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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 26 septembre 2017

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Démissions d’enseignants : qu’en sait-on aux Etats-unis… et en France ?

Si la question des démissions enseignantes est documentée aux Etats-Unis, ainsi qu'en témoigne une récente étude, elle semble plus taboue en France : comme le note un rapport sénatorial de 2016, « le ministère n’a pas fourni d’explications à cette augmentation du taux de démission des enseignants stagiaires ».

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le Learning Policy Institute de Palo Alto (Californie) vient de publier une étude[1] sur le renouvellement des enseignants aux Etats-Unis, qui ne manque pas d’intérêt.

On y apprend notamment qu’en cette rentrée, 100 000 classes aux Etats-unis sont confiées à des enseignants non qualifiés qui sont recrutés pour faire face aux vacances de postes, dues pour les deux tiers à l’insatisfaction professionnelle de ceux qui démissionnent. Cette usure des enseignants états-uniens est deux fois plus forte qu’en Finlande, à Singapour ou en Ontario (Canada).

Cette « usure » à un double coût, sur la réussite des élèves, et sur les budgets, évalué à 20000 $ pour un district urbain.

L’étude permet aussi de savoir qui quitte l’enseignement et pourquoi. Les taux de départ sont plus fort dans le sud que dans le nord ouest des Etats unis, où les Etats offrent de meilleurs salaires, de meilleures conditions d’enseignement et ont un investissement éducatif supérieur.

Le manque d’enseignants est plus fort dans certaines disciplines (mathématiques, sciences, langues anglaise et étrangères, notamment), et 50% plus important dans les écoles accueillant des enfants de familles à bas revenus, et 70% plus fort dans les écoles accueillant les plus grandes proportions d’élèves de couleur.

Les enseignants recrutés de manière alternative sont 25% plus nombreux à être susceptibles de quitter leur métier. La manque d’appui institutionnel, le niveau des salaires, la pression de la reddition de comptes, l’absence de perspective d’avancement, les mauvaises conditions de travail sont autant de facteurs clés de ce décrochage.

Les auteurs recommandent donc aux niveaux fédéral, étatique et des districts d’améliorer la formation et l’accompagnement professionnels, les conditions d’enseignement.

Cette étude complète utilement les données fournies sur ce même pays dans le numéro 74 de la Revue internationale d’éducation de Sèvres (RIES) consacré aux enseignants débutants[2]. Elle suscite également chez le lecteur français le désir de confronter les donnés états-uniennes à nos propres données. Or, si la question est traitée dans certains pays comme le Canada ou la Suède, ou par certaines organisations internationales comme l’OCDE ou la Commission européenne, il faut bien reconnaître que les études françaises sur le sujet sont peu nombreuses et les données relativement limitées. C’est un rapport du Sénat qui a fourni en 2016 quelques indications sur la progression du phénomène dans le premier et le second degrés : entre 2012 et 2015, les nombre de démissions a triplé chez les professeurs des écoles et doublé chez les professeurs de collège et lycée[3]. Les travaux de Pierre Périer (Professeurs débutants: les épreuves de l'enseignement, PUF, 2014) et de Pascal Guibert, auteur d'un article dans le dossier de la RIES sur les enseignants débutants, fournissent de précieux éclairages sur la vulnérabilité des nouveaux enseignants et des pistes de réflexion pour améliorer cette situation. Mais il est dommage que les publications fort riches de la direction de l’évaluation de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’éducation nationale n’apportent pas leur contribution à la connaissance fine de ce phénomène. Par exemple, le numéro de la revue Education et formation, paru en novembre 2016 et intitulé Les enseignants : professionnalisation, carrières et conditions de travail[4], n’aborde pas de front la question des démissions enseignantes. Une étude indique que les enseignants sont exposés à des risques psycho-sociaux plus forts que ceux des cadres, que cela tient notamment à l’intensité forte du métier, à ses exigences émotionnelles et au manque de soutien de la hiérarchie et des collègues ; une autre traite de la violence subie au travail par les enseignants ; mais le phénomène de la démission des enseignants n’est évoqué que dans une note de bas de page, page 58, dans une citation du rapport du médiateur de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur… C’est dire la frilosité du ministère sur ce sujet, soulignée par le sénateur Carle, auteur du rapport cité ci-dessus, qui écrit : « le ministère n’a pas fourni d’explications à cette augmentation du taux de démission des enseignants stagiaires ». Il serait sans doute utile de les chercher…

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[1]
Desiree Carver-Thomas
et Linda Darling-Hammond, Teacher Turnover : Why It Matters and What We Can Do About It, https://learningpolicyinstitute.org/product/teacher-turnover-report

[2] https://ries.revues.org/5742

[3] http://www.senat.fr/rap/a16-144-3/a16-144-31.pdf

[4] http://cache.media.education.gouv.fr/file/revue_92/08/7/depp-2016-EF-92_686087.pdf

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