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Billet de blog 10 avril 2020

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Les relations d’adultes autistes avec leurs amis et proches autistes et neurotypiques

Même si les personnes autistes peuvent éprouver des difficultés à interagir avec autrui, de nombreux autistes ont affirmé se trouver plus à leur aise dans les interactions avec d’autres personnes autistes. Des chercheurs ont demandé à 12 adultes quel était leur ressenti lorsqu’ils passaient du temps avec leurs amis et leurs proches, suivant que ces derniers étaient autistes ou neurotypiques.

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Illustration 1
L'Armée des Tasses à Café 1 © Luna TMG

« Je n’avais encore jamais réalisé que les gens se sentaient heureux comme moi je le suis en compagnie d’autres autistes » : étude thématique des relations d’adultes autistes avec leurs amis et proches autistes et neurotypiques

7 mars 2020

Par Catherine J Crompton, Sonny Hallett2, Danielle Ropar3, Emma Flynn4 and Sue Fletcher-Watson1

Traduction (adaptée) par Curiouser de : I never realised everybody felt as happy as I do when I am around autistic people’: A thematic analysis of autistic adults’ relationships with autistic and neurotypical friends and family Autism 

Article au format pdf : https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/1362361320908976

  1.  Université d’Edinburgh, Royaume-Uni
  2. Société d'assistance mutuelle aux autistes, Royaume-Uni
  3. Université de Nottingham, Royaume-Uni
  4.  Queen’s University de Belfast, Royaume-Uni

Résumé

De nombreuses personnes autistes sont motivées pour avoir des amis, nouer des relations et des liens familiaux étroits, malgré la caractéristique clinique de l’autisme définissant cette condition comme impactant de façon négative les interactions sociales. De nombreux autistes témoignent par eux-mêmes se sentir à l’aise et détendus avec d’autres personnes autistes en particulier. Cette recherche qualitative a exploré et mis en regard les expériences des autistes qui passent du temps en société avec des amis et des membres de leur famille, neurotypiques et autistes. Au total, 12 adultes autistes (dont 10 femmes, âgées de 21 à 51 ans) ont répondu à des entretiens semi-structurés portant sur le temps passé avec des amis et des membres de la famille, les aspects positifs et négatifs du temps passé avec des amis et des membres de la famille, neurotypiques et autistes, et les impressions ressenties pendant et après ces moments passés ensemble. Trois thèmes ont été identifiés : la compréhension entre phénotypes, le statut de minorité et le sentiment d’appartenance.

L'étude de ces thèmes révèle les avantages pour les personnes autistes de créer et entretenir des relations sociales avec d'autres personnes autistes, de manière plus systématique que les rapports individuels précédents. Ils soulignent la nécessité d'offrir aux autistes des opportunités sociales et indiquent les avantages pour les adultes autistes d'un soutien informel exercé par les pairs.

Résumé simplifié

Même si les personnes autistes peuvent éprouver des difficultés à interagir avec autrui, de nombreux autistes ont affirmé se trouver plus à leur aise dans les interactions avec d’autres personnes autistes. Afin de voir si cela était une expérience communément partagée, nous avons procédé à de longues heures d’entretien avec douze adultes autistes. Nous leur avons demandé quel était leur ressenti lorsqu’ils passaient du temps avec leurs amis et leurs proches, et si le ressenti était différent suivant que ces derniers étaient autistes ou neurotypiques. En étudiant ces entretiens, nous avons trouvé trois thèmes communs aux témoignages des participants. En premier lieu, ils trouvaient qu’il était plus simple et plus confortable de passer du temps avec d’autres personnes autistes plutôt qu’avec des personnes neurotypiques, et ils se sentaient mieux compris par des personnes autistes. En second lieu, les autistes se sentaient souvent faire partie d’une minorité sociale, et devoir se conformer, afin de passer du temps avec leurs amis et proches neurotypiques, à ce que désiraient les personnes neurotypiques et à ce à quoi elles étaient habituées. Enfin, les personnes autistes se sentaient à leur place avec d’autres autistes, et avaient le sentiment qu’elles pouvaient être elles-mêmes avec ces personnes. Ces résultats démontrent que passer du temps avec des amis et proches autistes peut être très bénéfique pour les personnes autistes et jouer un rôle important pour mener une vie sociale agréable.

