Chacun connaît les faiblesses actuelles du service public d’éducation français. Si les principes d’un service public sont l’égalité d’accès, l’équité, la continuité et l’adaptabilité, il faut bien reconnaître que, sur chacun de ces principes, notre service public d’éducation est défaillant. Il est en effet parmi les plus inégalitaires, la réussite scolaire étant étroitement corrélée à l’origine sociale des élèves. Quant à l'équité, il suffit de comparer les dépenses consenties pour l’accompagnement éducatif des élèves de classes préparatoires aux grandes écoles (les colles) et celles destinées à celui des collégiens d’éducation prioritaire pour mesurer sa profonde iniquité. Sa continuité est fortement remise en cause par l’insuffisance du recrutement des professionnels, enseignants, d'éducation, social et de santé, conduisant à des postes vacants sur lesquels on n’a pas les moyens financiers d’embaucher des contractuels en nombre suffisant. Non seulement, on prive les élèves d'heures d'enseignement, mais aussi d'activités éducatives, d'accompagnement social et de santé à valeur ajoutée formatrice. Quant à son adaptabilité, il suffit de voir comment les savoirs scolaires sont figés dans le moule de programmes disciplinaires qui ne laissent pas de place à des demandes éducatives très fortes concernant, par exemple, l’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement ou l’éducation aux médias et à l’information.
Face à ces insuffisances, les tenants d’une vision libérale de la société plaident pour donner plus d’ « agilité » au service public. Il serait tellement plus efficace si les directeurs d’école et d’établissements choisissaient leurs personnels et leur faisaient signer des contrats à durée déterminée, évalués en fonction de l’atteinte d’objectifs de performance. On sait que le Président nouvellement réélu est si convaincu de la justesse de cette ligne qu’il a proposé, en septembre 2021, d’expérimenter à Marseille dès la prochaine rentrée des écoles « laboratoires de liberté et de moyens », avec des directeurs choisissant l’équipe pédagogique.
On a pu voir dans d’autres pays les résultats d’une telle libéralisation. Un dossier de la Revue internationale d’éducation de Sèvres publié dans son numéro de décembre 2019[1], regorge d’exemples. Ainsi, aux Etats-Unis, l’élaboration des politiques publiques a été privatisée et le système scolaire transformé en marché[2]. En conséquence, de nombreux établissements scolaires préfèrent investir dans des campagnes de marketing au lieu de recruter des enseignants plus qualifiés ou d’investir dans un curriculum plus efficace. En Suède, à partir des années 90, décentralisation, déréglementation et marchandisation sont allées de pair, provoquant une évolution décourageante des résultats et un accroissement de la ségrégation entre établissements[3].
L’enjeu éducatif des élections législatives est donc clair. Veut-on par touches successives transformer le bien commun du service public éducatif en marché, ou au contraire donner à ce service public les moyens d’être vraiment égal, équitable, continu et adaptable aux besoins éducatifs nouveaux ? Espérons que les candidat.e.s à ces élections seront nombreux à s’engager, comme le leur demande le CICUR[4]
- "à organiser dans (leurs) circonscriptions des consultations démocratiques sur ce que l’ École doit enseigner aux élèves pour les préparer aux défis du 21e siècle,
- à déposer une proposition de loi permettant d’ouvrir le débat à l’Assemblée nationale sur les finalités de l’École et la politique des savoirs et promouvant la nécessité d’une grande consultation nationale sur les finalités de l’École et la politique des savoirs, finalités et politique indépendantes du calendrier électoral, inscrites dans la Constitution".
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[1] Revue internationale d’éducation de Sèvres, 82 | décembre 2019
Les privatisations de l'éducation https://journals.openedition.org/ries/8837
[2] Christopher Lubienski, T. Jameson Brewer, Jin Ah Kim, « Privatisation et logique marchande dans l’éducation aux Etats-Unis », in Revue internationale d’éducation de Sèvres, n° 82, décembre 2019 https://journals.openedition.org/ries/9110
[3] Lisbeth Lundhal, « L’éducation en Suède, un secteur d’activité rentable », in Revue internationale d’éducation de Sèvres, n° 82, décembre 2019 https://journals.openedition.org/ries/9142