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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 29 septembre 2017

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Contentieux à l’éducation nationale : quels enseignements ?

Dessiner à grands traits en quoi consiste le contentieux dans l’enseignement scolaire, à partir des données fournies par la direction des affaires juridiques du ministère, permet de dégager des axes de progrès concernant la manière dont personnels élèves et parents sont considérés au sein de l’institution scolaire.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La dernière lettre d’information juridique du ministère de l’éducation nationale[1] dresse un bilan statistique intéressant du contentieux au sein de l’institution scolaire. On se focalisera dans ce billet sur le contentieux traité par les services juridiques des académies, qui est à la hausse, quand celui traité par la direction juridique du ministère est à la baisse. Il y a sans doute, dans cette première indication, confirmation de la déconcentration effective de l’éducation nationale, où les rectorats prennent en charge des responsabilités relevant autrefois de « la Centrale ». Le contentieux relevant des rectorats et des établissements scolaires représente désormais quatre litiges sur cinq concernant le service de l’enseignement scolaire.

La hausse de ce contentieux est de 8% en 2016, supérieure à la moyenne annuelle des 16 dernières années. De même, le nombre de décisions rendues par des juridictions administratives a augmenté de 4% en 2016 pour ce qui concerne le contentieux traité par les rectorats.

Les objets de ce contentieux concernent à 61% les personnels : personnels enseignants du public (77%), autres personnels de l’enseignement public (18%), personnels de l’enseignement privé sous contrat (5%). Ils concernent ensuite la vie scolaire -scolarité, examens et concours, orientation, surveillance des élèves, accidents scolaires, vie des établissements…- (33%), les autres contentieux représentant 6%.

Rapporté au nombre de personnels de chacune des catégories, on observera que les enseignants du privé sous contrat qui représentent 15% de l’effectif des personnels ne représentent que 5% du contentieux, alors que les personnels enseignants de l’enseignement public qui représentent 78% de l’effectif des personnels ont une représentation équivalente dans le contentieux. Ils ne sont donc pas sur-représentés, c’est la sous-représentation des personnels de l’enseignement privé sous contrat qui interroge : s’agit-il dans l’enseignement privé  sous contrat d’un management plus humain ou d’un management plus dissuasif quant aux possibilités de recours ? On pourrait se demander, à l’inverse, ce qu’il adviendrait si les chefs d’établissements de l’enseignement public étaient dotés des mêmes marges d’intervention que ceux du privé sur le choix des enseignants affectés dans leur établissement.

Il importe aussi de souligner l’importance des recours pour excès de pouvoir : dans le public, 67% pour les enseignants, 62% pour les autres personnels ; dans le privé sous contrat, 60% ; en vie scolaire, 69%. Il y a là, sans doute, l’expression du conflit entre les aspirations des personnels, des parents et des élèves à être considérés comme des parties effectivement prenantes de l’institution éducative, et les restes d’une culture du commandement héritées d’une tradition bureaucratique solidement établie au fil du temps.

On ne sera pas surpris de la conformité du nombre des cas de contentieux à l’effectif de chaque académie : Versailles et Créteil arrivent largement en tête (respectivement 243 et 230 cas), loin devant Rennes (128), Lyon (116), Aix-Marseille (105), Lille (102). En revanche, on note une inégalité entre les académies pour ce qui concerne le stock de recours pendants au 31/12/2016 : on n’en compte que 25 à Créteil ou 11 à Versailles, alors qu’on en compte 92 à Aix-Marseille. On pourrait être tenté de lire dans ces nombres une inégale réactivité des services juridiques des académies.

On observe en revanche une évolution positive depuis 2013 : le non –respect du droit à la formation des personnels de droit privé - contrat unique d’insertion-contrat d’aide à l’emploi (CUI-CAE)- fait l’objet de mois de recours, grâce aux efforts d’accueil, de gestion et de formation des académies et des établissements scolaires.

La note d’information juridique insiste également sur l’augmentation de 4% du nombre de décisions juridictionnelles et sur leur sens.

Elles se traduisent dans 24% des cas par l’annulation de l’acte attaqué, dans 14% des cas par un non-lieu à statuer et dans 62% des cas par le rejet de la requête. Les résultats de 2016 correspondent à la moyenne des 16 dernières années. Ces chiffres, globalement, valident très majoritairement les décisions des établissements. Mais, pour apprécier plus finement ces chiffres, il est intéressant d’examiner comment les différentes juridictions se prononcent sur les contentieux relatifs aux contrats aidés (CUI-CAE).

Aux Prudhommes, 156 condamnations de l’établissement, 27 rejets, 27 désistements.

En Cour d’appel, 61 condamnations, 10 rejets et 1 désistement.

En Cour de cassation, sur pourvoi de l’agent 4 condamnations, 1 rejet, 1 désistement. Dans la même cour, sur pourvoi de l’établissement, 3 condamnations, aucun rejet et aucun désistement.

Au total, sur 386 décisions juridictionnelles, les condamnations d’établissements représentent 90% de ces décisions. Des chiffres à méditer sans doute pour les personnels de direction des établissements et leurs conseils juridiques dans les rectorats.

Les données fournies par la direction des affaires juridiques du ministère permettent donc d’avoir un regard sur la vie des établissements et des académies, en mettant en exergue les motifs de contentieux – notamment l’excès de pouvoir- et la manière dont les juridictions les abordent quand une solution n’a pas été trouvée en interne : les établissements scolaires sont condamnés dans un quart des recours au total, mais à 90% dans le cas des contrats aidés. Elles éclairent également la diversité des organisations représentant le service d’éducation nationale dans les territoires académiques et locaux. Autant de raisons de puiser dans ce tableau de puissants motifs de renforcer à toutes les échelles la prise en compte de chaque élève, de chaque personnel, quel que soit son statut, de façon à ce que « l’école de la confiance » devienne une réalité encore plus forte.

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[1] http://www.education.gouv.fr/lettre-information/lettre-information-juridique/PDF/LIJ_2017_bilan.pdf

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