Introduction

Malgré la présence de différences dans le cadre des interactions sociales, les personnes autistes ne diffèrent pas nécessairement de leurs pairs neurotypiques vis-à-vis de leur désir d’établir des relations sociales (Bauminger & Kasari, 2000 ; Cresswell et al., 2019). De nombreuses personnes autistes sont motivées pour avoir des amis et entretenir des relations sociales significatives et durables (Bargiela et al., 2016 ; Daniel & Billingsley, 2010 ; Sedgewick, Crane, Hill, & Pellicano, 2019 ; Sinclair, 2010). Cependant, initier, maintenir et se frayer un chemin à travers ces relations peuvent être difficiles pour des personnes autistes, à cause des différences de cognition sociale dans l’autisme. Ces différences de cognition sociale peuvent inclure des difficultés à interpréter des signaux sociaux (Morrison et al., 2019) et la réciprocité sociale (American Psychiatric Association, 2013), des difficultés à comprendre les états mentaux d’autrui (Frith & Happé, 1994), à identifier des émotions faciales de base et des émotions faciales complexes (Baron-Cohen et al., 1997), ainsi que des intonations de voix (Rutherford et al., 2002), le sarcasme (Persicke et al., 2013) et la maladresse sociale (Baron-Cohen et al., 1999). Les personnes autistes ont tendance à avoir moins d’amis que leurs pairs neurotypiques, et les relations des autistes peuvent être basées sur une réciprocité moindre, s’articulant autour d’activités plutôt que sur un lien émotionnel (Orsmond et al., 2004, 2013 ; Petrina et al., 2014). Les personnes autistes peuvent également apprécier passer plus de moments seules ou en petits groupes sociaux plus restreints (Calder et al., 2013). Bien que certaines recherches récentes aient exploré sur le plan qualitatif les amitiés des personnes autistes suivant leur propre point de vue (voir par exemple, Sedgewick, Crane et al., 2019 ; Sedgewick, Hill & Pellicano, 2019), on sait peu de choses sur les différences ressenties par les autistes dans leurs relations avec des personnes autistes et non-autistes.

Les relations et connexions sociales jouent un rôle important dans le bien-être physique et psychologique (Cohen, 2004 ; House et al., 1988 ; Kawachi & Berkman, 2001). Les relations sont également importantes pour le bien-être des autistes ; la solitude des autistes est associée à une mauvaise santé mentale, avec notamment des états dépressifs et anxieux accrus (Mazurek, 2014), des automutilations (Hedley et al., 2018) et des actes suicidaires (Cassidy et al., 2018). Des relations étroites avec autrui offrent aux personnes autistes un espace leur permettant d’expérimenter la réciprocité émotionnelle, d’exprimer leurs émotions, d’échanger des idées, de collaborer et coopérer, ainsi que de pratiquer des compétences interpersonnelles (Cresswell et al., 2019).

