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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 25 janvier 2025

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Élisabeth Borne : mots-clés et impensés

Confiance, niveau, exigence, les mots clés des deux derniers mandats présidentiels sont bien au rendez-vous dans les propos de la nouvelle ministre. Mais l’examen de conscience exigeant de l'injustice scolaire attendra, puisqu’on garde les mêmes recettes qui échouent à la réduire.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De l’entretien de 26 minutes jeudi matin avec la ministre sur France-Inter[1], on retiendra d’abord quelques mots clés qui peuvent éclairer sa méthode et sa vision.

Sur le plan de la méthode, un mot a été martelé, celui de « confiance », dans les enseignants, les chefs d’établissement, les directeurs académiques et les recteurs -soigneusement énumérés- pour prendre les bonnes initiatives, innover en fonction du contexte où ils agissent. Plutôt que de transformer l’examen du brevet en examen d’entrée en seconde, mieux vaut, selon la ministre, faire confiance aux conseils de classe. On peut percevoir là un changement de ton dont il faudra apprécier, au delà du caractère du brevet, la traduction dans les actes. On se souvient de « l’école de la confiance » portée dans les discours et dans la loi de 2019 par le ministre Blanquer mais démentie par une pratique autoritaire où l’on a prescrit aux enseignants la bonne méthode et la seule, en rêvant de manuels scolaires labélisés…

Sur le plan de la vision, pas de changement en revanche. « Élever le niveau des élèves », cela passe toujours par « l’élévation du niveau d’exigence ». De quelle exigence et de quel niveau parle-t-on ? La ministre est très claire lorsqu’elle parle du brevet : les transformations qu’elle envisage visent à réduire la part du contrôle continu dans l’examen (la confiance dans les professeurs a donc des limites clairement posées) au profit de l’examen final. Est-il plus juste d’évaluer sur une épreuve que sur le travail d’une année ? La question ne se pose pas pour la ministre. Sur quoi portera l’examen final ? A n’en pas douter sur des « fondamentaux », dont la ministre a donné une liste lors de l’entretien : français, mathématiques, histoire et géographie, sciences de la vie et de la Terre et éducation morale et civique. Là encore, continuité ministérielle.

Ce qui est frappant, c’est que l’accent mis depuis 2017 sur les prétendus « fondamentaux », réduits au français et aux mathématiques, n’apporte pas d’amélioration aux inégalités socio-scolaires observées année après année dans notre École. Mais on va continuer, dit la ministre.

Surgissent alors deux non dits, partagés avec les journalistes qui n’abordent pas ces sujets. Le premier concerne le séparatisme scolaire qui prospère en France, avec à une extrémité des écoles ghettos populaires soigneusement évitées par celles et ceux qui ont les moyens de prétendre aux citadelles privées de l’entre-soi des privilégiés de la fortune et de la culture. La question a été fugitivement potée dans le débat par le ministre Pap Ndiaye, qui fut rapidement remercié et remplacé par la ministre Oudéa Castéra qui encensa le séparatisme social et scolaire symbolisé par l’institution privée Stanislas. Il y a là une urgence vitale pour une République qui « sape ses fondements » par « la ségrégation scolaire », comme le rappellent dans une tribune publiée dans Libération, ce vendredi, Jean-Paul Delahaye, Pierre Ouzoulias et Najat Vallaud-Belkacem[2].

Le deuxième non-dit manifeste un autre impensé de la ministre, impensé partagé avec celles et ceux qui l’ont précédée à son poste. A aucun moment n’est posée la question du choix de ce qu’on enseigne et de ce qu’on n’enseigne pas, de ce qui est pris en compte dans l’évaluation de la réussite des élèves et de ce qui ne l’est pas.

Ne faudrait-il pas, si l’on veut effectivement lutter contre ces inégalités sanctionnées par l’École, ne pas considérer que la solution est dans une focalisation accrue sur de prétendus « fondamentaux » mais plutôt dans le réexamen en profondeur de notre politique des savoirs ? Ni se contenter de penser qu'une mixité sociale accrue dans l'enseignement privé comme dans l'enseignement public, signerait à elle seule a fin des inégalités scolaires. 

Si en effet, dans une école devenue socialement mixte (ce qu'elle est, sauf exceptions, de moins en moins), on persistait à privilégier la seule prise en compte des savoirs académiques, faudrait-il s’étonner que celles et ceux qui baignent dans ces savoirs en famille réussissent, alors que ceux qui n’y baignent pas seront toujours mis en difficulté ? A concevoir comme auparavant, dans cette école idéalement mixte, la scolarité comme une compétition exigeante où gagnent les meilleurs et où les perdants sont écartés, faudrait-il s’étonner que l’on peine à sortir de l’école du tri qui exclut la promotion de tous ?

L’École ne devrait-elle pas être exigeante d’abord vis à vis d’elle-même et remettre en question le séparatisme scolaire et la néfaste politique des savoirs qui le renforce ? La ministre ne se pose pas cette question, et personne, parmi les deux journalistes qui la reçoivent et les auditrices et auditeurs, ne la lui pose.

On peut donc continuer à parler de « confiance », d’ « exigence », de « niveau » en toute bonne conscience. L’examen du brevet, on veut bien en parler. L’examen de conscience de l’École sur la ségrégation scolaire et la politique des savoirs attendra.

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[1] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-23-janvier-2025-8411723

[2] https://www.liberation.fr/forums/la-segregation-scolaire-sape-les-fondements-de-la-republique-20250124_CS5R3BE4AVFBBFKMM7436RE2JI/

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