Depuis les premières lois de décentralisation (1982-3), les lycées relèvent de la compétence des conseils régionaux, compétence accrue au fil des lois de décentralisation successives. Désormais, l’Etat conserve la haute main sur les contenus d’enseignement et le recrutement des enseignants, des personnels de direction et d’éducation qu’il rémunère, mais construction, équipement, budget ainsi que les autres personnels relèvent de la collectivité régionale.
Il est donc normal que le dossier de presse de rentrée[1] de l’association des régions de France accorde une large place au lycée et qu’à la veille de la rentrée scolaire, elle présente ses préconisations dans le Manifeste des régions pour le lycée d’aujourd’hui et de demain[2].
On saluera d’abord dans cette dernière publication l’exposé, d’entrée de jeu, des contradictions qu’il faut dépasser.
« Ouverture de l’établissement sur l’extérieur et sécurité de la communauté éducative ; développement de nouveaux usages et maîtrise des surfaces ; spécialisation des établissements et partage-mutualisation des locaux ; usages du numérique et impératifs de santé ; affirmation par les Régions de leurs choix et liberté de création architecturale ; spécialisation des espaces et modularité nécessaire. Les praticiens que nous sommes connaissent bien ces contradictions, nées du poids des habitudes et souvent apparentes, qu’il s’agit de dépasser pour une véritable innovation éducative. Ce manifeste s’y attache ».
Les lecteurs de ce blog ne seront pas surpris de trouver, dans les quatre notions fondamentales du manifeste des conseils régionaux, certaines des préoccupations régulièrement évoquées ici : bien être des élèves et des personnels, évolutivité des espaces et des équipements, sobriété, ouverture et mutualisation.
- Le lycée, lieu de vie et de travail, où l’attention doit être portée également à l’élaboration des emplois du temps (éviter les longs déplacements en privilégiant le déplacement des professeurs plutôt que celui des élèves, assurer une pause méridienne suffisante) qu’à l’accès garanti à des toilettes dignes. Les conditions de travail de tous, élèves et personnels, passent notamment par un usage raisonné des outils numériques incluant des zones blanches de déconnexion, l’ergonomie des locaux et de leurs équipements.
- Pour répondre aux évolutions de la pédagogie, les conseils régionaux privilégient la plasticité des espaces : plus ils sont spécialisés, moins ils sont adaptables. Leur modularité et leur réversibilité en fonction des évolutions sont des maîtres mots de la conception architecturale des futurs lycées.
- L’exigence de sobriété passe par la maîtrise des coûts, mais aussi par la simplicité et la durabilité des solutions choisies. Simplicité des formes, maîtrise des énergies y compris dans le domaine du numérique, doivent être des impératifs.
- L’ouverture à la diversité des publics, la mutualisation des espaces de convivialité, l’inscription du lycée dans son territoire (approvisionnements locaux, animation du territoire), débouchent sur la prise en compte nouvelle d’espaces particuliers.
Il s’agit d’abord des internats, pour lesquels les régions préconisent« l’ouverture hors temps scolaire, idéalement 7/7, l’accès sécurisé distinct, l’accès à un réseau de transport réellement intermodal ».
Il s’agit ensuite des centres de documentation et d’information (CDI) appelé à devenir aussi centre d’orientation (CDIO) en s’inscrivant dans la perspective de « faire des CDI des Centres de connaissances et de culture (3C) ». « Espace commun de travail pour les documentalistes, les professeurs principaux et les PsyEn (ex Conseillers d’orientation) », « le maître-mot doit être la disponibilité du CDI. Son accès doit être étendu au- delà du temps scolaire. Les différents outils, ressources et salles de travail doivent être utilisables quand le CDI est fermé, notamment à partir de l’internat ».
Il s’agit aussi des espaces de travail, de rencontre et de détente destinés aux enseignants, en évitant les sectorisations disciplinaires ou catégorielles.
Il s’agit enfin des espaces intermédiaires, dans leur double fonction de lieux de circulation et de vie sociale. L’objectif est de ne plus les considérer comme des « surfaces inutiles » mais comme des lieux utiles de respiration.
On le perçoit, à la lecture de ce manifeste, les régions tirent de l’expérience acquise depuis les années 80, quelques leçons qu’apprécieront tous ceux qui travaillent dans les lycées : il n'est pas question, pour le maître d’ouvrage, d’édicter des normes uniformisantes, mais d’« affirmer ce qui lui paraît rédhibitoire dans un projet. A titre d’exemples : pas de demi-pension sur deux niveaux, pas de CDI à mezzanine ou sur deux niveaux, pas de locaux de maintenance en sous-sol ou dans les combles, pas de hall d’accueil somptuaire et démesuré, etc. » Il s’agit aussi d’éviter les travers d’une approche négligeant les contradictions inhérentes qui doivent être résolues. L’exemple du numérique est particulièrement éloquent : oui au lycée 4.0 expérimenté dans le Grand Est[3], oui aux manuels numériques plutôt que papier, mais en tenant compte des besoins de déconnexion comme des impératifs de santé et de sobriété énergétique.
On pourra aisément ironiser sur cet « en même temps » des régions de France. Mais leur manifeste a le mérite de partir de la complexité des enjeux et d’indiquer un cap que chaque conseil régional, chaque projet de nouveau lycée pourra garder, fût-ce en tirant des bords.
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[1]http://regions-france.org/wp-content/uploads/2017/08/Dossier-de-presse-de-rentree.pdf
[3]https://www.grandest.fr/numerique-educatif-de-nouveaux-outils-apprendre