Cependant, passer du temps avec d’autres personnes peut ne pas toujours être quelque chose de positif pour les personnes autistes. Récemment, la recherche s’est particulièrement penchée sur le nombre de personnes autistes utilisant des stratégies compensatoires afin de masquer leurs comportements ouvertement autistiques lorsqu’elles passent du temps avec d’autres personnes, leur permettant ainsi de s’intégrer dans leur environnement social (Bargiela et al., 2016 ; Lai et al., 2017 ; Leedham et al., 2020 ; Livingston et al., 2019). Ce « camouflage » des traits autistiques peut être motivé par l’envie de se faire des amis (Tierney et al., 2016) et implique souvent que la personne autiste fasse des efforts afin d’adopter une personnalité neurotypique qu’elle aura construite afin de paraître socialement compétente et confiante face à ses pairs (Hull et al., 2017). L'objectif du camouflage est de s’intégrer aux personnes neurotypiques qui vous entourent, de ne pas susciter d'inquiétudes chez les pairs et de permettre ce qui semble être, à première vue, un fonctionnement social « réussi ». Le camouflage exige de la part des personnes autistes des efforts prolongés et épuisants pour eux (Bargiela et al., 2016 ; Hull et al., 2017). Chez les autistes, un camouflage soutenu s’associe à une détresse mentale significative, avec notamment plus de dépressions (Cage et al., 2018) et de suicides (Cassidy et al., 2018), et des corrélations particulièrement élevées avec des difficultés de santé mentale lors du passage d'un camouflage à l'autre dans des contextes multiples (Cage & Troxell-Whitman, 2019). Cette relation significative entre le camouflage et la détresse mentale revêt une importance particulière compte tenu des taux élevés de maladie mentale dans la population des autistes, des études ayant montré qu’entre 77 % et 79 % des adultes autistes présentaient également des troubles mentaux diagnostiquables (Eaves & Ho, 2008 ; Lever & Geurts, 2016).

Une littérature en train d’émerger met en évidence des sensations de confort et de facilité en étant avec d’autres personnes autistes (Sinclair, 2010), ainsi qu’un modèle théorique de support appelé « problème de double empathie » (Milton, 2012 ; Milton et al., 2018). Le problème de la double empathie énonce que lorsque des personnes avec des expériences du monde très différentes (comme une personne neurotypique et une personne autiste) interagissent entre elles, elles luttent pour se comprendre mutuellement. La communication peut s'interrompre en raison de différences de langage et de compréhension, mais cela résulte surtout d'une difficulté bidirectionnelle plutôt que d'un déficit spécifique de la part de la personne autiste (Milton et al., 2018). Dans des récits autobiographiques écrits par des personnes autistes, ces dernières témoignent s’être senties plus à leur aise avec d’autres personnes autistes qu’avec des personnes non-autistes (Sinclair, 2010).

De nouvelles recherches menées de façon empirique ont comparé directement comment les personnes autistes et neurotypiques échangent des informations en utilisant un paradigme de chaîne de diffusion ; ces recherches démontrent que les autistes transmettent l’information à d’autres personnes autistes de manière plus efficace qu’à des personnes neurotypiques, et qu’elles font en outre l’expérience d’interactions de meilleure qualité en étant avec d’autres personnes autistes (Crompton & Fletcher-Watson, 2019).

En outre, de nouvelles recherches quantitatives ont mis en lumière le rôle que joue le manque de compréhension des personnes neurotypiques dans les expériences d'interaction sociale des autistes ; les personnes neurotypiques sont moins disposées à interagir avec les autistes (Sasson et al., 2017), surestiment leur utilité envers les autistes (Heasman & Gillespie, 2019) et ont du mal à interpréter les états mentaux et les signaux sociaux des autistes (Edey et al., 2016 ; Sheppard et al., 2016). Les adultes autistes ont montré que pendant leurs années d'école, ils se sentaient nettement mieux compris par leurs pairs autistes que par leurs camarades de classe non-autistes (Macmillan et al., 2019).

On peut, cependant, constater qu’il n’y a pas assez de recherches qui étudient les expériences des autistes passant du temps avec des amis et des membres de leur famille autistes, et qui leur demandent si des différences subjectives existent par rapport aux interactions avec leurs amis et leurs proches neurotypiques. Étant donné que le camouflage est motivé par le désir de se fondre dans l’univers social des neurotypiques, il est également important d’examiner si les autistes se sentent obligées d’utiliser le camouflage lorsqu'elles sont en présence d'autres personnes autistes, et comment cela peut influer sur ce qu’ils expérimentent lorsqu’ils passent du temps avec autrui. Dans cette étude, nous utilisons une méthodologie qualitative pour explorer le vécu des personnes autistes et améliorer la compréhension des comportements en donnant un aperçu d’une « expérience autistique » subjective (Robertson et al., 2018).

