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Billet de blog 6 août 2019

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L'autisme se « voit-il » dans le cerveau ?

5 points de vue sur les potentialités des études sur le cerveau.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Spectrum News -  2 Juillet 2019

Traduction lulamae

Illustration 1
© FHEL Landerneau - Cabinets des curiosités

Un diagnostic d'autisme repose sur le comportement. Mais l'identification d'une signature cérébrale de la condition pourrait aider à renforcer le diagnostic, et pourrait même fournir un biomarqueur de la condition de manière précoce.

Connaître les empreintes de l'autisme dans le cerveau pourrait aussi faire la lumière sur les mécanismes biologiques et indiquer des cibles pour les traitements. Ces empreintes peuvent consister en traits structurels ou en schémas de l'activité cérébrale.

Les chercheurs peuvent visualiser ces deux aspects en recourant à l'imagerie à résonance magnétique (IRM).

Toutefois, malgré des décennies de travail, personne n'a découvert de structure cérébrale caractéristique, ni de schéma d'une activité cérébrale qui serait propre à l'autisme. Les études sur l'imagerie cérébrale ont abouti à des résultats contradictoires, et peu de résultats ont pu être reproduits. Nous avons demandé à cinq experts de l'imagerie cérébrale comment ils intègrent ce manque de résultats éprouvés dans ce domaine. Existe-t-il une signature cérébrale propre à l'autisme, et si oui, comment les chercheurs pourraient-ils la découvrir ? Voici leurs réponses.

Evdokia Anagnostou

Scientifique principale, Holland Bloorview Kids Rehabilitation Hospital (Hôpital de Réadaptation  pour Enfants de Holland Bloorview, à Toronto, Canada)

La structure cérébrale n'est pas parallèle aux marqueurs diagnostiques, mais pourrait se rattacher à un schéma particulier de comportements.

Christine Wu Nordahl

Professeure associée de psychiatrie et de sciences du comportement, Université de Californie, Institut Davis MIND

Avant de jeter l'éponge, nous devons inclure une plus grande diversité d'individus autistes dans nos études, et ensuite définir des sous-groupes.

Alessandro Gozzi

Chercheur senior, Instituto Italiano di Tecnologia (Gênes, Italie)

Les études d'imagerie cérébrale sur les souris indiquent la faible probabilité que l'autisme soit associé à un ensemble de différences structurelles ou fonctionnelles.

Ralph-Axel Müller

Professeur de psychologie, Université de l'Etat de San Diego (Californie)

Il nous faut des approches statistiques pour identifier des sous-catégories de personnes autistes, reconnaissables par leurs schémas d'activité cérébrale.

Ruth Carper

Professeure et chercheuse associée, Université de l'Etat de San Diego, Californie

Les différences cérébrales peuvent être subtiles dans l'autisme, mais nous devrions être en mesure de les découvrir avec une technologie plus avancée.


Révéler des correspondances de comportement par une vue d'ensemble des conditions

par  Evdokia ANAGNOSTOU  /  2 Juillet 2019

En raison de l'hétérogénéité présente dans l'autisme, il est peu probable qu'une différence cérébrale puisse caractériser l'autisme comme un tout. Dans notre recherche, la structure cérébrale ne décalque pas les marqueurs diagnostiques. Cependant, de nouveaux types d'analyses statistiques pourraient mettre en lumière des différences cérébrales capitales chez les autistes et les personnes qui ont d'autres conditions neurodéveloppementales, ce qui pourrait aider à identifier des sous-groupes de personnes partageant une même structure et fonction cérébrales.

Dans une étude publiée plus tôt dans l'année, nous n'avons trouvé aucune différence structurelle significative dans le cerveau des autistes, des personnes avec un trouble de l'attention avec hyperactivité (TDAH) et les sujets contrôles. Nous avons de fait trouvé des différences entre les individus, mais pas au niveau du groupe. Nous avons donc analysé nos données d'une manière plus sceptique, en utilisant un algorythme capable de regrouper des individus selon les similitudes observées dans leurs caractéristiques cérébrales.

