Actuellement, la campagne lancée par le ministère de l’éducation nationale « Inscrivez-vous aux concours de recrutement d'enseignants » bat son plein, puisque les inscriptions à ces concours sont ouvertes. Cette campagne est appuyée par un spot radio diffusé notamment sur France Inter, spot qui ne manque pas de révéler la manière dont l’imaginaire éducatif collectif, voire national, notamment en ce qui concerne le premier degré, est certes en décalage avec la réalité, mais la modèle fortement.
Selon les dernières statistiques ministérielles[1], la part des femmes dans les corps enseignants est particulièrement forte dans le premier degré, surtout le premier degré privé (92 % contre 85 % dans le public). Mais c’est, dans le spot radio, une femme qui interroge un professeur homme. On verra là sans doute l’objectif de sensibiliser le public masculin à l’intérêt de s’engager dans ce métier.
Les propos tenus par ce jeune professeur des écoles sont les suivants : « Tu sais, dans ma classe de CE1, l’élève qui a du mal avec l’écriture, ce matin, il a terminé sa dictée dans les temps et avec une seule faute ».
Tout y est : pour entrer sereinement dans l’activité d’écriture, rien de tel que la dictée, et la dictée chronométrée. Et, bien entendu, à une dictée, on ne peut faire que des « fautes », et non des erreurs. Tout se passe comme si l’équipe de conception du spot et les responsables qui ont validé cette proposition voulaient non pas évoquer le métier d’enseignant tel qu’il se pratique aujourd’hui, dans la grande diversité des approches pédagogiques, privilégiant par exemple l’entrée en écriture par le récit plutôt que par la dictée mais réactiver une imagerie qui flatte moins les véritables souvenirs d’école de ses auditeurs les plus âgés qu’un imaginaire collectif transmis de génération en génération. Il s’agit de laisser penser que l’école de jadis telle qu’on la rêve dans le mythe scolaire français est toujours là, avec son exercice couperet emblématique, la dictée, qui permet si facilement de situer un(e) élève parmi celles et ceux qui réussissent ou celles et ceux qui « ont du mal ».
Il y a à cela deux bonnes raisons.
D’une part, le fait que le management actuel de l’éducation privilégie le chiffrable, les données quantitatives, plus que le qualitatif. Rien de tel, pour avoir des chiffres, qu’une épreuve comme la dictée ! Et le discours officiel sur les prétendus "savoirs fondamentaux" ne peut que contribuer à valoriser la dictée.
D’autre part, le fait que le système d’évaluation des élèves et des étudiants à tous les niveaux, de l’école à l’université, repose sur la moyenne, la moyenne qui permet de passer dans la classe supérieure ou d’obtenir la validation de son diplôme universitaire. Moyenne où tout se compense, ce qui fait que dire qu’un élève a 10 de moyenne sur 20 revient à dire qu'il est considéré comme qualifié, sans qu’on sache vraiment ce que signifie ce dix sur ce qu’il a réellement appris et sur ce qu’il ignore. Un élève peut en effet avoir dix parce que sa bonne note en physique compense sa mauvaise note en langue, ou l’inverse…A l’université, les notes d’un semestre peuvent compenser celles d’un autre, même si les enseignements ont différé d’un semestre à l’autre. La moyenne ne dit absolument rien des connaissances effectivement acquises.
La diffusion régulière de ce spot traduit la pérennité d’un système de formation, d’évaluation et d’orientation pourtant très difficile à justifier rationnellement quand on l’examine. Ne devrait-on pas chercher aussi dans cette direction une des sources de la difficulté de notre École à faire réussir équitablement tous les élèves, quelle que soit leur origine sociale et leur territoire ?
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[1] https://www.education.gouv.fr/panorama-statistique-des-personnels-de-l-enseignement-scolaire-2023-2024-416010