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Billet de blog 26 avril 2025

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Nouveau « socle commun » : des écarts, mais dans le cadre établi

Le Conseil supérieur des programmes (CSP) publie un projet de nouvelle version du socle commun de culture. La commande ministérielle étant on ne peut plus cadrée, on ne sera pas surpris d’y lire la poursuite d’une politique des savoirs héritée du passé.

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Le CSP vient de publier en cette fin avril un projet de nouvelle version du « socle commun de compétences, de connaissances et de culture[1] », dont la version antérieure remontait aux années de la refondation de l’école, il y a dix ans déjà[2]. Il a répondu ainsi à la lettre de saisine de l’éphémère ministre Belloubet du 13 mars 2024, qui cadrait étroitement l’exercice, conformément au « choc des savoirs » promu par son prédécesseur Attal  : « désormais organisé autour de compétences disciplinaires, son contenu sera structuré autour de quatre grands axes :

- connaissances et compétences fondamentales en français

- connaissances et compétences fondamentales en mathématiques

- compétences psycho-sociales

- connaissances de culture générale ».

Dans ce cadre, les rédacteurs du nouveau socle ont eu l’audace de ne pas suivre à la lettre la hiérarchie des priorités affichées dans la lettre de saisine, en rappelant d’abord les principes, valeurs et finalités de la scolarité obligatoire, puis en déclinant d’abord les éléments de culture commune (et non de culture générale !), puis les apprentissages éthiques et aptitudes de civilité, les apprentissages fondamentaux de français et de mathématiques ne venant qu’en quatrième partie, suivis par les apprentissages fondamentaux (eux aussi !) dans les disciplines et éducations transversales, puis les contributions des disciplines aux éléments de culture commune, et enfin celles des différents champs disciplinaires aux apprentissages fondamentaux de français et de mathématiques.
On retiendra donc d’abord l’écart de ce nouveau socle par rapport à l’attente ministérielle. D’une part, il place en priorité, une fois les finalités définies, l’acquisition d’une culture commune et non générale : l’accent est ainsi mis sur la volonté de faire de l’école un espace d’acquisition d’une culture partagée par les générations et non d’une prétendue « culture générale » dont on connaît l’aspect réducteur et élitiste. D’autre part, l’acquisition de compétences d’ordre corporel et sensible, d’ordre psychologique et social, d’ordre moral et civique, outre qu’elle élargit notablement le cadre fixé par la commande ministérielle qui ne portait que sur les compétences psycho-sociales, précède, dans la composition de ce socle commun, les trop fameux « apprentissages fondamentaux en français et en mathématiques » qui étaient la première priorité ministérielle.

Une fois saluée la volonté apparente de préserver la spécificité d’un tel texte, censé donner le sens de la scolarité obligatoire, de 3 à 16 ans, non à partir de disciplines prédéfinies mais à partir d’objectifs de culture commune qui les intègrent et les dépassent, il faut entrer dans la lecture attentive de ce document pour en caractériser l’esprit.

On doit alors se rendre à l’évidence : le modèle hérité du passé de la scolarité obligatoire française a encore de beaux jours devant lui.

Dès le préambule, les auteurs affirment que « précisément articulé aux programmes scolaires nationaux encadrant les enseignements disciplinaires et transversaux, le Socle commun de connaissances, de compétences et de culture pose les bases d’un acquis scolaire partagé ». On lit bien : c’est le socle commun qui est articulé aux programmes scolaires nationaux et non l’inverse. Il procède des enseignements disciplinaires et transversaux, déjà conçus et ordonnés, et a donc, pour modeste ambition, de repérer, dans les programmes existant, ce qui peut, discipline par discipline, contribuer à l’acquisition de telle ou telle compétence ou savoir.

