Le syndrome de Pitt-Hopkins indique la voie à suivre pour des traitements de l’autisme
Par Daniel R. Weinberger, The Conversation / 1er Mai 2019

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En 2019, être geek est cool, et l’idée d’être sur le spectre autistique est glorifiée. Cela n’est nulle part aussi vrai que dans la Silicon Valley, un des rares endroits en Amérique où l’on favorise, plus qu’on ne critique, la singularité sociale et l’hyper focalisation sur les détails, semblable à un rayon laser. La scientifique renommée, Temple Grandin, qui a souvent été louée comme un modèle de réussite dans les cercles autistes, a un jour affirmé dans un journal californien : « La moitié des employés de la Silicon Valley a une forme légère d’autisme, c’est simplement qu’ils évitent les étiquettes. »
Je ne suis pas personne à diagnostiquer de vastes sous-cultures à partir d’articles de journaux, mais le récent changement dans le discours sur l’autisme est positif, parce qu’on peut entretenir l’espoir qu’il obligera la société à traiter les personnes autistes avec plus de compassion. Mais il pourrait également laisser dans l’ombre une vérité plus sombre, à savoir les épreuves et combats qui sont par moments accablants pour les individus concernés et leurs familles.
Les approches actuelles pour aider les enfants autistes ont un impact limité, mais les scientifiques commencent à envisager la possibilité que les traitements se fondent dans peu de temps sur des causes spécifiques.
Je suis directeur du Lieber Institute for Brain Development (Institut Lieber pour le Développement du Cerveau) et des Laboratoires de Recherche Maltz, à l’Université John Hopkins, où les scientifiques étudient la façon dont les gènes et l’environnement façonnent le développement du cerveau humain. Nous avons trouvé un médicament qui agit sur les cellules individuelles et sur les modèles de rongeurs d’une forme d’autisme appelée le syndrome de Pitt-Hopkins, provoqué par une mutation génétique particulière. Nous espérons débuter les essais sur des sujets humains dans un an.
Les personnes qui remplissent les critères de l’autisme ne sont pas toutes, et loin s’en faut, contrairement aux idées reçues, des prodiges matheux à haut niveau de fonctionnement, que les entreprises de technologies se disputent pour leurs aptitudes cognitives uniques. De fait, la recherche démontre que les adultes autistes sont plus défavorisés économiquement, socialement et dans l’éducation, que les adultes qui ont d’autres handicaps intellectuels ou de développement.
Dans les formes sévères d’autisme, comme le syndrome de Pitt-Hopkins, les enfants apprennent à marcher entre 4 et 6 ans, et la plupart des personnes ne parviennent pas à parler. Mais un trouble rare tel que le Pitt-Hopkins est peut-être à même de fournir des indications pour mettre au point des traitements de l’autisme, et permettre de comprendre pourquoi ces personnes « sur le spectre » sont si particulières.
Le terme « autisme » définit une gamme de troubles dans lesquels le cerveau fonctionne différemment. Ceci est comparable au terme « cancer » qui décrit un ensemble de maladies caractérisée par une croissance incontrôlable des cellules. Le diagnostic de l’autisme est généralement effectué vers l’âge de 2 ou 3 ans, au moment où les enfants montrent des comportements répétitifs et connaissent des difficultés de socialisation. Il y a encore peu de temps, on considérait que l’autisme n’était pas courant, et on l’imputait à une carence de soins parentaux, mais nous savons à présent que l’autisme est un trouble du développement qui survient chez 1 personne sur 59, et ne résulte pas des comportements parentaux.
On n’en connaît pas encore la cause exacte, mais il semble qu’un mélange de facteurs environnementaux et une pléthore d’infimes différences génétiques se combinent pour modifier le développement du cerveau, dès la petite enfance. Ceci oriente le développement cérébral sur une trajectoire différente de celle considérée comme « normale ».
