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Billet de blog 7 janvier 2025

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MDPH : autorité parentale/acte usuel; Prestation Compensation Handicap transports 1

Le tribunal judiciaire considère comme recevable - comme acte usuel - un recours d'un seul parent concernant une décision de la MDPH. Il accorde la prise en charge au titre de la PCH des frais de transports réguliers vers des para-médicaux, alors que le parent perçoit un complément d'AEEH.

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Par un jugement du 21 novembre 2024, le pôle social du Tribunal Judiciaire de Brest (Finistère) a accordé la Prestation de Compensation du Handicap (PCH) pour des surcoûts de transports réguliers par voiture particulière, afin d'accompagner l'enfant à des rendez-vous para-médicaux (ergothérapeute, neuropsychologue).

Illustration 1
Versailles © Luna TMG Flickr

Le Tribunal a écarté l'irrecevabilité du recours, irrecevabilité invoquée par la MDPH, au motif qu'un seul parent était demandeur. Le tribunal a estimé que c'était un acte usuel.

Jugement du 21 novembre 2024 - PCH - frais de transports

Recevabilité d'un recours formulé par un seul parent

Je vais d'abord revenir sur la question de la recevabilité du recours, dans cette situation où les deux parents ont l'autorité parentale. En effet, cette question des deux signatures fait l'objet souvent de problèmes avec la MDPH, et peut trouver ses solutions différentes suivant les situations.
La demande à la MDPH était signée par les deux parents.
La mère a exprimé son désaccord à la réception du plan personnalisé de compensation, établi par l'équipe pluridisciplinaire d’évaluation de la MDPH. Elle a demandé à assister à la réunion de la CDAPH (commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées) pour obtenir la prise en charge au titre de la PCH "volet transports".
La CDAPH ayant rejeté sa demande, elle a fait personnellement un RAPO (recours administratif préalable obligatoire). Elle l'a défendu devant la commission, qui a examiné son RAPO et qui l'a rejeté. Elle a alors personnellement fait un recours devant le pôle social du Tribunal Judiciaire.
A ce moment, la MDPH considère son recours comme irrecevable, car il n'est signé que par un seul parent, alors que les deux ont l'autorité parentale.
Le Tribunal, après avoir rappelé l'article 372-2 du Code Civil, suivant lequel "à l'égard des tiers de bonne foi, chacun des parents est réputé agir avec l'accord de l'autre, quand il fait seul un acte usuel de l'autorité parentale relativement à la personne de l'enfant." considère qu'il s'agit d'un acte usuel car cette action, "de nature patrimoniale, portant réclamation d'une somme modique et n'engageant aucunement l'avenir de l'enfant ou ses droits fondamentaux". De ce fait, le recours judiciaire pouvait être fait par un seul parent.


Quelques arguments supplémentaires
A noter que lors de la formulation du RAPO, la MDPH n'a pas fait état auprès de la CDAPH de l'irrecevabilité de la demande.
Les notifications de la CDAPH ont été adressées à chaque parent, avec les voies de recours, sans indiquer que cette action devait être signée par les deux parents.
Dans une situation proche, le formulaire CERFA N° 15980*04 pour Requête aux fins de saisine du tribunal judiciaire en matière de contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale, mentionne :

  • « Si vous êtes un mineur non émancipé : Préciser l’identité de votre représentant légal : père ou mère »

Je connais aussi la question des prestations familiales, où il s'agit simplement d'indemniser financièrement la charge d'un enfant. La demande est présentée par un seul parent. Il y a plus de 50 ans, c'est le "chef de famille" - le père donc - qui devait faire la demande et qui percevait les prestations. Depuis 50 ans, les parents peuvent choisir celui qui deviendra allocataire des prestations, et, s'ils ne choisissent pas,  c'est la mère qui sera allocataire [incidemment, je ne sais pas comment la CAF identifie la mère dans les familles homoparentales].

En cas de séparation (puisque le problème des actes usuels ou non usuels apparaît dans cette situation), les prestations seront versées au parent qui atteste avoir l'enfant à charge.  Et cela se fait heureusement sans demander l'accord de l'autre parent - qui conserve toujours la possibilité de contester la suppression des prestations. S'il y a garde alternée, il sera possible de demander le partage des allocations familiales (essentiellement) avec accord des deux parents. Donc, en général, cette question financière est considérée comme un acte usuel.

Dans les situations compliquées, lorsqu'il y a un recours devant la commission de recours amiable d'un parent, la CAF/MSA considèrera que le conflit ne relève pas de sa compétence, mais de celle du juge aux affaires familiales.

A noter également que, même si l'on considère que les deux parents ont accompli un acte non usuel en faisant la demande conjointement à la MDPH, le recours peut être un acte usuel. Il suppose seulement que l'autre parent ne s'y oppose pas formellement. Or, il a déjà donné son accord à la demande initiale.