La suite de la lecture en apporte continûment la preuve. Un objectif, ou plutôt un vœu pieux est exprimé  à propos du parcours de formation et des différents éléments qui le composent : « Loin de rester cloisonnés, ces différents éléments et moments de formation contribuent à l’émergence d'une culture humaniste puisant dans l’ensemble des champs disciplinaires – scientifiques, littéraires, linguistiques, historiques et géographiques, artistiques, technologiques, physiques et sportifs ». Mais, à lire attentivement le texte, on est amené à faire les constats suivants.

La manière dont sont présentés les contributions des disciplines aux douze éléments de culture commune recensés est très éclairante. Le tableau est à chaque fois composé de lignes reprenant dans l’ordre alphabétique les disciplines scolaires et éducations transversales et détaillant les contributions de chacune. En aucun cas n’est envisagée l’articulation de deux ou plusieurs disciplines, chacune restant enfermée dans son couloir. De la même manière, les éducations transversales ne se croisent jamais : l’éducation au développement durable, par exemple, n’est évoquée que pour le dixième élément de culture commune, Comprendre et interroger rationnellement les transformations environnementale, climatique, énergétique et leurs conséquences. On aurait pu s’attendre à ce qu’elle soit également contributrice à Se situer dans l’espace et dans le temps, S’ouvrir aux richesses des autres cultures, Découvrir, observer, questionner et décrire le monde, mais elle doit rester à sa place unique. Il en va de même avec l’éducation aux médias et à l’information, qui est assignée à Faire preuve d’esprit critique, mais absente de Raisonner, définir, argumenter, démontrer, prouver, avoir le sens de la vérité, Comprendre et interroger rationnellement les transformations environnementale, climatique, énergétique et leurs conséquences, et, surtout, Disposer d’une culture du numérique, en maîtriser les usages et en apprécier les enjeux.

Plus globalement, ce nouveau socle commun s’inscrit parfaitement dans le cadre le plus traditionnel de notre organisation scolaire. La première phrase du chapitre consacré à la culture commune est on ne peut plus claire à ce sujet : « La scolarité obligatoire repose sur les apprentissages disciplinaires dotés de leurs caractéristiques et objectifs spécifiques, présentés en détail dans les programmes qui leur sont consacrés ». Cela implique qu’à l’école, ce qui se joue dans la classe est plus important que ce qui se joue en dehors d’elle (on cherchera vainement dans ce nouveau socle commun plus d'une allusion à la vie scolaire, exclusivement évoquée à propos des "enjeux citoyens"), et que le maître mot demeure celui de programme et non celui d’expérience d’apprentissages variés effective pour tous les élèves. Cela implique aussi que les enseignements transversaux ne peuvent passer qu’au travers des disciplines déjà-là, et qu’il n’est pas envisageable d’associer, par exemple, dans une même démarche d’apprentissage éducation aux médias et à l’information et éducation au développement durable. Sans doute pour une bonne raison qui apparaît quand on observe ce qui est écrit de la contribution de l’éducation au développement durable à l’élément 10 de la culture commune : les deux items (« connaître la définition… », « appréhender les différentes questions… ») renvoient bien à des savoirs strictement scolaires, et pas à une pratique sociale, civique scolarisée. Ce n’est pas avec une telle conception qu’on verrait, en France, des écoliers écrire à un préfet pour le questionner sur la construction d’un barrage hydroélectrique, comme cela a pu être le cas en Inde[3].

Cette proposition de nouveau socle commun ne bouleverse donc en rien les hiérarchies et les cloisonnements héritées d’une politique des savoirs venue du passé. Décidément, l'école française n’en a pas fini, pour reprendre à son sujet les mots de Paul Valéry, d’ « entrer dans l’avenir à reculons ».

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[1] https://www.education.gouv.fr/le-conseil-superieur-des-programmes-41570

[2] https://www.education.gouv.fr/le-socle-commun-de-connaissances-de-competences-et-de-culture-12512

[3] Anita Rampal, Radhika Menon et Nadia Lausselet, « Indian engagement with education for sustainable development and the primary school curriculum », Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 95 | avril 2024, mis en ligne le 01 septembre 2024, consulté le 26 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/ries/15346 ; DOI : https://doi.org/10.4000/127vt

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