On ne peut que se féliciter de la mise en ligne, vendredi dernier, sur le site du ministère de l’éducation nationale, de 17 rapports des inspections générales non publiés par l’ancien ministre en 2011. On découvre ainsi un rapport de l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR), daté de juin 2011, sur Le replacement des enseignants absents[1].
Pour aborder cette question, il convient d’abord de rappeler que, selon le Livre vert sur l’évolution du métier d’enseignant[2] issu des travaux de la commission Marcel Pochard et publié en janvier 2008, les enseignants étaient absents en moyenne 11 jours par an (pour 36 semaines de service d’enseignement annuel), contre 16 pour les agents du ministère de la défense ou 15 pour ceux de la justice.
Selon les données figurant dans le rapport de 2011, il faut distinguer d’abord les remplacements de longue durée, égaux ou supérieurs à 15 jours, qui sont, selon le rapport de l’IGAENR, assurés dans plus de 96% des cas, de ceux de courte durée, qui seraient effectifs, d’après la même source, dans 20% des cas en moyenne nationale.
Il est utile, concernant ces absences de courte durée, d’en connaître les motifs : en 2009-10, un peu moins de 50% sont dues à la maladie, près de 20% à la formation continue, près de 10% aux voyages et sorties scolaires, 6% à la garde d’enfants malades, 20% à d’autres raisons, parmi lesquelles les autorisations exceptionnelles d’absences (naissance, mariage, décès d’un proche).
Il y a donc plus de 30% de ces absences qui sont prévisibles : un stage de formation, une sortie scolaire, la naissance d’un enfant pour un père ou un mariage ne s’improvisent pas, l’établissement peut donc anticiper la question du remplacement des professeurs concernés, ce qui n’est pas le cas quand un professeur découvre inopinément qu’il devra garder un enfant tombé malade et prévient donc son établissement le matin même où il a cours. On pourrait donc s’attendre à ce que 30% au moins des absences de courte durée soient remplacées. D’après les données recueillies par le rapport, on est donc loin du compte dans bien des académies, avec un taux de couverture compris entre 11 et 27%.
Cela signifie certes qu’il y a encore des progrès à faire dans la mise en œuvre du protocole de remplacement de courte durée des personnels enseignants dans les établissements de second degré, dont le ministère de l’éducation nationale a préconisé l’élaboration dans chaque établissement dans la note de service 2005-110 du 30/8/2005[3], Gilles de Robien étant ministre de l’éducation nationale.
Cela signifie aussi que l’on est bien loin, quatorze ans plus tard, d’avoir réalisé l’objectif formulé dans le rapport du recteur Daniel Bloch, remis en juin 1998 à la suite d’une table ronde réunie par les ministres Allègre et Royal : Pas de classe sans enseignant[4]. Pourtant, l’enjeu du non remplacement des professeurs absents n’est pas mince pour un élève du second degré : « Il y a ainsi une demi-année "perdue" sur l'ensemble de la scolarité dans le second degré» écrivait Daniel Bloch.
Des progrès ne pourront être envisageables qu’à plusieurs conditions.
La première est sans doute que le nombre d’heures supplémentaires assurées dans le cadre de leur service par les professeurs, diminue. Leur nombre a en effet fortement augmenté ces dernières années, cette augmentation permettant de compenser jusqu’à un tiers de la suppression des postes chaque année. Cela a conduit parfois à une saturation telle qu’il est difficile de solliciter certains enseignants pour procéder à un remplacement de courte durée, et qu’une telle proposition est ressentie par les intéressés comme une provocation.
La seconde est que le remplacement d’un professeur absent ne soit pas nécessairement effectué dans la même discipline. Ce qui importe en effet, c’est que l’établissement dispense aux élèves les heures d’enseignement et de vie de classe auxquelles ils ont droit. Combien d’élèves, par exemple, bénéficient des 10 heures de vie de classe annuelles qui sont prévues à leur emploi du temps, de la 6e à la terminale ? Ces heures de vie de classe peuvent être assurées par le professeur principal, et tout autre personnel concerné : conseiller principal d’éducation, conseiller d’orientation, autre professeur, etc. Lorsque les équipes pédagogiques travaillent dans les classes en dynamique de projet, le remplacement d’un professeur membre de l’équipe par un autre permet aux élèves de poursuivre la réalisation du projet. Les élèves de toute classe ne peuvent-ils pas tirer bénéfice d’une activité de recherche d’information, relative à la découverte des métiers et des formations et au parcours de formation à la culture de l’information, encadrée par le professeur-documentaliste ?
