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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 24 juin 2016

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Le parcours citoyen de l’élève: «enseigner et apprendre à vivre»?

Le parcours citoyen de l’élève affirme l’objectif de décloisonner les apprentissages, de fédérer les acteurs de l’éducation, l’école et ses partenaires, dans une démarche où l’élève fait l’expérience, dans la classe, la vie scolaire, l’établissement, le territoire, de la démocratie, du développement de son autonomie et de son appartenance à l’espèce humaine.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Empruntée à Rousseau par Edgar Morin pour en faire le titre de son manifeste pour changer l’éducation[1], la formule enseigner à vivre pourrait s’appliquer au parcours citoyen de l’élève tel qu’il est présenté dans la circulaire n° 2016-092 du 20-6-2016[2], pour peur qu’on ajoute à l’idée d’enseigner celle d’apprendre.

En effet, il suffit de lire les titres des quatre parties de la circulaire pour percevoir l’essentiel de ce parcours de l’élève. Il s’effectue « dans tous les enseignements de l’école au lycée, en particulier dans l’enseignement moral et civique et l’éducation aux médias et à l’information qui constituent des fils directeurs » ainsi que dans des « actions éducatives complémentaires de l'enseignement ». Enfin ce parcours est « au cœur de la relation entre l'école, l'établissement scolaire et les territoires ».De plus ce parcours « mobilise tous les acteurs » : les professeurs, bien sûr, mais aussi l’équipe de vie scolaire (conseillers principaux d’éducation et assistants d’éducation dont le rôle est souligné avec insistance), les personnels de santé, d'encadrement, d'orientation, d'aide (Accompagnant des Elèves en Situation de Handicap, AESH) et de suivi psychopédagogique, les agents, les personnels administratifs.

Nous insisterons sur trois éléments essentiels à nos yeux dans cette circulaire.

D’une part, elle donne toute sa place à un dispositif souvent négligé voire ignoré, celui des heures de vie de classe : tous les collégiens et les lycéens ont droit, depuis 16 ans désormais, à 10 heures par an de  vie de classe. « Les heures de vie de classe permettent aux élèves de délibérer, au-delà du moment de l'élection des délégués, sur toutes les affaires d'intérêt général, en particulier pour éclairer les points de vue exprimés par les délégués dans les instances officielles. Elles peuvent être des moments de rencontre avec toute ou partie de l'équipe pédagogique ou éducative mais aussi avec les agents, les personnels administratifs ou les assistants d'éducation. Il s'agit d'un temps ouvert pour un questionnement collectif sur la construction et l'application des lois et règles collectives, dans la classe, l'établissement, la société. Il importe qu'un cadre codifié voire ritualisé soit établi : ordre du jour préalable, fonctionnement des séances, rôles divers, relevé écrit des travaux, cahier de suivi, votes éventuels ».

 D’autre part, elle met en lumière le rôle essentiel des assistants d’éducation : «une attention particulière doit être portée au recrutement et à la formation des assistants d'éducation, continuellement au contact des élèves en dehors des cours, pour qu'ils contribuent à l'apprentissage des règles de vie collective et de l'engagement citoyen : proches et distants de par leur âge et en général leur statut d'étudiant, ils peuvent jouer un rôle majeur et exemplaire dans l'apprentissage de la responsabilité ».

Enfin, elle insiste sur la place des partenaires de l’école dans le parcours citoyen, au travers de

« - la connaissance et une meilleure appropriation par les élèves des institutions et des services publics, qui permettent de mieux appréhender les finalités des contributions financières obligatoires (impôts, sécurité sociale...) ;

- la découverte en situation de médias et de leur fonctionnement, la rencontre avec des professionnels de l'information ;

- la prise de conscience de l'existence du mouvement associatif et des possibilités d'engagement qu'il offre ;

- la découverte des activités professionnelles et des valeurs qu'elles mettent en jeu : travail, responsabilité, coopération, solidarité (en cela, le parcours citoyen croise le parcours avenir) ;

- la prise de conscience progressive des enjeux de protection, de sécurité, de défense civile et militaire, en complément de l'approche de l'enseignement moral et civique sur cette question, par le contact avec des représentants des corps de la sécurité civile, de la police, de l'armée, d'associations œuvrant dans le champ de la citoyenneté et pour la paix dans le monde, et d'associations partenaires de l'école publique ;

- la rencontre avec les élus et les représentants syndicaux ».

N’y aurait-il aucun regret à formuler à l‘égard de cette circulaire ?

Il est dommage que la place particulière que peut jouer le professeur-documentaliste comme référent de l’éducation aux médias et à l’information, fil conducteur du parcours citoyen de l’élève, ne soit pas évoquée. S’il est bon que, parmi les responsabilités prises par les élèves figure « la gestion et la valorisation des ressources et particulièrement du CDI ou de l'atelier  », on aurait pu mettre en valeur  le rôle du professeur-documentaliste pour fédérer une équipe large qui fasse du CDI un espace particulièrement propice à l’éducation aux médias et à l’information, la recherche d’information, la lecture, à la prise d’initiative, à l’autonomisation progressive des élèves comme à la conception et la réalisation de projets.

De la même manière, on constate que les parents ne sont évoqués qu'à quatre reprises : "l'aide à l'accueil des parents" figure parmi les responsabilités confiées aux élèves, "la qualité du dialogue de tous les personnels  avec les parents renforce l'efficacité du travail éducatif", "l'association des élèves et des parents à la co-fabrication et à la mise à jour du règlement intérieur est à renforcer", il importe de tisser "des liens au sein des territoires de proximité qui sont ceux de la vie quotidienne des élèves, de leurs parents". On pourra regretter que l'ensemble de ces occurrences ne suffise pas à faire de la co-éducation un axe fort du parcours citoyen de l'élève.

 Cette circulaire est donc bienvenue : elle articule le parcours citoyen à toutes ses composantes, mais se garde bien de le cloisonner par rapport aux autres parcours proposés à l’élève : « Ces actions combinées à celles mises en place dans le cadre du parcours d'éducation artistique et culturelle, du parcours avenir et du parcours éducatif de santé créent la dynamique nécessaire à l'inclusion de chacune et de chacun dans le collectif ».

Le parcours citoyen de l’élève peut  donc lui offrir la possibilité d’ « être humain » pour reprendre le manifeste d’Edgar Morin, d’accéder par la connaissance et la pratique  sinon à une « citoyenneté terrestre », du moins une citoyenneté ouverte sur le proche et le lointain comme sur l’environnement. Il s’inscrit donc bien dans la logique de refondation de l’école et dans la lignée de « formation de l’homme et du citoyen » préconisée par Langevin et Wallon, dès 1946 : « L’école, dit Paul Langevin, est une véritable entreprise de culture dont l’individu ne profite pleinement que s’il est soutenu par le milieu scolaire. L’école fait faire à l’enfant l’apprentissage de la vie sociale, et singulièrement de la vie démocratique[3]».


[1] Morin, Edgar, Enseigner à vivre, manifeste pour changer l’éducation, Actes Sud- Playbac, 2014.

[2] http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=103533

[3] La réforme de l’enseignement, projet soumis à M. le ministre de l’Education nationale par la commission ministérielle d’étude (1946), dit Rapport Langevin-Wallon

http://www.esen.education.fr/fileadmin/user_upload/Modules/Ressources/Rapports/langevinW.pdf

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