Nous avons trouvé des groupes, mais ceux-ci semblent traverser les marqueurs diagnostiques. Ainsi, un enfant avec TDAH peut ressembler davantage à un enfant autiste qu'à un autre enfant avec TDAH. Ces résultats concordent avec nos recherches précédentes, mais nous ne comprenons pas encore la manière dont ces groupes sont reliés aux gènes et au comportement. Si nous parvenons à associer ces groupes cérébraux avec la génétique ou le comportement, nous pourrions utiliser ces profils de structure cérébrale pour prévoir la biologie et le comportement – et pour tester des remèdes.

Cette approche pourrait révéler des sous-types dans l'autisme, aussi bien qu'ils pourraient nous faire comprendre de quelle manière les troubles du développement se recoupent. Pour apprendre si une différence est spécifique à l'autisme ou non, il est important de comparer les autistes avec d'autres personnes atteintes d'autres troubles du développement. Envisager les troubles de manière transversale devrait devenir une pratique courante pour ces études.


Besoin d'étudier un spectre plus large, puis le briser
Illustration 2
© FHEL Landerneau - Cabinets des curiosités

Par Christine WU NORDAHL  /  2 Juillet 2019

En tant que scientifique qui a passé les dix dernières années à recueillir des scans d'IRM chez des centaines de bébés endormis et d'enfants autistes, je ne me sens pas prête à jeter l'éponge. Je crois qu'il existe des différences cérbrales propres à l'autisme, mais il est probable qu'il existe plus d'une signature neuronale pour l'autisme. Il y a plusieurs facteurs importants à prendre en compte.

D'abord et avant tout, l'autisme est indéniablement hétérogène et peut se produire simultanément avec d'autres conditions. Cette hétérogénéité devient probablement « du bruit » quand on recherche les différences au niveau des groupes dans les cerveaux des autistes et ceux des contrôles ou des personnes ayant d'autres troubles.

Notre approche cherche à atteindre l'identification de sous-groupes plus homogènes d'individus autistes, s'appuyant sur des caractéristiques cliniques, biologiques et cérébrales. Notre objectif est de découvrir des phénotypes neuronaux pertinents cliniquement, qui puissent aider à prédire des résultats et à renseigner sur les traitements possibles.

En deuxième point, nous devrions tenir compte du fait que la plupart des études sur l'imagerie ciblent une partie restreinte de la population autiste – en général, des individus plus âgés, qui peuvent supporter de se retrouver dans un scanner cérébral. Nous n'avons pas entièrement évalué les jeunes enfants au moment du diagnostic, ce qui permettrait vraisemblablement davantage d'éclaircir quelles sont les différences cérébrales spécifiques dans l'autisme, plus que celles qui sont associées aux interventions comportementales ou aux traitements médicaux. Nous n'avons pas non plus évalué des individus placés sur tout le spectre. Seule une minorité d'études IRM comprend des individus qui ont des caractéristiques importantes.

Et pour finir, il nous faut évaluer les différences dans les trajectoires du développement cérébral tout au long de la vie. La plupart des études privilégient seulement des instantanés cérébraux. Mais le développement cérébral est dynamique, et les études longitudinales sont capitales pour comprendre les différences cérébrales dans l'autisme et les autres troubles cérébraux.


Souris modèles de l'autisme : absence de caractéristiques cérébrales communes

Par Alessandro GOZZI  /  2 Juillet 2019

Malgré presque quarante ans de recherche clinique impliquant des techniques d'imagerie cérébrale toujours plus élaborées, aucune signature cérébrale reconnue propre à l'autisme de manière indiscutable n'a été encore identifiée. Bien que ce résultat nul ait été à l'origine attribué aux irrégularités techniques ou cliniques, il peut effectivement refléter l'hétérogénéité du spectre.