Des actes usuels ou non usuels

Il n'existe pas de définition légale des actes usuels, en dehors de l'article du code civil. Il faut donc se rapporter à la jurisprudence.
Le site service-public fait une présentation : Autorité parentale : qu’est-ce qu’un acte usuel ?.

Dans un arrêt du 28 octobre 2011, la  cour d'appel d'Aix-en- Provence a précisé les critères applicables.
La cour a jugé que "les actes usuels peuvent être définis comme des actes de la vie quotidienne, sans gravité, qui n’engagent pas l’avenir de l’enfant, qui ne donnent pas lieu à une appréciation de principe essentielle et ne présentent aucun risque grave apparent pour l’enfant, ou encore, même s’ils revêtent un caractère important, des actes s’inscrivant dans une pratique antérieure non contestée. (..)  A contrario, relèvent de l’autorisation des parents titulaires de l’autorité parentale, et en cas de désaccord, d’une éventuelle autorisation judiciaire, les décisions qui supposeraient en l’absence de mesure de garde, l’accord des deux parents, ou qui encore, en raison de leur caractère inhabituel ou de leur incidence particulière dans l’éducation et la santé de l’enfant, supposent une réflexion préalable sur leur bien-fondé".

On peut se reporter utilement à un guide ministériel datant de 2018 : L’exercice des actes relevant de l’autorité parentale pour les enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance pour la définition des actes usuels ou non usuels, avec notamment des exemples de jurisprudence.

Par exemple, une psychothérapie de longue durée avec une grande régularité est un acte non usuel alors que des séances ponctuelles et d'une portée limitée avec un psychologue, dans un but de prévention de la santé mentale, est un acte usuel - qui ne demande donc pas l'accord explicite des deux parents (page 19).

En ce qui concerne l'orientation scolaire, on verra que beaucoup de décisions parentales sont des actes non usuels (pp.22-23). Mais pas tous.
Dans le cas d'espèce, il y a des séances de remédiation cognitive effectuées régulièrement par un neuropsychologue. On peut donc considérer que c'est au départ un acte non usuel. Mais s'il s'agit d'"actes s'inscrivant dans une pratique antérieure non contestée", cela devient un acte usuel. Or il n'y a que des demandes de financement de mesures, concernant la santé et l'éducation de l'enfant, qui ont fait l'objet préalablement de l'accord des deux parents. Même si elles "revêtent un caractère important", il me semble que la demande à la MDPH peut alors représenter un acte usuel.


Les problèmes pratiques à la MDPH

Quand la demande arrive à la MDPH avec la signature d'un seul des parents ayant l'autorité parentale, celle-ci demande - au parent qui a déposé la demande - la signature de l'autre parent en donnant un délai (deux mois) pour cela. En l'absence de la signature, le dossier sera "soumis" à la CDAPH pour rejeter la demande pour irrecevabilité. La demande à la MDPH est considérée systématiquement comme un acte non  usuel.

Cependant, la MDPH du Finistère, par exemple, fait une exception quand l'autre parent est introuvable.

Les rejets pour irrecevabilité ne sont en fait jamais présentés à la CDAPH. Ils sont approuvés sur listes. Il faut se rendre compte que seuls 2 à 3% des demandes sont présentées à la CDAPH. Toutes les autres décisions sont validées sur des listes qui peuvent faire des centaines de pages. Certaines commissions font un contrôle très - très - succinct de ses listes.*

Or, il ne me semble pas automatique que la demande à la MDPH soit un "acte non usuel". Si vous n'êtes pas d'accord avec la notification d'irrecevabilité, faîtes un RAPO (recours administratif préalable obligatoire). Demandez à participer à la commission, physiquement ou par visioconférence. Contactez les associations de personnes handicapées.
Il y a des situations bloquées, par exemple quand l'autre parent refuse le handicap, les soins, ne veut pas autoriser certains actes pour éviter de participer à leur financement. Comme pour des décisions concernant notamment l'orientation scolaire, la seule possibilité restera alors de saisir le juge aux affaires familiales.

A suivre : la PCH transports

* Exemple du rapport d'activités 2023 de la CDAPH du Finistère. 889 dossiers présentés en CDAPH - 2,77% -  pour 32.059 dossiers (représentant 74.721 décisions, car il y a 2 à 2,5 décisions par "dossier"). Exemple de la CDAPH d'aujourd'hui : sur plusieurs centaines de dossiers, 22 dossiers présentés, dont 8 avec présence des parents (6) ou des adultes (2). La moitié des 22 dossiers présentés sont des RAPO (recours administratifs préalables obligatoires) : deux des usagers ayant fait un RAPO sont présents.  Les représentants des usagers ont fait remonter des questions sur un certain nombre de dossiers sur listes : conformément au règlement intérieur, 9 des dossiers "remontés" ont fait l'objet d'un examen par la commission. La réunion a duré 6 h45 mn. La réception et la délibération pour chaque usager présent a duré de 20 mn à 45 mn.

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