Jean-Pierre Veran (avatar)

Jean-Pierre Veran

formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Abonné·e de Mediapart

807 Billets

1 Éditions

Billet de blog 26 février 2023

Jean-Pierre Veran (avatar)

Jean-Pierre Veran

formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Abonné·e de Mediapart

Le Collège victime d’une idéologie scolaire partagée

Oui, notre Collège est « malade », mais c’est d’une idéologie scolaire largement partagée qui empêche de prendre en considération le système de tri social installé par une politique des savoirs cachée sous les oripeaux de la méritocratie républicaine.

Jean-Pierre Veran (avatar)

Jean-Pierre Veran

formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le ministre de l’éducation nationale parle du collège comme de « l’homme malade » du système éducatif français, et annonce qu’il entame la transformation du Collège[1]. Cela se traduit par le remplacement en 6e dès la rentrée 2023 d’une heure de technologie par une heure de soutien ou d’approfondissement en français ou en mathématiques. "Transformation", vraiment ?

On a là une parfaite illustration de l’idéologie scolaire dont est effectivement victime le Collège. Ce n’est pas en jouant sur un ou deux paramètres, une heure en moins ici remplacée par une autre heure là, qu’on trouvera le chemin de la « guérison » du Collège. D’autres ministres s’y sont, avant M. Ndiaye, essayés sans plus de succès. En effet, en se limitant à des mesures cosmétiques, on ne remet pas en cause le système du Collège, conforme à l’idéologie scolaire dominant encore le débat éducatif en France.

De quoi est composée cette idéologie ? Elle repose sur plusieurs croyances. La première est que les enseignements tels qu’ils sont conçus vont de soi. On a, pour enseigner aux collégiens, des professeurs de lycée et collège (PLC), formés pour enseigner aussi bien au Lycée général et technologique qu’au Collège. Il est donc naturel que les disciplines enseignées au Collège soient conformes à celles enseignées au Lycée général. Si le lycée est couronné par le baccalauréat, le Collège, lui, a aussi son examen terminal, le diplôme national du brevet (DNB). Et ces examens, reposent pour partie sur des épreuves terminales et pour partie sur un contrôle continu, pour lequel il est indispensable que les élèves aient des notes et des moyennes de ces notes. Il faut donc croire aussi à la parfaite justesse de la note et ne surtout pas se questionner sur le sens de la moyenne et de la moyenne de moyennes, la fameuse moyenne générale, en fonction desquelles est attribué ou refusé le diplôme. Les notes sont bonnes, voire excellentes, si l’élève travaille correctement, moins bonnes ou mauvaises s’il ne travaille pas suffisamment ou pas du tout. En effet, croyance complémentaire, chacun le sait et le répète, notre école tout entière est fondée sur la reconnaissance et la valorisation du travail, de l’effort, en un mot du mérite, et rien n’est plus républicain que cette méritocratie. Le ministre lui même se présente comme le pur produit de cette belle méritocratie. Il est donc parfaitement logique qu’à l’issue du collège s’opère "naturellement " le tri entre les élus qui vont poursuivre leur formation en lycée général et technologique et les autres, qui vont être orientés en voie professionnelle.

Il ne viendrait à l’idée de personne de se demander pourquoi les élèves issus de milieux favorisés sont sur-représentés en voie générale et ceux de milieux populaires sur-représentés en voie professionnelle. Il en va ainsi depuis toujours…

Voilà pourtant l’origine du mal qui frappe le collège : alors qu’il scolarise peu ou prou l’ensemble des générations d’élèves avant leur séparation en voies de formation distinctes après la troisième, il ne fait que préparer le tri final, qui consolide les inégalités sociales et culturelles, alors qu’une ambition authentiquement républicaine serait de les réduire.

Commet s’y prend-on, pour arriver à ce résultat ?

Rien n’est plus simple en vérité. La séparation règne à tous les étages et dans chaque pièce du puzzle. Les collégiennes et collégiens d’abord n’ont pas le même contexte de formation, selon qu’ils et elles sont scolarisé.e.s en collège privé sous contrat, en collège public « ordinaire » ou en collège public d’éducation prioritaire. Il s’opère, à travers ces trois modalités, un véritable tri social. Si l'indice de position sociale (IPS) moyen en France est de 103, un collège sur deux a un indice de position sociale moyen supérieur à 102. L'IPS est inférieur à 81 dans les 10 % des collèges les plus défavorisés et supérieur à 124 dans les 10 % des collèges les plus favorisés[2]. On est loin de l’égalité au cœur de notre devise républicaine tout autant qu’on l’est de la fraternité !

