C’est, au sens propre, une rentrée sortant de l’ordinaire qu’élèves, personnels et parents vont vivre lundi prochain.
Certes, il y a bien eu la publication, le 26 juin, de la traditionnelle circulaire de rentrée : son titre, en quelque sorte prémonitoire, indique un objectif rassembleur par delà les clivages politiques : Ne laisser aucun élève au bord du chemin.
Les sous-titres de la circulaire vont dans la même direction :
- La cohésion par la progression de chacun : réactiver l’École comme ascenseur scolaire et social
- La cohésion par la lutte contre toutes les formes d’assignation
- La cohésion autour de l’École et de ses personnels
- La cohésion sociale par l’avenir que prépare l’École : construire dès à présent l’École du futur
Personne ne peut être contre cet objectif, et la déclinaison qui en est proposée, mais les politiques de mise en œuvre peuvent être diamétralement opposées.
C’est ici que se révèle le piège des mots. La circulaire de rentrée appelle quatre fois à la cohésion, c’est à dire, stricto sensu, au fait d’adhérer ensemble. Ce que souhaite la circulaire, c’est non pas le débat et la confrontation sur la politique éducative, mais une adhésion d’ensemble, des personnels, des parents, des citoyens, autour de la politique ministérielle habillée de termes consensuels.
L’ascenseur scolaire et social, qui est contre ? Lutter contre toutes les formes d’assignation, qui est contre ? Construire dès à présent l’école du futur, qui pourrait être contre ?
Qu’on utilise un des slogans les plus anciens, celui de l’ascenseur scolaire et social, cela peut-il tenir lieu de dédouanement pour les politiques effectivement menées qui se caractérisent par le rôle de reproduction des inégalités sociales et culturelles au sein de l’école ? Faut-il considérer que les « exceptions consolantes[1] » qui échappent à la règle d’airain de la reproduction suffisent à créditer la méritocratie républicaine d’une réussite incontestable ?
Qu’on utilise un concept plus neuf, celui de la lutte contre toutes les formes d’assignation, suffit-il à exempter l’école réelle du tri social et culturel auquel elle procède, pour que soient surreprésentés en lycée général les élèves issus de milieux favorisés et en lycée professionnel celles et ceux issus de milieux populaires ?
La cohésion d’une nation autour de son école et de ses personnels signifie-telle qu’elle donne quitus aux ministres successifs pour les politiques qu’elles et ils ont menées et envisagent de poursuivre ? De leur part, parler dans la circulaire de rentrée de « cohésion autour de l’école et de ses personnels », plutôt que de confiance en l’école et ses personnels, n’est pas un hasard : quand on annonçait, dans cette circulaire, le lancement d’ « une démarche de labellisation des manuels scolaires », on ne pouvait mieux marquer l’absence de confiance du ministère dans les enseignants qui, depuis l’école républicaine, sont responsables du choix des manuels.
En cette rentrée extraordinaire, élèves, personnels et parents, tous les citoyens peuvent prendre du recul par rapport à une circulaire de rentrée qui ne peut être politiquement portée par une ministre démissionnaire : c’est sans doute l’occasion de mieux percevoir le piège des mots employés par ceux qui gouvernent l’éducation comme s’il n’y avait pas, au nom de la cohésion, à discuter leurs choix politiques éducatifs.
Les derniers ministres et parmi eux l’actuel premier ministre démissionnaire, ont été particulièrement audacieux en intitulant « choc des savoirs » une opération qui ne vise nullement à passer les savoirs actuellement enseignés au crible des besoins de formation des élèves d’aujourd’hui, mais à habiller une opération de renforcement du tri des élèves dès l’entrée au collège.
Plutôt que d’appeler à la cohésion, mieux vaudrait appeler au débat, à la réflexion collective sur les savoirs qu’on enseigne à l’école, et sur les meilleurs moyens de rompre avec une école qui, malgré l’engagement de ses personnels, demeure injuste dans son organisation, son fonctionnement et ses choix d’enseignements. L’école du futur, débattons-en sans tarder !
________________________________________________
[1] Expression employée par Ferdinand Buisson pour dénoncer en 1921, dans le Manuel de l’enseignement primaire, l’hypocrisie des « bourses scolaires » destinées à masquer, par des « exceptions consolantes » le fait que « la nation se prive chaque année de quelques milliers d’intelligences hors ligne pour réserver ses faveurs aux médiocrités de la classe riche ».