Le rapport de la Cour des Comptes publié en janvier 2023 et intitulé « Mobiliser la communauté éducative autour du projet d’établissement »[1] sera examiné ici sous deux aspects : celui de la méthode utilisée pour le préparer, et celui des œillères qui marquent, par les absences comme par les recommandations, la vision très biaisée de la Cour.
La méthode d’abord : on sera très surpris de constater que ce rapport ne comporte aucune bibliographie, comme si rien n’avait jamais été publié sur le projet d’établissement avent ce rapport. Si quatre publications des inspections générales sont citées (rapport annuel des inspections générales 2019, rapports sur le rôle et les positionnement des inspecteurs territoriaux en académie de 2016, sur les facteurs de valeur ajoutée des lycées de 2015, sur le passage du programme CLAIR au programme ECLAIR de 2012), on est frappé de constater l’absence d’un rapport publié il y a plus de vingt ans, en novembre 2001, intitulé L’autonomie de l’EPLE en question dans la relation entre l’autorité académique et l’établissement scolaire[2] et celle d’un rapport qui fit date sur le sujet en 2006, L’EPLE et ses missions[3]. On s’étonne en effet que la Cour des comptes semble découvrir en 2023 « des marges de manœuvre restreintes et diversement exploitées », « les freins à l’utilisation des marges d’autonomie » quand, en 2006, Jean-Paul Delahaye pointait « une accumulation de sollicitations et de tâches nouvelles », « une autonomie corsetée » ainsi résumée : « Nombreux sont les personnels de direction qui se plaignent de l’inflation de circulaires et instructions diverses, en un mot du « harcèlement textuel » auquel ils sont exposés, paradoxalement, alors pourtant que le discours dominant affiché par l’institution privilégie l’autonomie ».
Il aurait été intéressant que la Cour des Comptes fasse valoir que le paysage qu’elle découvre en 2023 ressemble fortement à celui décrit en 2006. Mais si certains lecteurs du rapport le savent, d’autres ne l’apprendront pas grâce à ce dernier rapport.
On s’étonnera de même qu’à aucun moment le rapport ne s’appuie sur l’histoire longue de l’Ecole française pour expliquer cet état de fait : aucune référence à l’Ecole d’ancien régime ni au lycée impérial, inspirés par les modèles monarchique, religieux et militaire, selon lesquels il ne s’agit aucunement de faire preuve d’autonomie à l’Ecole mais d’y apprendre à adorer « Dieu et le Roi » puis « Dieu et l’Empereur ».
Cette absence de recul par rapport au sujet se traduit par des analyses et des recommandations qui s’inscrivent dans le modèle bureaucratique qu’elles prétendent dépasser. Placer au cœur du rapport la question de la relation du chef d’établissement aux enseignants en regrettant « une marge de manœuvre très étroite en matière de gestion des ressources humaines », c’est en quelque sorte considérer nécessaire le renforcement dans l’établissement d’une autorité hiérarchique bureaucratique où un chef exerce l’autorité, et non penser l’établissement comme un collectif où il importe de valoriser l’intelligence collective grâce à une direction d’établissement pratiquant un leadership éthique. Le conseil pédagogique, par exemple, est cité trois fois, jamais pour en analyser le rôle potentiel dans la mobilisation autour du projet d’établissement, mais simplement à titre d’instance réglementaire.
Le rapport évoque dans son titre « la communauté éducative ». Or, les « parents d’élèves » n’y sont cités que deux fois. Les conseils de vie collégienne et de vie lycéenne, qui peuvent être des espaces forts d’écoute, de prise en compte de la parole et des alertes des premiers concernés par le projet d’établissement, et de leur mobilisation, ne sont jamais cités dans le rapport. Les conseillers principaux d’éducation ne sont pas mentionnés non plus. Là encore, la Cour des Comptes lit les établissements scolaires d’aujourd’hui avec les lunettes du passé, quand il s’agissait de considérer les élèves comme des produits à formater, quand il ne s’agissait que de les instruire et non de les éduquer, et quand la coéducation n’était pas encore apparue dans le paysage.
Quant aux recommandations, on n’y trouvera rien sur la méthode de mobilisation autour du projet, puisqu’il s’agit de « veiller à ce que chaque EPLE dispose d’un projet d’établissement à jour, condition préalable à la mise en œuvre d’une démarche d’évaluation », son mode d’élaboration étant apparemment négligeable. Puisqu’il s’agit également de « confier au chef d’établissement l’évaluation des enseignants de second degré, en ménageant une possibilité de recours auprès de l’inspecteur » sans qu’a aucun moment ne soit évoquée la formation des personnels de direction à exercer un leadership éthique, à confier des responsabilités, et la formation des enseignants à coopérer dans l’élaboration d’un projet d’établissement.
Loin d’avoir quelque portée transformatrice adéquate à son titre, ce rapport n’apporte qu’un regard partiel et anachronique sur les établissements scolaires, leurs personnels, leurs élèves, leur communauté éducative et leurs projets. On ne peut pas s’en étonner, tant l’écart, déjà souligné en 2006 par Jean-Paul Delahaye[4], demeure béant entre le discours institutionnel appelant à la prise d’initiative du terrain est en contradiction avec la pratique renforcée de l’injonction bureaucratique à toutes les échelles de la pyramide que reste l’éducation nationale.
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[1] https://www.ccomptes.fr/fr/publications/mobiliser-la-communaute-educative-autour-du-projet-detablissement
[2] https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/174000634.pdf
[3] https://www.vie-publique.fr/rapport/28887-leple-et-ses-missions
[4] https://www.vie-publique.fr/rapport/28887-leple-et-ses-missions