La note d’information de la DEEP n° 37 d’octobre 2015[1] consacrée à l’apprentissage du latin au collège est intéressante en ce qu’elle pose une question de fond touchant à l’analyse de données : les corrélations mises en lumière par l’étude sont-elles de simples corrélations ou traduiraient-elles un lien de causalité entre certaines des données résultant de l’enquête[2] ?
Quelles sont les données principales de cette enquête portant sur un panel de 35000 élèves entrés en 6e en 2007 ?
On peut les résumer ainsi :
- le niveau scolaire est un facteur clé dans le choix du latin en 5e : «meilleurs sont les élèves scolairement et plus la probabilité qu’ils soient latinistes est élevée. Parmi les 10 % des meilleurs élèves à la fin de la sixième, plus de la moitié (53 %) étudient le latin en classe de cinquième. À l’inverse, seuls 4 % des élèves les plus faibles (ceux appartenant au premier décile) choisissent cette option» ;
- l’étude du latin est plus fréquente chez les enfants issus de milieu aisé : « l’étude du latin concerne en outre 44 % des enfants d’enseignants, 39 % des enfants de cadres, mais seulement 20 % des enfants d’employés et 15 % des enfants d’ouvriers. D’une part, les élèves de milieu très favorisé obtiennent en moyenne de meilleurs résultats, et choisissent donc plus souvent l’option « latin », conformément à leur niveau scolaire plus élevé. D’autre part, même à résultats scolaires identiques, l’étude du latin est plus fréquente pour les catégories les plus aisées» ;
- les filles sont plus souvent latinistes que les garçons ;
- à milieu social et niveau scolaire identiques, on compte plus de latinistes dans les collèges d’éducation prioritaire ;
- les bons élèves de 6e devenus latinistes en 5e restent bons dans leur parcours scolaire au lycée et dans leur réussite au baccalauréat : « plus de 70 % des latinistes sont inscrits en terminale générale ou technologique, contre seulement 38 % des non-latinistes. Près d’un élève de terminale scientifique (S) sur deux (45 %) a étudié le latin au collège. Les non-latinistes sont en revanche plus fréquemment scolarisés en terminale professionnelle ou en terminale « Sciences et technologies du management » (16 % contre seulement 5 % des latinistes)». Les résultats au baccalauréat 2014 des élèves de 5e en 2008 confirment l’écart entre latinistes et non latinistes pour l’obtention de mentions bien et très bien : 63 % pour les latinistes contre 15,5 % pour les non-latinistes.
Cette étude témoigne donc d’une corrélation observée entre réussite scolaire, capital social et culturel, et apprentissage du latin. Cet apprentissage est donc un marqueur de réussite scolaire et de distinction socio-culturelle, ce qui explique sans doute pour partie le nombre plus grand de latinistes dans les collèges d’éducation prioritaire : « les enfants issus de milieu favorisé font plus souvent le choix du latin lorsqu’ils sont scolarisés dans les réseaux d’éducation prioritaire. Ce résultat se vérifie quel que soit leur niveau. Les élèves faibles scolairement, mais très favorisés socialement, étudient deux fois plus souvent le latin lorsqu’ils sont dans un établissement d’éducation prioritaire. On peut supposer que de tels écarts illustrent le rôle joué par le latin dans la stratégie de certaines familles favorisées qui scolarisent leur enfant en éducation prioritaire à condition de « protéger » son parcours ».
Mais l’étude pose une autre série question : « En plus d’être un marqueur de réussite, le latin en est-il aussi un vecteur ? L’étude du latin a-t-elle un effet sur la progression scolaire des élèves ? Les latinistes progressent-ils différemment des non-latinistes ? Et quand bien même des différences de progression seraient observées, s’expliqueraient-elles par le contenu de la matière elle-même ou par les effets de pairs ? »
Ces interrogations permettent de situer plus clairement ce qui s’est joué autour de la place du latin, des langues et cultures de l’Antiquité à l’occasion de la réforme du collège. Pour certains, l’apprentissage du latin est un vecteur de réussite scolaire, notamment pour les collégiens de l’éducation prioritaire : il faut donc défendre et promouvoir son enseignement au plus grand nombre. Pour d’autres, l’apprentissage du latin s’adresse majoritairement à des élèves qui réussissent déjà et ne fait que renforcer le collège à deux vitesses, celui pour les élèves d’en haut et celui pour les élèves d’en bas.
La note d’information de la DEPP appelle à la prudence interprétative tout en soulignant ce que l’enquête permet d’affirmer : « Toutes ces questions font l’objet de débats dans le système éducatif français depuis plus de quarante ans. Ces questions sont complexes et la présente note ne prétend pas y répondre. L’étude montre cependant de façon certaine que toute interprétation hâtive sur les effets du latin dans la réussite des élèves est erronée si elle ne prend pas en compte les profondes différences sociales et scolaires entre les élèves qui choisissent d’étudier le latin et ceux qui font le choix inverse».
[1] http://www.education.gouv.fr/cid94667/le-latin-au-college-un-choix-lie-a-l-origine-sociale-et-au-niveau-scolaire-des-eleves-en-fin-de-sixieme.html
[2] « Une corrélation, d’un point de vue statistique, ne fait qu’indiquer cette relation et le sens qu’elle prend : positive ou négative, plus ou moins forte. Elle n’indique en aucun cas si l’une des données est la cause de l’autre. Cela demanderait des traitements méthodologiques et statistiques que l’on retrouve très rarement dans les écoles.
Pourtant, on fait souvent l’erreur de croire qu’un facteur cause l’autre. Cela pourrait être le cas, mais la corrélation ne permet pas de le savoir. Et même si c’était le cas, on ne saurait pas dans quel sens la causalité agit. » Jean Archambault et France Dumais in Des données pour diriger, utiliser ou produire des données pour diriger.