Le numéro 91 de la Revue internationale d’éducation de Sèvres consacre son dossier, coordonné par une binôme international, Jose Weinstein et Werner Zettelmeier, aux syndicats d’enseignants au 21e siècle[1]. A travers l’Europe (Suède, Autriche, France), les Amériques (Pérou, Mexique, Etats-Unis, Ontario -Canada-), l’Afrique (Sénégal), l’Asie (Inde) et le syndicalisme enseignant international, le dossier offre un riche panorama, marqué par la diversité des cultures, des histoires, des positionnements par rapport à l‘Etat et au gouvernement.
Dans leur introduction, les coordonnateurs livrent les termes de leur réflexion : le syndicalisme enseignant se caractérise, différemment selon les territoires et les organisations, au travers quatre postures essentielles : celle de la défense des intérêts des enseignants (posture corporative), celle de la gestion régulière du système scolaire (posture de participation à la gouvernance), celle de porte voix pour former l’opinion éducative sur les réformes éducatives (posture d’influence citoyenne), celle d’acteur politique sur la scène nationale (posture politique). A travers ces différentes postures, les syndicats enseignants tentent de résister à l’érosion de la syndicalisation qui n’épargne pas le milieu enseignant et de dessiner les chemins d’un possible renouveau à travers des alliances nouvelles, des formes neuves de mobilisation pour peser positivement sur l’avenir de l’école.
Les approches internationales permettent d’illustrer des positionnements différents : en Suède, s’est établi un travail stratégique commun entre responsables politiques et syndicats ; en Autriche, la posture syndicale oscille entre défense des acquis et réformes éducatives ; au Pérou, le syndicat unique des enseignants a contribué au projet éducatif national élaboré dans les deux dernières décennies ; au Mexique, le syndicat unique influe jusque dans la politique du pays ; aux Etats-Unis, émerge un syndicalisme de justice sociale, né d’un processus interne de transformation des syndicats d’enseignants ; en Ontario, un travail de plaidoyer local et national à l’occasion de la crise pandémique tente de faire entendre les réalités de terrain et les dysfonctionnements des politiques mises en œuvre en toute méconnaissance de cause ; au Sénégal la recomposition du paysage syndical vise à relever des défis éducatifs multiformes dans un contexte de tension sociale ; dans un état de l’Union indienne, les chemins de la réinvention d’un syndicalisme plus efficace passent par une association informelle d’enseignants, afin de résoudre les problèmes persistants du système éducatif. A l’échelle globale, l’affiliation internationale des syndicats permet un syndicalisme d’influence dans les organisations éducatives internationales et de renforcer la conviction que les échanges internationaux favorisent la compréhension d’enjeux éducatifs partagés dans le monde.
Dans l’étude du cas français, André D. Robert revient sur l’histoire du 20e siècle pour expliquer le paysage actuel, marqué par l’héritage des visions différentes des instituteurs formés en école normale -devenus désormais professeurs des écoles formés à l’université- et des professeurs de lycée et collège qui l’ont toujours été. Contrairement aux approches caricaturales qui sont parfois données d’un syndicalisme partisan du statu quo ante ou d’accompagnement par la cogestion des politiques ministérielles, André D. Robert souligne l’importance dans plusieurs syndicats du travail conduit avec des chercheurs au sein d’instituts pour apporter aux enseignants des éléments de formation professionnelle et de réflexion citoyenne sur le rôle et la place de l’Ecole dans la société. Les entretiens réalisés auprès d’enseignants permettent de percevoir l’ambivalence de leur relation au(x) syndicat(s), entre nécessité vitale pour défendre leur profession et une vision de l’école non marchandisée, et prise de distance par rapport à des modalités d’action désuètes.
On retiendra notamment de ce dossier comme très éclairante l’analyse que propose André D. Robert des syndicats, partagés entre l’ étymologie de ce mot -le syndicos grec état chargé de défendre les citoyens contre les innovations- et une idéologie progressiste pour un certain nombre d’entre eux.
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