Illustration 2

 Méthodes

Approche méthodologique

Cette étude a opté pour une conception de type qualitatif, utilisant des entretiens semi-structurés analysés de manière thématique. Elle a été approuvée sur le plan éthique par le comité d'éthique de la recherche en psychologie de l'université d'Édimbourg.

Les participants étaient 12 adultes autistes (voir le tableau 1 pour les informations démographiques), qui répondaient aux critères d'éligibilité suivants :

  1. être âgés de plus de 18 ans,
  2. avoir reçu un diagnostic clinique de troubles du spectre autistique par un professionnel certifié,
  3. parler couramment l'anglais,
  4. ne pas avoir reçu de diagnostic de trouble d'anxiété sociale
  5. ne pas avoir de déficience intellectuelle, avec un QI inférieur à 70.

Les participants ont été recrutés en ligne par l'intermédiaire des médias sociaux, notamment Twitter, du site web de notre projet et d'organisations locales de lutte contre l'autisme, et vivaient tous au Royaume-Uni.

Les participants avaient un âge moyen de 33,58 ans (écart-type - ET - = 10,06), avaient en moyenne 18 ans d'études (ET = 2,15), un QI moyen de 116,92 (ET = 15,51) et un quotient autistique (QA) moyen de 33,58 (ET = 7,32). La grande majorité des participants étaient des femmes. Un code chiffré a été généré pour chaque participant, et les détails d'identification ont été expurgés des citations rapportées.

Procédure

Tous les participants ont transmis par écrit leur consentement explicite avant de prendre part à l'étude. Les entretiens ont été menés par le premier auteur, soit en face à face, soit par téléphone ou par vidéoconférence, selon la préférence du participant. Tous les participants ont effectué des tests de QI et de traits autistiques avec un assistant de recherche lors d'une séance de recherche préalable, environ une semaine avant leur entretien (Crompton & Fletcher-Watson, 2019).

Avant de commencer l'entretien, les participants ont été informés que :

  1. ils pouvaient demander de faire une pause à tout moment pour tout type de raison,
  2. ils n'étaient pas obligés de s’exprimer sur des choses dont ils ne voulaient pas parler,
  3. s'ils voulaient parler de quelque chose de façon plus détaillée, ils pouvaient demander à revenir sur une question ou y répondre plus en détail.

Evaluations

Entretien semi-structuré

Les données ont été recueillies à l'aide d'un programme d'entretiens semi-structurés spécifiquement conçu pour cette étude par notre équipe de recherche, en consultation avec des collaborateurs autistes. L'approche semi-structurée est destinée à être utilisée de manière flexible et permet à l'enquêteur d'explorer la ligne de réponse d'un participant, en sondant les ambiguïtés et en permettant aux chercheurs de valider la pertinence des réponses des participants (Barriball & While, 1994). Nous avons examiné la littérature et n'avons trouvé aucun programme préexistant qui convienne pour nos questions. Cette recherche s'est intéressée de près à la question de savoir comment les personnes autistes vivaient les interactions autistes et non-autistes avec des personnes autistes et neurotypiques. La formulation a été pensée afin d'être neutre et non directive, et a été revue avec les personnes autistes pour qu’elle leur soit accessible. L'entretien a d'abord porté sur les relations et les expériences sociales des adultes autistes avec les personnes non-autistes tenant une place importante dans leur vie, avant d'explorer les relations avec les personnes autistes qui leur étaient également importantes. Dans les quatre dernières questions, on a montré aux participants une citation tirée de Savarese (2009) et de Sinclair (2010), et on leur a demandé quel était leur avis à ce sujet.

