Demain le département de Seine-Saint-Denis inaugurera un « observatoire de la mixité scolaire et de l’attractivité »[1]. Le plan prévu par le rectorat de Créteil et le conseil départemental pour améliorer la mixité sociale dans les collèges de ce département est ainsi résumé, dans le chapô de l’article que lui consacre Le Monde daté de vendredi : « des collèges de Seine-Saint-Denis vont proposer des "sections attractives" ».
Cela signifie qu’un tiers des collèges du département proposeront « classes à horaires aménagés pour concilier scolarité et pratiques artistiques, sections internationales, ou encore des sections sportives » ainsi que le dispositif « huit heures-18 heures » proposant sur cette tranche horaire des activités complémentaires de soutien scolaire, ateliers et activités sportives en complément des enseignements.
Le problème est réel : le pourcentage d’élèves qui, à l’issue de l’enseignement primaire public n’intègrent pas leur collège de secteur atteint 35%, qui se répartissent entre autres collèges publics et enseignement privé sous contrat. Le différentiel d’indice de position sociale entre collèges publics et privés sous contrat est éloquent : pour une moyenne nationale de 100, les collèges publics du département sont à 87,9 et les collèges privés sous contrat, pour une moyenne nationale de 117, culminent à 118.
Mais il n’est pas sûr que le plan prévu atteigne les objectifs fixés.
D’une part, parce qu’il faudrait encore, pour que la mixité sociale soit réelle et non pas exclusivement statistique, que les élèves recrutés dans les sections d’excellence soient scolarisés dans des classes mixtes et non dans des classes spécifiques recréant au sein du collège un entre-soi de non -mixité. Cet entre-soi qui rassure les parents tentés par l’évitement du collège de secteur et qui permet de composer, sur des critères apparemment exclusivement scolaires de « bonnes classes », mais aussi de bien moins bonnes, reproduisant en fait ainsi, à l’intérieur d’un même établissement statistiquement mixte socialement, la séparation sociale et culturelle entre les élèves.
Mais d’autre part, quand bien même on veillerait à une composition socialement équilibrée des classes, on ne toucherait absolument pas à la non mixité des savoirs.
Les savoirs en effet enseignés et valorisés au collège sont essentiellement des savoirs académiques, enseignés dans des disciplines soigneusement hiérarchisées. Des savoirs indispensables à la formation des jeunes sont soigneusement tenus à l’écart des enseignements proposés : se familiariser avec des gestes professionnels, incorporer des compétences indispensables en alimentation, pour grandir en bonne santé, pour éprouver les bienfaits de la coopération, ne sont qu’exceptionnellement proposés aux collégiennes et collégiens. Ce régime strictement académique garantit la réussite de celles et ceux dont la famille est familiarisée avec cette culture scolaire-là tout comme elle garantit la difficulté ou l’échec aux autres, qui ne pourront donc pas prétendre entrer en section internationale ou classe à horaire aménagé…
Si l’on veut faire reculer l’échec scolaire des jeunes issus de milieux populaires, il faut accompagner la politique de mixité sociale d’une politique de mixité des savoirs : on serai tenté de questionner, par exemple, quelles langues seront proposées dans les sections internationales, et quelle place y tiendra, par exemple, la langue arabe. Poser cette question n’est pas enfermer les élèves dans une assignation linguistique, mais aider à prendre conscience de ce que charrie notre imaginaire éducatif en termes de représentations jamais interrogées de l'excellence linguistique.
La vitrine de mixité sociale annoncée par ce plan en Seine-Saint-Denis risque de n’être qu’un leurre faute d’avoir travaillé la question des savoirs enseignés au Collège. Cette question est au cœur du Manifeste pour le Collège[2] que j’ai co-écrit avec Roger-François Gauthier, dans le cadre des travaux du CICUR[3]. Ce dont tous les collèges de France, dont ceux de Seine-Saint-Denis, ont besoin, c’est d’une politique des savoirs rompant avec les impensés de l’actuelle politique héritée d’un lourd passé et tacitement reconduite au fil des décennies.
______________________________________
[1] https://journal.lemonde.fr/data/4056/reader/reader.html?xtor=EPR-32280632-[jelec]-20240926-[cta_lire]#!preferred/0/package/4056/pub/5729/page/14/alb/225454
[2] Gauthier, R-F, Véran, J-P, Manifeste pour le Collège (P)oser les vrais termes du débat, CUIP-Librinova, 2024
[3] Collectif d’interpellation du curriculum https://curriculum.hypotheses.org/