Christophe Bouillon, député de la 5ème circonscription de seine-Maritime était destinataire le 18 décembre d'une lettre envoyée au maire de ma commune, Caudebec-en-Caux, lettre reprise sous forme d'un billet du même jour intitulé: RETOUR SUR LA RÉVOLTE DES ISOLOIRS. Dans cette réponse, C. Bouillon compâtit à cette "révolte" en soulignant sa grande inquiétude quant au résultat des élection régionales. Il dit partager mes différentes remarques sans toutefois émettre des solutions aux problèmes posés. Chacun pourra juger cette réponse comme bon lui semble. La voici:
Bonjour M. Riboulet,
J’ai bien pris connaissance de votre réaction quant aux résultats des élections régionales.
Le scrutin a été particulièrement serré en Normandie. 4700 voix, c’est environ 1 voix par bureau de vote, c’est aussi moins de 10% des bulletins blancs et nuls. Je veux regarder les choses lucidement : c’est effectivement une défaite, mais il y a quelques mois, la gauche était donnée perdante, de manière très large. J’ai beaucoup de mal avec le concept de « défaite d’avenir », mais force est de noter que la campagne, le bilan de l’action de Nicolas Mayer-Rossignol et de Laurent Beauvais ainsi que les propositions qu’ils avançaient n’ont pas été rejetés en bloc. Le contexte national et international a influencé, c’est sûr.
Je lis vos arguments relatifs au manque de renouvellement. Je les entends. Ils rejoignent les conclusions d’un sondage publié ces derniers jours, qui montre que les Français souhaitent un renouvellement de la classe politique, un rajeunissement. Or, il y a moins d’un an, aux élections départementales, le chef de file de la gauche seinomarine était Nicolas Rouly, le plus jeune président de Département de France, n’ayant occupé aucune fonction exécutive ou législative auparavant. Il n’a pas été réélu. Le président du Département est désormais un homme qui est 1er adjoint de la commune dont il a été maire pendant 22 ans, qui préside une communauté de communes, qui est conseiller général d’un canton depuis 20 ans, mandat obtenu à la suite de son père et, pour être tout à fait complet, il a été candidat aux élections sénatoriales, sur une liste de droite, et deviendrait sénateur si l’un des sénateurs en place démissionnait ou venait à disparaître. Il y a un mois, aux élections régionales, la tête de liste de gauche était Nicolas Mayer-Rossignol, le plus jeune président de Région de France, qui n’avait jamais été élu avant son mandat de conseiller régional en 2010. Les Normands ont préféré un homme qui a démontré, durant toute la campagne, sa grande méconnaissance des dossiers et du territoire, qui préside un parti politique national, une communauté de communes, qui est élu de sa commune depuis 1989, qui a successivement ou parallèlement été conseiller général, député, ministre… et même conseiller régional, un mandat pour lequel il détient le record de l’absentéisme ! J’ajoute qu’à ces élections régionales, une part trop importante d’électeurs normands ont accordé leur confiance à la liste du FN, menée par un homme qui a été successivement élu municipal de Sartrouville, puis d’Elbeuf, où il ne vit pas, et qui est député européen depuis un an et demi mais que personne n’a vu depuis son élection !
Je regarde que, dans le même temps, Alain Rousset, Président socialiste de la Région Aquitaine depuis 17 ans, également député de la Gironde, a été élu très confortablement Président de la grande Région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charente. Même chose pour Jean-Yves Le Drian, qui aura 70 ans en 2017, et qui était déjà député du Morbihan en 1978 ! Je me réjouis que ces deux hommes de grandes qualités et dont les actions sont saluées aient été élus, mais il faut admettre que cela ne correspond pas tout à fait à la volonté manifeste de renouvellement et de non cumul de mandat dans l’espace et dans le temps…
De même, je note que dans le sondage sorti ces derniers jours, les Français expriment une volonté de renouvellement mais, pour la présidentielle de 2017, semblent souhaiter la candidature d’Alain Juppé, 70 ans, qui s’est présenté, pour la première fois, à une élection législative en 1978 et qui était ministre il y a 30 ans !
Par ces exemples, je souhaite pointer le paradoxe entre l’attente des citoyens, que je mesure, et leur vote. Je partage pleinement votre avis sur le fait que les Français attendent un renouvellement mais je constate, objectivement, que cette volonté ne se traduit pas toujours dans les urnes.
Vous évoquez aussi la nécessité de moderniser la vie politique, notamment en la rendant plus transparente. Je partage pleinement votre souci. Mais là encore, je veux rappeler que toutes les mesures allant dans le sens d’une plus grande transparence l’ont été à l’initiative de la gauche et n’ont été votées que par les parlementaires de gauche : la déclaration de patrimoine, la limitation du cumul des mandats, l’interdiction – à compter de 2017 – de cumuler un mandat de parlementaire avec un mandat exécutif (à laquelle j’ai choisi de me conformer dès 2014), la baisse des indemnités des élus nationaux, le plafonnement des indemnités lors qu’un élu cumule plusieurs mandats, la lutte contre les conflits d’intérêts, l’obligation de rendre publique l’utilisation de l’enveloppe parlementaire (que j’applique depuis 2007, bien que n’y étant pas contraint)… Paradoxalement, la vie politique n’a jamais été aussi transparente qu’à l’heure actuelle. Personnellement, je pense que c’est une excellente chose.
Vous soulignez également l’insupportable montée du Front National. Je partage d’autant plus votre inquiétude que l’époque où le vote FN pouvait s’expliquer par l’insécurité (ou le sentiment d’insécurité), la xénophobie ou le racisme est révolue. Le vote FN est désormais multifactoriel. L’individualisme, la solitude, la peur du déclassement, l’éloignement, le rejet de l’autre, l’ignorance… sont autant de vecteurs qui amènent les électeurs à voter pour le FN. D’ailleurs, ils ne votent pas pour tel ou tel candidat ; ils votent pour le parti et, éventuellement, pour sa « cheffe ». Je suis également inquiet de mesurer que le FN n’est plus seulement un vote de protestation mais un vote d’adhésion.
Mon inquiétude ne se transforme pas en résignation. Je considère qu’il est plus que jamais important d’être présent sur le terrain, d’expliquer ce que l’on fait et pour quoi on le fait, d’accompagner les habitants, de les écouter, de les défendre, de les aider. Sur la seule année 2015, en plus des collectivités, des entreprises, des associations, des établissements scolaires, des structures syndicales et professionnelles, je suis intervenu dans les dossiers individuels et personnels de plus de 400 personnes. Je ne sais pas s’il s’agit de la bonne méthode. Quoi qu’il en soit, c’est un engagement que j’ai pris auprès des électeurs et cela me semble très important de l’honorer. Cela implique de consacrer beaucoup de temps et d’énergie au mandat. C’est comme cela que je conçois mon engagement.
Très cordialement,
Christophe BOUILLON
Député de Seine-Maritime
Vice-Président de la Commission du Développement Durable et de l'Aménagement du Territoire