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Billet de blog 26 juin 2024

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Abolir le « choc des savoirs », oui, les conserver en l’état, non.

Sans mixité des savoirs, la mixité sociale ne saurait venir à bout des inégalités sociales et scolaires à l’Ecole. C’est un enjeu majeur, mais jusqu’à présent non mentionné dans le programme, de la grande loi d’éducation annoncée par le nouveau front populaire.

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Le programme du nouveau front populaire[1] consacre à l’éducation une part constante, qu’il s’agisse de la rupture des 15 premiers jours, des bifurcations des premiers mois qui suivent, et des transformations qui les suivront. On y retrouve des objectifs bien connus de la gauche : gratuité effective, essor du sport scolaire, baisse des effectifs par classe, revalorisation des salaires et des métiers, promotion de la liberté pédagogique, recrutement massif pour compenser les postes manquants, laïcité conforme aux principes de 1905, émancipation de la jeunesse…

Bien évidemment, la première mesure emblématique est l’abolition du "choc des savoirs". On a suffisamment dans ce blog dénoncé le caractère réactionnaire de cet affichage du collège comme gare de tri scolaire et social dès la 6e pour ne pas s’en réjouir. Réaffirmer la liberté pédagogique si entamée par les prescription incessantes venues d’en haut est nécessaire, surtout si l’on pense à une liberté pédagogique collective, reposant sur la coopération des personnels dans les écoles, collèges et lycées plutôt qu’à un individualisme pédagogique plus confortable pour l’enseignant que fructueux pour les élèves qui lui sont confiés.

Mais suffit-il d’abolir la dernière réforme pour que tout soit résolu ? Certainement pas. La mixité sociale prise en compte dans les moyens affectés aux établissements publics et privés changera-t-elle radicalement la donne ? Non plus. Outre le fait que les établissements peuvent afficher une mixité sociale statistique de leur public scolaire en organisant les enseignements en séparant ce public entre, par exemple, ceux qui suivent une section internationale et européenne et ceux qui découvrent les métiers, la mixité sociale au sein même des classes ne saurait abolir le fait que certains élèves sont en pays de connaissance dans les apprentissages académiques, tandis que d’autres s’y trouvent en exil. Ce n’est pas là qu’une affaire de pédagogie même si une pédagogie coopérative sera plus favorable aux apprentissages de celles et ceux qui sont en fragilité par rapport aux savoirs scolaires. Sans mixité des savoirs, la mixité sociale est impuissante à résoudre les inégalités scolaires.

Il faut, pour en finir résolument avec l’école injuste, tenir compte de la place que prennent le choix des savoirs enseignés, leur hiérarchisation dans la réussite de certains et l’échec des autres.

Tout est fait depuis longtemps pour que le Collège, qui accueille tous les élèves d’une génération, prépare exclusivement à l’entrée au lycée général en enseignant les mêmes disciplines avec les mêmes professeurs qu’au lycée, et en envoyant dans la voie professionnelle celles et ceux, soit un tiers des collégiens, qui « n’ont pas le niveau » dans les enseignements exclusivement généraux du Collège.

Cela n’est pas une fatalité, mais le résultat d’une mécanique ségrégative très efficace. Les moyens d’en venir à bout sont multiples. Pourquoi ne pas offrir à l’ensemble des collégiens la découverte des métiers, des entreprises et des services qu’on réserve à quelques-uns ? Pourquoi les dynamiques pédagogiques développées pour tel ou tel segment des collégiennes et collégiens ne profiteraient-elles pas à toutes et tous ? Pourquoi ne pas rompre avec un système de notation qui sanctionne plus volontiers les « fautes » qu’il ne valorise les progrès ? Pourquoi ne le fait-on pas, alors? Parce que l’on ne s’est jamais prononcé clairement sur ce qu’il est important d’apprendre à toutes et à tous et sur la manière de le vérifier. Il ne s’agit pas là d’une affaire de spécialistes, il s’agit d’une question démocratique fondamentale : quelle école voulons-nous pour instituer quel type de société ? La société du chacun pour soi a tout à gagner à la poursuite de notre système scolaire actuel. Un société solidaire, émancipatrice pour toutes et tous a tout à y perdre. C'est ce que rappelle le CICUR dans une tribune publiée aujourd'hui par Le Café pédagogique[2].

Alors, il serait souhaitable que « la grande loi d’éducation » promise par le NFP soit l’occasion d’un vaste et long débat préparatoire permettant aux citoyennes et citoyens d’échanger sur ce que nous souhaitons que l’école apprenne à tous les enfants et jeunes de France, et que, une fois ces objectifs validés, on ne réinstalle pas, comme si de rien n’était, les programmes scolaires des disciplines déjà là avant le débat, mais qu’on veille à organiser un parcours de formation qui associe étroitement savoirs et savoir agir, grâce à l’articulation féconde des matières scolaires entre elles et avec d’autres champs prioritaires de formation. Ainsi se donnerait-on quelque moyen jusqu'ici non employé de réduire la ségrégation sociale et scolaire à l’École et de préparer vraiment les futures citoyennes et futurs citoyens à prendre toute leur part à la résolution des grandes questions de leur siècle.

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[1] https://lafranceinsoumise.fr/wp-content/uploads/2024/06/Programme-nouveaufrontpopulaire.pdf

[2] https://www.cafepedagogique.net/2024/06/26/lenjeu-des-elections-legislatives-de-2024-sur-le-futur-de-lecole-et-de-leducation/?utm_campaign=Lexpresso_26-06-2024_1&utm_medium=email&utm_source=Expresso

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