Ensuite, l’IPS d’un collège ne dit rien de la manière dont les élèves y sont répartis. On peut trouver dans un collège d’éducation prioritaire des classes particulières, dites à horaires aménagés, recrutant hors du quartier populaire et concentrant des élèves poursuivant une formation dans un conservatoire, classes où n’entrent que de rares « exceptions consolantes » issues du secteur de recrutement. Dans tous les collèges, pour les parents familiers des codes scolaires, les stratégies vont, par le choix des enseignements – langues vivantes, langues et cultures de l’antiquité-, contribuer à créer des entre-soi assurant une formation conduisant directement au lycée général. Quand une ministre a pensé assurer à toutes les collégiennes et collégiens l’enseignement d’une deuxième langue vivante dès la cinquième en supprimant l’enseignement à quelques uns d’une deuxième langue vivante dès la sixième, elle a vu se lever contre cette mesure une opposition souhaitant protéger un précieux entre-soi dès la sixième.

Enfin et surtout, le collège est censé assurer à tous ses élèves un socle commun de connaissances, de compétences set de culture. Mais qu’en est-il en vérité ? Sur le papier, au travers des heures d’enseignement –les cours- et des quatre parcours éducatifs, cela est prétendu possible. Mais quand l’essentiel du temps de formation utile est consacré aux seuls apprentissages académiques, que reste-t-il pour les autres ? Fort peu de place. Qui en sont les premières victimes parmi les collégiennes et collégiens ? Celles et ceux qui ne trouvent pas au sein de leur famille et de leur quartier les étayages dont ils auraient besoin pour apprendre à apprendre, pour trouver sens à ce qu’on leur enseigne, pour comprendre ce qui leur est demandé comme travail scolaire. C’est ainsi qu’année après année, l’écart déjà existant à l’entrée au collège se creuse entre les gagnants et les perdants de la compétition scolaire. Comme l’observe la direction de l’évaluation de la performance et de la prospective dans sa note d’information 19-02, « La motivation et le sentiment d’efficacité des élèves baissent de façon socialement différenciée au cours du collège[3]».

Le Collège, sous couvert d’une idéologie méritocratique, est foncièrement injuste, non pas du fait des personnels qui le dirigent et y enseignent ou éduquent, mais du fait même du système de séparation qui y règne. Séparation entre types de collèges, séparation entre ceux qui enseignent –les professeurs- et ceux qui éduquent (les conseillers principaux et assistants d’éducation, mais aussi les infirmiers, les psychologues de l’éducation nationale…), séparation entre les heures d’enseignement qui imposent aux élèves un zapping quotidien entre des savoirs non reliés, séparation des trajectoires de formation préparant à l’orientation en voie générale ou, par défaut, en voie professionnelle.

Si le Collège, maillon central de l’enseignement scolaire, était vraiment l’établissement qui prépare tous ses élèves à choisir en toute connaissance de cause une voie de formation, ses enseignements ne seraient pas exclusivement calqués sur ceux du lycée général. Attentif aux vulnérabilités de ses élèves, en particulier à celles liées aux conditions sociales et culturelles dans lesquelles ils vivent, il se soucierait de donner à toutes et à tous les compétences psycho-sociales indispensables à une vie scolaire et sociale épanouissante, au travers d’activités de formation qui ne se résoudraient pas aux seuls enseignements académiques actuellement inégalement dispensés, puisque pour certains l’ambition de formation se limite à l’acquisition des trop fameux « enseignements fondamentaux » (lire, écrire compter), quand pour d’autres l’approfondissement est le seul cap qui vaille. Pour doter tous les élèves d'une véritable culture commune du temps présent et à venir, ces mêmes enseignements académiques pourraient être repensés dans leurs choix, leurs hiérarchisations, leurs articulations entre eux et avec d’autres. Plutôt que de partir de programmes scolaires fermés sur eux-mêmes, ne pourrait-on pas imaginer de partir des grandes questions posées par le monde en transition dont nos collégiennes et collégiens sont les héritiers, pour examiner les contributions que les arts et les sciences, les philosophies d’ici et d’ailleurs sont susceptibles d’apporter pour doter chacune et chacun, et chaque génération de la culture dont elles et ils ont besoin pour affronter les enjeux du siècle actuel ?

Il faut "transformer "le Collège, c’est un fait. Saisissons ce constat pour procéder à autre chose qu’un énième et tout aussi vain rapetassage. Posons-nous la seule question qui vaille : qu’est-il indispensable que les collégiennes et les collégiens maîtrisent pour poursuivre un chemin de formation épanouissant et leur permettant d’être acteurs cultivés, lucides, solidaires et engagés dans leur établissement, leur cité et dans le monde ? Quelle politique des savoirs peut répondre aux enjeux actuels d’un monde complexe ?

____________________________________________

[1] https://www.education.gouv.fr/le-ministre-de-l-education-nationale-et-de-la-jeunesse-pap-ndiaye-annonce-des-premieres-mesures-pour-343996

[2] https://www.education.gouv.fr/inegalites-sociales-motivation-scolaire-offre-de-formation-decrochage-6956

[3] https://www.education.gouv.fr/la-motivation-et-le-sentiment-d-efficacite-des-eleves-baissent-de-facon-socialement-differenciee-au-5582#:~:text=Le%20sentiment%20d'efficacit%C3%A9%20scolaire,les%20caract%C3%A9ristiques%20individuelles%20des%20%C3%A9l%C3%A8ves.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.