La troisième est de créer les conditions effectives de mise en œuvre de quelques recommandation de la table ronde de 1998 :« réduire le nombre d'absences dues aux examens et concours », ce qui dépend des services nationaux et académiques ;« réduire les perturbations dues aux conseils de classe », ce qui dépend de chaque établissement. La table ronde avait proposé une charte en dix articles du remplacement dans le service public d'enseignement. Nous en rappelons les intitulés qui ont pour la plupart gardé leur pertinence :
« Article 1 : L'école, comme le collège ou le lycée, doit prendre en charge les élèves tout au long de la journée et tous les jours de l'année scolaire.
Article 2 : Une meilleure répartition des responsabilités.
Article 3 : Aucun remplaçant ne doit rester sans activité pédagogique, dans l'attente d'un remplacement.
Article 4 : Lors du recrutement des enseignants, mieux évaluer les aptitudes à enseigner et faciliter ensuite la reconversion professionnelle, afin de ne pas laisser dans les classes des enseignants devenus inaptes à l'enseignement.
Article 5 : Réduire les causes institutionnelles d'absence.
Article 6 : Un nouveau cadre pour le développement de la formation continue.
Article 7 : Programmer les recrutements.
Article 8 : Combiner, sans cloisonnement, une gestion de proximité et une gestion départementale et académique.
Article 9 : Diversifier les modes de remplacement.
Article 10 : Mieux communiquer. »
On ne peut en revanche qu’être réservé devant la préconisation faite par les auteurs du rapport de 2011 de « proscrire les stages de formation » durant « le pic hivernal » des absences. Si l’on ajoute une nouvelle période de proscription à celles déjà prises en compte – celles de début d’année et de fin d’année scolaire, où les examens mobilisent les enseignants-, il n’y aura bientôt plus de temps pour la formation en dehors des vacances scolaires. Mieux vaudrait en revanche, développer, comme le suggérait déjà Daniel Bloch en 1998, les formes hybrides de formation, alliant rassemblement de stagiaires in situ et travail commun à distance, dans le cadre d’espaces numériques d’échange et de mutualisation. Ces formes hybrides présentent en effet l’avantage de mieux articuler la pratique professionnelle dans l’établissement auprès des élèves avec les contenus de formation, et constituent donc un enrichissement de la formation et non un appauvrissement à quoi conduirait inéluctablement le resserrement pur et simple du calendrier de la formation continue.
Plus globalement, les années de réduction sensible des effectifs d’enseignants se sont traduites par un accroissement de la difficulté pour les académies à assurer le remplacement des professeurs absents. Quand tous les titulaires sur zone de remplacement (TZR) sont affectés dès juin dans le cadre du mouvement académique, sur un poste à l’année pour l’année scolaire suivante, cela peut se traduire pour eux par des conditions d’exercice plus confortables, moins aléatoires, mais cela prive dès avant la rentrée scolaire, et pour toute l’année, le service des personnels de la ressource humaine permettant de faire face aux prévisibles besoins de remplacement.
Une amélioration des performances de remplacement de professeurs absents est certes possible dès maintenant, dans le cadre actuel. Mais, pour passer de 30 à près de 100% de remplacement effectif, il faudra nécessairement transformer ce cadre. La préconisation formulée dans le rapport de 2011 d’un professeur au moins de permanence de remplacement rémunérée dans chaque établissement pourrait constituer un premier pas dans la bonne direction. L’idéal serait de pouvoir assurer progressivement cette permanence dans les très gros établissements par niveau de classe, puis par équipe pédagogique projet. Le chantier ouvert en 2008 avec le Livre vert sur l’évolution du métier d’enseignant doit être repris, là où il a été abandonné. Les concertations annoncées dès sa nomination par le ministre Vincent Peillon devraient permettre d’avancer concrètement vers la résolution effective de cette question lancinante.
[1] http://media.education.gouv.fr/file/2011/56/9/2011-056-IGAENR_215569.pdf
[2] http://media.education.gouv.fr/file/Commission_Pochard/18/8/Rapport_+_couverture_-_12-02-08_23188.pdf
[3] http://www.education.gouv.fr/bo/2005/31/MENP0501864N.htm