucun geste en terme de revalorisation des enseignants prenant en compte notamment les coûts engendrés par le passage à 4,5 jours». On ne se souvient pas que le syndicat ni le Ministère aient évoqué une dévalorisation lors du passage à la semaine de 4 jours en 2008… Plus sérieusement, cette affirmation syndicale passe sous silence le fait que, dans la négociation sur l’organisation nouvelle du temps de travail des enseignants, plus de temps a été donné à la formation et à la concertation sur le temps de travail, ce qui constitue une revalorisation effective.
Ce qui pose effectivement question, dans cette situation, c’est le fait qu’un gouvernement, composé après des élections dont la caractère démocratique n’est pas contesté, après avoir conduit une concertation qui a elle même succédé à une conférence nationale spécifiquement réunie sur le sujet, puisse se heurter, de la part d’une organisation syndicale partie prenante de la conférence nationale comme de la concertation, au mot d’ordre « pas sans les enseignants ».
On se heurte ici à ce qu’il convient bien d’appeler, comme l’a fait Le Monde dans cet éditorial, le corporatisme : la défense des intérêts d’un corps de métier prend le pas sur toute autre considération, et notamment, sur l’intérêt général, celui des enfants, de leur formation, de leur réussite, et, accessoirement, sur la délibération démocratique.
On ne peut souhaiter qu’un des acteurs, quel qu’il soit, puisse empêcher que soit réalisée une réforme décidée dans la concertation la plus large, qui va dans le sens de l’intérêt des élèves.
On voit bien que cette question touche, au delà de la question des rythmes scolaires, à la question éducative dans son ensemble.
L’école est l’affaire de la nation, pas la seule affaire des enseignants. C’est aussi celle des élèves, des parents, des collectivités, des responsables politiques, des scientifiques et chercheurs en sciences cognitives, de l’éducation, ou en sociologie, des citoyens. Au moment où il est question de refondation de l’école[4], on peut se féliciter que les dispositifs de large concertation, dans un esprit de gouvernance démocratique, aient permis de dégager les lignes de force de cette refondation. Mais on peut craindre que sa mise en application se heurte à un contre-pouvoir susceptible de bloquer le processus.
Car la refondation n’est pas l’affaire d’une loi, mais un travail continu qui doit s’attacher à progressivement refonder les pratiques pédagogiques et éducatives – en visant l’apprentissage par les élèves et pas seulement l’enseignement par les professeurs. Et cela ne peut se faire qu’en prenant le temps de l’écoute de toutes les parties prenantes, en respectant chaque point de vue, pour dégager des perspectives de progrès qui rassemblent.
Cette gouvernance démocratique semble encore aujourd’hui bien fragile. La culture héritée d’un pouvoir central auquel s’oppose un contre pouvoir corporatif paraît en effet avoir de beaux restes. Et le risque d’immobilisme, masqué par des mesures cosmétiques qui ne changeraient rien au fond, n’est pas exclu.
Cela confirme le constat de François Dubet… en 2005 : « Depuis Savary en 1981, toutes les réformes scolaires ont été refusées. Pour n'importe quel ministre de l'éducation, le risque maximum est de vouloir réformer. L'école échappe à tout contrôle politique. La crise du modèle français, ce n'est pas tant la crise du modèle lui-même que celle du contrôle politique que l'on exerce dessus.[5] »
[1] http://www.lemonde.fr/ecole-primaire-et-secondaire/article/2011/07/04/les-dix-propositions-pour-ameliorer-les-rythmes-scolaires-de-l-enfant_1544715_1473688.html
[2] http://www.education.gouv.fr/cid65727/remise-du-rapport-de-la-concertation-au-president-de-la-republique.html#Rapport_de%20la%20concertation
[3] http://www.snuipp.fr/Le-23-janvier-determines-pour-l
[4] http://www.education.gouv.fr/cid66812/projet-de-loi-pour-la-refondation-de-l-ecole-une-ecole-juste-pour-tous-et-exigeante-pour-chacun.html
[5] in Le Monde, 2-6-2005, propos recueillis par Rémi Barroux