Ouvrant pour la première fois en six ans une réunion des recteurs d’académie en Sorbonne[1], le Président de la République a tenu à préciser le « changement de méthode » qu’il préconise puisque « tout ne va pas bien dans le meilleur des mondes possibles » et que « quelque-chose ne marche pas dans notre organisation collective ».
Le constat n’est pas nouveau et s’appuie sur un certain nombre de réalités indiscutables : la « cruauté » des évaluations internationales, « le fait que notre système scolaire ne corrige pas suffisamment les inégalités de naissance, que la réussite d’un enfant reste trop dépendante de l’origine sociale de ses parents, que le métier de professeur n'attise plus le rêve et que les vocations se tarissent ». « Nous avons un gâchis collectif. Un gâchis dans l'orientation en amont, un gâchis pendant, et un gâchis après, qui rend tout le monde malheureux. Cette situation, elle fait subir une expérience d'entrée dans la vie active traumatisante à trop de ces jeunes, comme je le disais souvent, issus de milieux modestes ».
Le Président propose donc « une méthode nouvelle qui part du bas », « une révolution copernicienne » au regard de la tradition hiérarchique et bureaucratique du commandement au sein de l’institution scolaire[2].
Tout va-t-il donc changer ? Certes non. Car il est quelque chose à quoi le Président se réfère, c’est l’imaginaire éducatif dominant qui repose sur quelques sacro-saints piliers, plus inébranlables que la bureaucratie ministérielle. Quelles en sont les composantes présentes dans le discours de la Sorbonne ?
« Nous voulons faire de cette école, de notre école, le terreau où grandit l’égalité des chances et pas le terrain des reproductions sociales. C’est pourquoi l’école doit être un vivier brassé par la solidarité républicaine ». L’égalité des chances est donc fidèle au rendez-vous de l’imaginaire éducatif. Rousseau en montrait l’inanité dès 1754 dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, avec l’image du nain et géant marchant sur la même route : « Non seulement l'éducation met de la différence entre les esprits cultivés et ceux qui ne le sont pas, mais elle augmente celle qui se trouve entre les premiers à proportion de la culture ; car qu'un géant et un nain marchent sur la même route, chaque pas qu'ils feront l'un et l'autre donnera un nouvel avantage au géant ».
Les « apprentissages fondamentaux » et « savoirs fondamentaux », constituent une autre pièce essentielle du puzzle éducatif. Ils ne sont pas définis par le Président, si ce n’est, à propos du lycée, que « nous continuerons à renforcer les mathématiques, dans le tronc commun — toujours dans cette logique d'étayer les savoirs fondamentaux ». On connaît la formule résumant les savoirs fondamentaux selon le ministre Blanquer « qui a œuvré sans relâche » : lire, écrire, compter, respecter autrui. On en trouve l’écho plus loin dans le discours : « D'abord, mieux former les élèves, c'est-à-dire mieux leur transmettre les savoirs essentiels, les valeurs de la République, qui sont aussi celles du dialogue, du respect et de la laïcité pour leur permettre justement de s'épanouir ». Cette focalisation sur de prétendus « fondamentaux », Jules Ferry la pourfendait, en affirmant en 1881 au congrès pédagogique des instituteurs et institutrices de France :
« C’est autour du problème de la constitution d’un enseignement vraiment éducateur que tous les efforts du ministère de l’Instruction publique se sont portés […]. C’est cette préoccupation dominante qui explique un très grand nombre de mesures qui […] pourraient donner prétexte à des reproches d’excès dans les nouveaux programmes, d’accessoires exagérés […] : les leçons de choses, l’enseignement du dessin, les notions d’histoire naturelle, les musées scolaires, la gymnastique, le travail manuel, le chant, la musique chorale. Pourquoi tous ces accessoires ? Parce qu’ils sont à nos yeux la chose principale, parce que ces accessoires feront de l’école primaire une école d’éducation libérale. »
Si Rousseau et Ferry parlent d’éducation, ce mot est absent du discours du Président, parce que, dans l’imaginaire éducatif au sein duquel il développe sa pensée, l’école reste plutôt un lieu d’instruction que d’éducation : « nous avons rendu l’instruction obligatoire dès trois ans » rappelle-t-il.
Aussi n’y-a-t-il dans son discours aucune attention portée à la question des savoirs, qui ne sont pas interrogés : pourquoi enseigne-t-on ceci et pas cela ? Ceci à certains et pas à d’autres, comme les élèves des lycées professionnels -à qui le Président prête attention dans son discours sans mentionner l'inégalité d'accès aux savoirs qui les frappe-, selon des critères qui sont justement liés à l’origine sociale des élèves ?
C’est ici que le bât blesse. En esquivant cette question fondamentale de la politique des savoirs, le Président appelle à changer la méthode sans interroger les contenus enseignés aux élèves. Les mêmes causes produisent les mêmes effets, il est à craindre que la nouvelle méthode n’apporte pas de réponse probante au « gâchis collectif » qu’il a lui même souligné : «Force est de constater que le nombre d’élèves en difficulté en 10 ans a augmenté de 10 points ». Il n’est pas sûr, en restant enfermé dans un imaginaire éducatif porteur de nos échecs actuels, que « c’est à l’école aussi que se bâti(sse) le progrès collectif, c'est-à-dire la capacité à conjurer le déterminisme social et donc la société de progrès ».
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[2] « Ce que je ne veux pas, c'est qu'au fond, on leur dise après 4 mois : « vous avez des supers idées. Maintenant, nous, on va se concerter entre sachants à Paris et on revient vers vous » et 6 mois plus tard, de débouler avec un cahier des charges national où on leur dira : « on a tous mieux compris que vous, et on a regardé le type à Lons-le-Saunier a une bonne idée. On va la généraliser en France entière ». Ça, c'est ce qu'on fait depuis toujours, ça ne marche pas ».