Mon équipe a scanné les cerveaux de plus d'une douzaine de modèles souris différents comprenant des mutations de gènes associés à l'autisme, en utilisant une imagerie à résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Nous avons émis l'hypothèse que les traits autistiques reflétaient une modification de l'activité cérébrale.

Nous avons découvert des modifications de circuits communs aux souris avec les différentes mutations. Mais, d'une manière assez inattendue, nous avons aussi constaté que les schémas de l'activité cérébrale pouvaient diverger grandement d'un modèle souris autiste à un autre, même parmi ceux qui avaient des comportements comparables. Ces résultats indiquent – à grande échelle – qu'il est peu probable que l'autisme soit associé à un ensemble unique de différences structurelles ou cérébrales.

Ceci ne signifie pas que nous devrions abandonner la cartographie du cerveau dans l'autisme. Mais plutôt que notre cible devrait se déplacer des différences cérébrales qui seraient spécifiques à l'autisme, à des signatures cérébrales spécifiques aux sous-groupes d'autisme, définis génétiquement.

Ce dernier but semble être plus à notre portée et cliniquement utile : cela pourrait nous aider à identifier les circuits des modifications fonctionnelles, que nous pourrons cibler avec des traitements.


Défauts inhérents aux analyses des groupes dans l'autisme

Par Ralph-Axel MÜLLER  /  2 Juillet 2019

Parmi les innombrables résultats rapportés dans la riche littérature de la neuroimagerie de l'autisme, pas un seul d'entre eux ne pourrait être qualifié d' « unique » dans le sens où il circonscrirait un trait cérébral présent chez chaque individu autiste, mais pas chez les individus sans trouble autistique. En outre, au niveau neurobiologique, il n'existe pas d' « autisme » au singulier.

On peut débattre en se demandant si le « trouble du spectre autistique » dans la dernière édition du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), défini par des critères comportementaux (et non neurobiologiques), se réfère au singulier de manière appropriée. Cependant, quand il s'agit des causes et voies neuro-développementales, les preuves tendent vers la pluralité de manière écrasante. De nombreuses combinaisons de causes et de nombreuses voies de différences neurodéveloppementales existent, et peuvent déboucher sur un diagnostic de l'autisme chez un enfant. Une fois que cela est compris, s'attendre à trouver une différence cérébrale singulière manque totalement de réalisme.

 C'est une conclusion qui peut paraître pessimiste. Cela implique-t-il que des décennies de recherches en neurosciences et en neuroimagerie aient été vaines ? Pas le moins du monde. Toutefois, cela implique bel et bien qu'une génération entière de chercheurs en neuroimagerie (dont je fais partie), tout en obtenant des données conséquentes, ont peut-être emprunté pour ce faire une mauvaise direction.

 La question a presque toujours été : Quelle est la différence entre un groupe autiste et un groupe de comparaison (généralement au développement typique) ? Mais cette question a peu de sens, quand nous savons que tout échantillon dans l'autisme se compose probablement d'individus qui ont des histoires neurodéveloppementales divergentes. Avec de petits échantillons, cela donnera des résultats biaisés (qui refléteront la composition de l'échantillon) qui ne seront pas reproductibles avec un autre échantillon.

Les échantillons élargis qui sont maintenant possibles depuis ces dernières années ne constituent pas en eux-mêmes une solution. Une différence au niveau du groupe (disons 1 000 autistes et 1 000 participants au développement typique) peut être hautement « significative » compte-tenu de cette ample puissance statistique, mais cela peut ne pas nous apprendre grand-chose sur les différences cérébrales essentielles présentes en tout individu appartenant à une vaste cohorte de l'autisme. C'est justifié par le fait que, dans les tests au niveau du groupe, les différences constatées sur un grand nombre d'individus du groupe deviendront « significatives », même si elles ont une magnitude minimale.

