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Billet de blog 4 février 2020

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Ma vie avec des jumeaux autistes, "par les fissures la lumière peut entrer"

Les spécialistes parlent de réussites exemplaires comme Greta Thunberg et Steve Jobs, mais vous ne pensez qu’à une chose : ont-ils été heureux, les a-t-on traités avec gentillesse ? Et on apprend ce que veut dire « takiwatanga ».

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Ma vie avec des jumeaux autistes : « votre famille se fissure, mais par les fissures la lumière peut entrer. »

Angela Cuming/Samedi 25 janvier 2020

Traduction par Sarah du Guardian : "My life with autistic twins: 'Your family is cracking, but through the cracks comes light' "

Illustration 1
Les jumeaux Tommy et Henry, fils d’Angela Cuming. © Photographie d’Angela Cuming.

Vous vous rendez compte que le monde est plein de gens qui sont gentils et compréhensifs envers les enfants autistes. »

C’étaient deux garçons identiques nés à 34 semaines, et vous les avez appelés Tommy et Henry. Ils étaient tellement minuscules et fragiles, et tellement couverts de fils que vous aviez peur de les casser en les touchant.

Puis ils sont rentrés à la maison et ont commencé à grandir, à devenir de petites personnes heureuses, qui mangeaient bien et dormaient encore mieux, et vous avez poussé un soupir de soulagement, pensant que la partie la plus dure était derrière vous.

Ils ont un an, puis deux, et vous avez l’impression que l’un d’eux essaie de dire « mama » mais vous n’êtes pas sûre.

Vous les amenez consulter des médecins, mais l’on vous dit que vous n’avez pas besoin de vous inquiéter. Mais maintenant ils ont trois ans, et maintenant quatre, ils ne prononcent que quelques mots, et vous sentez bien que quelque chose ne va pas.

Alors maintenant vous êtes dans une pièce, où il y a tellement de visages, de noms, et de presse-papiers, et on vous donne le diagnostic sur place : trouble du spectre de l’autisme.

Au fil des rendez-vous avec médecins et spécialistes, aucun ne manque de vous parler de Greta Thunberg, de Steve Jobs, d’artistes renommés et de récits à succès de la Silicon Valley, mais la seule chose que vous vous demandez, c’est si Greta ou Steve, comme tous les autres, étaient heureux et si on les traitait avec gentillesse.

Illustration 2
Les jumeaux Tommy et Henry, fils d’Angela Cumming. © Photographe Angela Cumming.

Les gens raffolent des mots qui font le buzz quand on aborde le sujet de l’autisme. Penseurs créatifs ! Petits génies ! Super héros ! Vous savez qu’ils ont de bonnes intentions, mais quand même, par moments vous aimeriez bien que quelqu’un dise « Oui, tout ça c’est un peu horrible pour vous, pas vrai ? », et que vos fils puissent passer un jour sans se frapper sur la tête.

“Notre vie est en gros coupée en tranches de 10 minutes maintenant », vous a lancé votre mari ce soir, par-dessus le bruit des pleurs et des gémissements, et des jouets lancés à travers la pièce. Et vous, vous hochez la tête et continuez à plier le linge.

Il y a beaucoup de mauvais moments. Vous emmenez votre fils aîné, qui a six ans, voir le père Noël, et plus tard vous regardez sur la photo les deux places vides où ses petits frères auraient dû être assis.

Ce même garçon, qui un peu plus tard va crier de frustration, serré contre vous, en pleurant et en demandant pourquoi ses frères n’arrêtent pas de casser ses affaires. « Ce n’est pas juste », sanglote-t-il, et vous vous dites que vous n’avez jamais entendu de mots plus vrais.

Une grande partie de la tristesse vient de moments qui n’existeront jamais. En tout cas pas pour l’instant. Pas d’histoires le soir et de câlins. Pas de « je t’aime, Maman ». Pas de sorties dans les magasins pour s’offrir une glace ; pas de vacances en famille ou de séjours en camping. La maison, c’est votre sanctuaire et votre prison.

Il a été noté sur un compte-rendu que, alors que votre mari et vous étiez en train de pleurer dans la salle d’évaluation, un des jumeaux semblait ne rien remarquer. Cela vous poursuivra toujours.

A d’autres moments, une colère viscérale vous gagne, aussi. Vous lisez dans le National Autistic Society des rapports selon lesquels 28% des personnes autistes se sont déjà entendu demander de sortir d’un endroit public, à cause de comportements associés au fait d’être autiste, et cela vous brise le cœur.

Vous vous connectez sur Tweeter, et là, Karen est en train de se plaindre des enfants qui pleurent dans les avions, des enfants qui jouent sur les i-pads, des enfants qui font du bruit dans les cafés, et c’est de vos deux beaux petits garçons qu’ils sont en train de parler.

Vous lisez que les gens émettent des hypothèses sur le fait que le premier ministre australien, Scott Morrison, soit autiste, parce qu’il est tellement insensible envers les victimes des feux de brousse, et à ce moment-là, vous voyez Tommy essuyer les pleurs sur le visage d’Henry, alors que celui-ci s’est fait mal en tombant, et vous vous demandez comment les gens peuvent confondre comme ça un imbécile et une personne autiste.

On dirait que votre famille se fissure, mais à travers ces fissures la lumière passe.

Illustration 3
Les jumeaux Tommy et Henry, fils d’Angela Cuming. © Photographie d’Angela Cuming.

Les jumeaux commencent l’orthophonie-logopédie et lentement les mots sortent, au goutte-à-goutte.

Un jour, Tommy vous dit un « Bonjour Maman » sorti de nulle part, et c’est le plus beau son que vous ayez jamais entendu. Un ami leur donne un service à thé en dînette, et Henry vous invite avec ses figurines de dinosaures à un goûter bref mais animé. Leur grand frère Charlie commence à leur fabriquer des remorques avec sa chère collection de jouets qu’il leur interdisait jusque-là. Les têtes se cognent moins souvent contre les murs et sur les sols, ils ont moins de crises, et on fait venir des professionnels pour les préparer à l’école.

Vous vous rendez compte que le monde est plein de gens qui sont gentils et compréhensifs envers les enfants autistes. Le voisin qui passe voir au moment du dîner sans qu’on lui demande. Le collègue de travail qui vous dit que de toute façon, les gens les plus sympas et intéressants sont neuro-atypiques. L’employé du supermarché local qui vous ramasse et vous serre dans ses bras un mauvais jour en vous chuchotant : « ça va aller, ne t’en fais pas. »

Maintenant, votre village, c’est les orthophonistes, les travailleurs sociaux, les ergothérapeutes et les psychologues. Ils ne vous parlent plus de Steve Jobs et de Greta Thunberg, mais à la place ils vous disent que oui, ça va aller mieux. Et ça, ça vous fait vraiment du bien.

On vous apprend que le mot maori pour dire autisme est « takiwatanga ». Cela veut dire “dans leur temps et leur espace à eux ». Le pédiatre de Tommy et Henry vous dit que c’est son mot préféré entre tous, et vous êtes bien d’accord.

Angela Cuming est journaliste et écrivain, elle vit en Nouvelle Zélande.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.