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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 31 mars 2016

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Lycées français : quels facteurs de valeur ajoutée ?

Si les indicateurs de valeur ajoutée donnent lieu ce jour à des infographies réductrices dans certains médias, ils constituent une photographie utile des lycées à un moment donné. Mais il faut aller au-delà et se demander sur quoi repose la valeur ajoutée d’un lycée, comme l’ont fait en 2015 les inspections générales. Leur rapport, qui questionne de fausses évidences, est riche d'enseignements.

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Le jour où le ministère de l’éducation nationale publie les indicateurs de valeur ajoutée des lycées (IVAL)[1], c’est depuis vingt ans, le même buzz dans les médias nationaux, régionaux et locaux. Cette année, il semble opportun de s’intéresser à une étude des inspections générales dont les conclusions sont contenues dans un rapport remis en juillet 2015[2].

Que retenir de cette enquête ? Sans doute la distinction qu’elle établit entre « les fausses évidences » des « facteurs de réussite habituellement évoqués » et la complexité de la construction sur laquelle repose la réussite d’un lycée.

Passons d’abord en revue les « fausses évidences ». Les inspections générales les regroupent en trois pôles : les acteurs, le cadre et les moyens de l’action du lycée, les actions conduites dans le lycée, le rôle de l’académie. Dans le premier pôle, « l’effet chef d’établissement », la stabilité des équipes pédagogiques, les moyens et leur utilisation et la taille du lycée. Dans le deuxième, les projets, la mise en œuvre des réformes et de nouveaux dispositifs pédagogiques et organisationnels, l’innovation, l’usage pédagogique du numérique, la présence d’un enseignement post-bac. Dans le troisième, les inspecteurs référents, le contrat d’objectif, le rôle de l’inspecteur d’académie-DASEN.

En quoi ces éléments, issus de la littérature scientifique, de la culture institutionnelle et professionnelle, seraient-ils de "fausses évidences" ? Parce que, à la suite de leur enquête, les inspections générales en viennent à établir que leur  « effet sur les performances des lycées est plus nuancé qu’il n’y paraît ». Ainsi, pour s’en tenir au premier pôle, « l’effet chef d’établissement » : la mission a certes constaté de nombreux exemples de lycées portés par leur chef d’établissement, mais aussi « des lycées qui avaient été confrontés à un déficit de chef d’établissement suite à une absence prolongée consécutive à une maladie ou pour d’autres raisons et qui produisaient néanmoins de la valeur ajoutée positive. (…) C’est pourquoi la mission a estimé qu’il s’agissait plutôt d’un « effet direction » que d’un effet chef d’établissement au sens strict». La stabilité des équipes pédagogiques peut aussi se traduire par un fonctionnement routinier : « la stabilité des équipes n’est pas significativement différente entre les lycées à valeurs ajoutées positives et ceux à valeurs ajoutées négatives ». En ce qui concerne les moyens alloués à l’établissement, « sur les 23 LEGT à double valeur ajoutée positive, 12 ont des moyens légèrement audessus des moyennes servant de référence académique ou nationale, 7 des dotations correspondant à ces moyennes, 4 des dotations inférieures aux moyennes (…)Davantage que les moyens, c’est en fait l’utilisation qui en est faite qui importe et peut servir de levier à des choix d’organisation favorisant l’enseignement et la réussite des élèves». Il en va ainsi pour l’ensemble des autres "fausses évidences".

Venons en maintenant à la complexe construction de la réussite d’un lycée.

Sur l’influence du contexte (lieu d’implantation, architecture, voies de formation), « c’est plutôt la capacité des établissements à composer avec cette forme de déterminisme et à en tirer le meilleur parti qui a retenu l’attention de la mission.» Ainsi, « les locaux peuvent, certes, être une condition favorable au bienêtre et à la réussite des élèves, mais que c’est surtout la façon de les entretenir, de les utiliser, de les habiter et de les faire vivre, et la manière dont l’architecture s’y prête plus ou moins, qui est essentielle. »

Une observation paraît importante. «La mission a constaté un clivage assez net entre d’une part les établissements que l’on pourrait qualifier de « nostalgiques », qui regrettent une époque parée rétrospectivement de bien des attraits et rejettent les mauvais résultats sur des causes extérieures (des filières qui n’attirent pas, le niveau des élèves à leur entrée au lycée, leur manque d’éducation, les IVAL mal conçus…) et d’autre part, les établissements qui, au contraire, accueillent les élèves comme ils sont, sans jugement de valeur, et mettent tout en oeuvre pour faire réussir chacun au maximum de ses capacités tout en développant son ambition et sa confiance ».

« La mission tient à souligner les effets souvent bénéfiques de la polyvalence des établissements (…) Les établissements polyvalents à valeur ajoutée positive ont, en règle générale, une seule salle des professeurs, un seul conseil pédagogique, ce qui génère un enrichissement des réflexions pédagogiques compte tenu de la diversité des situations, des expériences professionnelles et des pratiques. Les professeurs travaillent ensemble, certains intervenant dans la voie professionnelle comme dans la voie générale et technologique. Une forme de cohésion s’instaure et peut se développer ».