D'un autre côté, une caractéristique cérébrale variant considérablement avec le groupe neurotypique, mais de façons opposées chez différents individus autistes, peut ne pas être reconnue du tout dans les analyses au niveau du groupe, même si cette variation pourrait être essentielle pour expliquer des traits de comportement au niveau individuel ou au niveau des sous-groupes. Des résultats négatifs dans les comparaisons en neuroimagerie entre l'autisme et d'autres conditions du développement telles que le TDAH peuvent également être expliquées : des différences cérébrales importantes qui divergent au sein de mêmes sous-catégories dans chaque condition peuvent masquer les résultats au niveau du groupe.

Pour avancer, nous avons besoin d'approches statistiques pour identifier des regroupements, ou sous-catégories de participants autistes, qui reposent habituellement sur des techniques fondées sur les données. Dans le cadre d'une telle approche, la disponibilité de vastes échantillons sera en effet bénéfique, parce qu'ils rendront possible l'identification de variants dans le groupe autisme, même si ceux-là sont relativement peu fréquents.


Illustration 3
© FHEL Landerneau - Cabinets des curiosités

La signature est là mais peut être difficile à voir
par Ruth Carper / 2 juillet 2019

Il doit y avoir des différences cérébrales dans l'autisme, parce que le cerveau est à la base de toute cognition et de tout comportement - et les différences cognitivo-comportementales qui caractérisent l'autisme peuvent être si évidentes. Les différences cérébrales peuvent être subtiles ou difficiles à trouver, comme dans le cas des caractéristiques cognitives et comportementales. Elles peuvent changer au cours de leur durée de vie ou se chevaucher avec d'autres conditions. Mais elles sont là.

L'autisme englobe un large éventail de comportements et de gravités, et probablement de multiples sous-types provenant de différentes causes biologiques. Cela aide à expliquer la difficulté de reproduire les résultats de l'imagerie cérébrale. Chaque étude implique sa propre combinaison de personnes autistes et des proportions différentes de différents sous-types.

En même temps, les conditions de développement du cerveau se chevauchent, tant au niveau du comportement que de la structure cérébrale. Vous pouvez penser à un gigantesque diagramme de Venn avec autisme, trouble obsessionnel-compulsif, TDAH et toutes sortes d'autres affections présentant des traits communs mais beaucoup d'autres uniques. Cette complexité pose un défi pour la recherche et pour le traitement, mais il n'est pas vrai qu'il n'y a pas de différences entre les conditions. C'est juste difficile de les trouver, et elles ne sont pas toujours en noir et blanc.

Voici quelques questions importantes : Avons-nous la technologie nécessaire pour examiner quelque chose de vraiment subtil et tenons-nous compte de la variabilité individuelle et des sous-types potentiels ?

Dans mon laboratoire, nous utilisons l'IRM anatomique avancée et l'IRM de diffusion pour examiner de près la microstructure du cortex cérébral et utilisons des approches analytiques et statistiques qui tiennent compte de la variabilité individuelle. En combinant plusieurs approches d'IRM, nous sommes en mesure d'examiner la structure du cerveau plus en détail et avec plus de précision qu'avec l'IRM traditionnelle seule.

Nous espérons utiliser cette approche pour repérer de petites zones de flou à la limite entre la matière grise (corps cellulaires neuronaux) et la matière blanche (fibres neuronales), par exemple. Ces taches indiqueraient des zones de désorganisation dans le cortex cérébral, et leur emplacement peut varier d'une personne à l'autre.

Ce genre de variation ne serait pas pris en compte dans les comparaisons de groupes traditionnelles, mais aiderait à expliquer une partie de la variation des résultats des études antérieures. Par exemple, les personnes qui ont des taches dans le cortex social peuvent avoir des problèmes sociaux plus graves, alors que celles qui ont des taches dans les régions préfrontales peuvent avoir plus de difficulté à se concentrer ou à s'autoréguler. Nous ne nous attendons pas à voir ces anomalies chez plus d'une fraction des personnes autistes, mais les repérer pourrait aider à identifier les sous-types de la condition.

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