Les nombreux facteurs qui entrent en ligne de compte dans l’autisme en compliquent particulièrement la compréhension. Le nombre de variables est élevé, ce qui interdit presque la possibilité d’isoler un facteur unique pour l’étudier. C’est pour cette raison qu’un trouble rare comme celui de Pitt-Hopkins est un cas d’étude précieux pour la recherche sur l’autisme, et les résultats produiront peut-être un éclairage sur d’autres formes d’autisme. Le syndrome de Pitt-Hopkins est causé par une mutation dans un gène sur le 18e chromosome. En plus d’occasionner des problèmes pour la marche et la parole, cette mutation cause des traits faciaux particuliers, et entraîne parfois des difficultés respiratoires.
Les canaux ioniques pour cibles
Comme la cause génétique du Pitt-Hopkins est connue, nous pouvons étudier la mutation dans le laboratoire, pour mieux comprendre de quelle manière elle modifie l’activité cérébrale. On nomme ce gène muté transcription factor 4 (facteur de transcription 4 – TCF4). Son activité est intense pendant le développement précoce du cerveau dans la petite enfance. Quand le gène est activé, il augmente la production de deux canaux ioniques. Ces protéines permettent aux ions (en particulier le sodium et le potassium) d’entrer et de sortir de la cellule ; on les trouve sur la membrane des neurones cérébraux.
Précisément, ces canaux ioniques finissent par entrer en trop grande activité, ce qui entraîne une modification de la fonction des cellules nerveuses et de leurs réponses aux signaux provenant des autres neurones, et en conséquence, du fonctionnement du cerveau dans son entier. Quand nous avons testé cela sur des rongeurs et des cellules modèles, nous avons observé que la mutation Pitt-Hopkins modifiait la fonction des neurones du cerveau, qui sont les premiers responsables des anomalies cognitives et sociales que l’on trouve chez les gens. Dans ces modèles cellulaires et animaux, les cellules nerveuses ne répondaient pas normalement à la stimulation. Lorsqu’on les stimulait, au lieu de renvoyer les signaux, elles allaient au contraire s’éteindre.
Forte de cette connaissance, une équipe de chercheurs, ici à l’Institut Lieber, a entamé une recherche pour concevoir un médicament qui pourrait bloquer l’activité de ces canaux ioniques, modifiant par là-même le comportement des neurones. Il s’est avéré que plusieurs compagnies pharmaceutiques ont créé des médicaments qui ciblaient un de ces canaux ioniques, un de ceux, comme nous l’avions découvert, qui agissaient dans les cellules nerveuses et chez les animaux porteurs d’anomalies. Nous sommes arrivés à la dernière étape avant d’autoriser des essais humains de ce composé sur de jeunes adultes atteints du syndrome de Pitt-Hopkins, ce que nous espérons commencer dans environ un an.
Ceci constituerait alors le premier traitement pour l’autisme qui prendrait en compte la compréhension d’un facteur de causalité spécifique.
Cela ne répare évidemment pas tout. En modifiant le fonctionnement de chaque nerf dès le développement précoce, le syndrome de Pitt-Hopkins change en même temps la structure du cerveau de manière définitive. Mais si nous pouvons corriger la manière dont les neurones fonctionnent, il nous est possible de restaurer une activité cérébrale normale chez les personnes qui ont ce trouble.
Soyons clairs : les enfants et jeunes adultes atteints de ce syndrome affrontent des difficultés autrement différentes que ceux qui, à l’autre extrémité du spectre de l’autisme, sont mal à l’aise en société, mais avec un haut niveau de fonctionnement, et un emploi bien rémunéré. Mais après tout, peu importe où se portent nos regards sur le spectre, car si nous voulons mieux comprendre toutes les formes d’autisme, nous devons commencer par découvrir les causes biologiques sous-jacentes de ces troubles. Ainsi nous ouvrirons une fente constituant une mince ouverture, qui pourra aider à comprendre comment cela se passe.
Cet article a été publié à l’origine dans The Conversation. Il a été légèrement modifié pour refléter le style de Spectrum News.
Source : Pitt-Hopkins syndrome may point the way to autism treatments Traduction lulamae