De quoi se constitue cette « constellation de facteurs internes déterminants » ?

L’effet équipe de direction et l’effet équipe de professeurs. « L’implication et l’investissement des professeurs sont soulignés partout et par tous. » Leur travail en commun est un gage de valeur ajoutée.

La place et la fonction du pôle vie scolaire. « On observe que cette intégration fructueuse des CPE et des professeurs en une même équipe est une étape souvent franchie dans les lycées qui fonctionnent bien et en constitue un point fort ». Le point faible, c’est « dans bon nombre de lycées un désintérêt des professeurs pour les questions de vie scolaire ».

Les élèves, la vie lycéenne et le travail scolaire. « Si l’on en juge par l’ensemble des établissements visités, les établissements aux valeurs ajoutées positives se caractérisent en majorité par une vie lycéenne active toujours soutenue par des adultes impliqués, alors qu’elle l’est nettement moins dans les établissements à valeurs ajoutées négatives ». L’importance du contrôle des absences participe de la réussite.

Le travail donné aux élèves également : « la question des devoirs et travaux donnés aux élèves est un indice de la « stimulation » pédagogique des élèves, de la régularité du travail qu’ils effectuent, mais aussi de la cohérence des pratiques des différents professeurs. Elle se révèle être un facteur assez clivant entre lycées à valeur ajoutée positive et lycées à valeur ajoutée négative ».

Des rites réinventés. « Le bal de fin d’année pour les terminales, le bal du printemps, le carnaval du lycée, la journée de l’élégance, le concours d’élégance, le concours d’éloquence, la soirée des talents, la remise des diplômes, officielle et festive, la fête des 18 ans, coprésidée par le maire et le proviseur, temps forts religieux dans les établissements privés… la liste est longue et, visiblement, ces pratiques se développent (…) Indices ou leviers de cohésion, sans doute les deux, il est à noter que ces pratiques sont particulièrement installées dans des établissements à valeur ajoutée positive ».

Au total, on pourrait résumer ces éléments dans la formule : "L’équipe de direction, la vie scolaire, les enseignants, les élèves, les parents… « Ensemble pour réussir »".

Les inspections générales insistent sur la cohésion des équipes et la cohérence qui en découle. « La question de la cohérence est centrale au sein des établissements et fortement corrélée aux valeurs ajoutées positives (…)  Un discours partagé par tous, de la direction aux professeurs en passant par la vie scolaire et les agents, par exemple sur le respect du règlement intérieur, favorise l’appropriation des règles de vie commune par les élèves et contribue à la réussite. A contrario, un défaut de cohérence apparaît fréquemment dans les lycées à valeurs ajoutées négatives. La cohérence des pratiques est également fondamentale, comme cela a été évoqué à propos du traitement des retards et des travaux donnés aux élèves ».

Le rapport souligne la nécessaire « conjonction de facteurs favorables à la réalisation de la valeur ajoutée ». Il évoque par exemple  le fait que « les lycées à valeurs ajoutées positives savent aussi être des lycées inscrits dans la cité et leur environnement. L’ouverture du lycée aux parents, l’ouverture culturelle et internationale, les relations avec les partenaires institutionnels sont, pour plus de la moitié des lycées visités, un des points forts de leur action ».

Le rapport met également en lumière «les limites des indicateurs de valeur ajoutée des lycées», soulignant au passage les variations annuelles et les problèmes de méthode qu’elles posent, leur aspect pénalisant pour certaines politiques d’établissement ou inter-établissements, les incertitudes sur la fiabilité de certaines données.

« Vouloir mieux apprécier la façon dont un lycée construit la réussite de ses élèves peut conduire à compléter les indicateurs de valeur ajoutée des lycées dans deux directions : en deçà des IVAL actuels par une analyse plus détaillée s’appuyant sur les notes obtenues par les élèves, audelà par une meilleure connaissance des parcours des élèves après le lycée. »

Ce rapport permet donc, à un moment où les indicateurs IVAL se réduisent dans les titres et infographies de certains médias à un classement ou un palmarès, de mesurer les limites de ces indicateurs, et de porter sur la réalité des établissements,  leurs facteurs de réussite ou de difficulté, un regard qui va au delà des « fausses évidences ». Et qui souligne que, s’il n’y a pas plus de facteur de réussite - clé que de constellation gagnante, certaines caractéristiques se retrouvent dans la plupart des établissements à valeur ajoutée positive et d’autres dans la plupart des établissements à valeur ajoutée négative.


[1] http://www.education.gouv.fr/cid3014/les-indicateurs-de-resultats-des-lycees.html

[2] http://cache.media.education.gouv.fr/file/2015/75/5/2015-065_valeur_ajoute_lycees_510755.pdf

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