Jean-Pierre Veran (avatar)

Jean-Pierre Veran

formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Abonné·e de Mediapart

807 Billets

1 Éditions

Billet de blog 27 janvier 2024

Jean-Pierre Veran (avatar)

Jean-Pierre Veran

formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Abonné·e de Mediapart

La contre-réforme du Collège au prisme du droit et de l’éthique

Par la voix de leur syndicat, les chefs d’établissements rappellent à la ministre les valeurs de l’école et la nécessité de respecter le droit. Une salutaire leçon de démocratie.

Jean-Pierre Veran (avatar)

Jean-Pierre Veran

formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au début de la lettre d’alerte remise le 23 janvier à la ministre par le SNPDEN[1], les personnels de direction s’appuient d’une part sur les valeurs, d’autre part sur le droit, pour refuser la contre-réforme du Collège telle qu'elle est engagée.

Ils s’opposent d’abord à « une vision et un projet pour l’École antinomique avec les valeurs portées par le SNPDEN-UNSA et sa fédération ». On pourrait même aller plus loin, en confrontant la contre-réforme du Collège à ce que le Code de l’éducation dit des valeurs du service public d’éducation dans son article L111-1 : « Le service public de l'éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l'égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative. Il reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d'apprendre et de progresser. Il veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d'enseignement. Pour garantir la réussite de tous, l'école se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale. Elle s'enrichit et se conforte par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative ». Comment pourrait-on, par exemple, justifier la séparation des élèves entrant en sixième en groupes de niveau au regard de la mixité sociale des publics accueillis et d’une volonté de scolarisation inclusive ? 

Ils rappellent ensuite à la ministre que le projet de contre-réforme à ce jour, ne s’accompagne d’aucun texte réglementaire. Ils soulignent que le Code de l’éducation stipule, dans son article R. 421-2,  que « l’organisation en classes et en groupes d’élèves ainsi que les modalités de répartition des élèves » relèvent de la compétence de l’établissement scolaire et donc de son conseil d’administration.

En fonctionnaire de l’Etat agissant dans un esprit de responsabilité et selon des principes éthiques, ils affirment calmement : « pas de texte, pas de mise en œuvre ».

Voilà donc à quoi aboutit une volonté de contre-réforme conduite à marche forcée. Qu’on se souvienne de la mission « Exigence des savoirs » annoncée par le précédent ministre et actuel chef du gouvernement, se donnant « 8 semaines pour faire advenir un véritable choc des savoirs » : huit semaines comprenant une mission-éclair, une consultation en ligne et la prise des décisions. Des décisions annoncées en dépit du Code de l’éducation et du respect du droit, qui supposerait que, pour imposer aux établissements scolaires une organisation des classes qui échappe à leur autonomie, un texte réglementaire équivalent au  Décret n°85-924 du 30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d’enseignement soit publié, qui leur permette d’agir conformément à la loi.

Reste la question éthique. Comment concilier le tri des élèves, dès leur entrée en 6e, entre « bons », « moyens » et « en difficulté », avec la volonté affirmée dans le Code de l’éducation de favoriser mixité sociale et scolarisation inclusive ? Les chargés de communication du ministère trouveront toujours la parade pour justifier, au nom de l’intérêt des élèves les plus fragiles, leur séparation d’avec les autres qui pourront ainsi, comme l’a dit le précédent ministre « s’envoler au delà des programmes ». Il n’est pas surprenant que cette proposition trouve un écho plutôt favorable dans les milieux sociaux maîtrisant les codes scolaires, car les enfants de ces milieux ont très peu de risque de figurer parmi les élèves en difficulté. Comment justifier le retour du redoublement sanction, décidé par l’établissement, quand le Code de l’éducation rappelle que « l’école se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale » ? Là encore, il se trouvera de bons communicants pour dire que c’est pour le plus grand bien de l’élève qu’on le force à redoubler, et des parents et des enseignants, dont les enfants échappent socialement et culturellement à ce risque, pour les approuver.

Dans ce billet, on ne reprend pas toutes les difficultés d’organisation et de fonctionnement rappelées par le syndicat à la ministre si la contre-réforme était mise en place. En effet, il est remarquable qu’avant d’entrer dans les questions d’organisation et de mise en œuvre, le SNPDEN ait placé la réflexion et le débat au niveau fondamental des valeurs et des finalités de l’Ecole et du respect du droit. Il est fort regrettable qu'il soit contraint de le faire, mais il était indispensable de le faire.

_____________________________________________________

[1] Syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale (SNPDEN-UNSA)

Lettre de direction n°2024-2 - 23 janvier 2024 

https://www.snpden.net/documents/type/lettre-de-direction/

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.