Résultats

Les participants ont évoqué les moments passés avec les personnes importantes dans leur vie, autistes comme non-autistes, en réfléchissant à leurs relations et à ce qu’elles ressentaient en leur compagnie. Trois grands thèmes ont été identifiés à partir des données issues des entretiens : la compréhension entre phénotypes, le statut de minorité et le sentiment d’appartenance, chacun comprenant plusieurs sous-thématiques.

Thème 1 : Compréhension entre phénotypes

Les participants ont identifié le fait qu’ils se sentaient souvent mieux compris par d’autres personnes autistes que par des non-autistes, et que des difficultés spécifiques existaient en compagnie des personnes non-autistes.

Sous-thématique 1 : Difficultés entre les différents phénotypes

Les participants ont parlé de leurs difficultés lors d’interactions avec des amis et des membres de la famille non-autistes. Ils ont déclaré que les différences entre les styles de communications verbales et non verbales lors des interactions sociales exigeaient une grande quantité d'efforts et d'énergie lorsqu'ils passaient du temps ensemble. Leurs difficultés à lire des expressions non-autistes et à suivre les règles tacites de l'interaction sociale, notamment, rendaient difficiles ces moments passés en compagnie d’amis et proches non-autistes :

  • Je ne passerais pas du temps avec ces gens si je n’appréciais pas ça, ils ne seraient pas mes amis... quel que soit le neurotype... mais les personnes neurotypiques... sont beaucoup plus difficiles à lire, et je ne me sens pas détendue. (participante n°9)
  • Je suis fatiguée après. C’est pas que ce soit une mauvaise chose, c’est seulement fatiguant. Y a des efforts que je dois faire pour être avec eux. Je pense sans arrêt « est-ce que je dois parler maintenant, qu’est-ce que je devrais dire, est-ce qu’on a changé de sujet ? Est-ce que c’est bien, est-ce que c’est approprié, est-ce que ça va offenser quelqu’un ? Et qui est en train de dire ça, et de quoi ils parlent, et est-ce qu’ils veulent vraiment dire ça ? » (participante n°2)

Ces expériences étaient associées à des sentiments croissants d’anxiété avant ou pendant les moments passés avec leurs amis et proches neurotypiques : « Je deviens anxieuse car je dois bien me comporter, me comporter comme une neurotypique, faire les choses comme il faut » (participante n°2). Un sujet récurrent concernait les sensations d’épuisement et de fatigue émotionnelle après avoir passé du temps avec les personnes neurotypiques : « J’aime vraiment mes amis neurotypiques, mais ça me fatigue, ils ne me comprennent pas. Même si c’est agréable c’est épuisant. » (participante n°8)

Cet épuisement affecte souvent la capacité de la personne autiste à mener une activité normale dans les moments qui font suite à ces interactions, bien que ce soit à des degrés divers :

  • Après avoir passé du temps avec des personnes neurotypiques, il va me falloir un bon bout de temps pour arriver à faire quelque chose qui me déconnectera un peu l’esprit, parfois c’est un défi d’arriver à me faire à manger ou un autre truc du genre. (participant n°12)
  • Après avoir passé du temps avec des amis neurotypiques, je me sens anéantie, complètement épuisée. J'ai besoin de m'allonger dans une pièce sombre pendant 3-4 heures et quand je le fais, je ne dors pas, je m'éteins, tout simplement. Je ne peux même pas bouger et la seule façon par laquelle j’arrive à communiquer, c'est par des grognements (participante n°3)

Alors que l’écrasante majorité des participants ont évoqué les différentes difficultés rencontrées lors de leurs interactions avec des personnes neurotypiques, deux participants ont également mentionné que la présence de neurotypiques pouvait être bénéfique dans les situations sociales. Ils ont tous deux évoqué l’effet bénéfique des personnes neurotypiques qui peuvent expliquer à la personne autiste, dans le cadre d’un échange en tête à tête, ce qui se produit dans un groupe en train de converser, ou dans un événement social plus important : « Je peux dire un truc du genre "qu’est-ce qui se passe, là ?" puis leur parler de quelque chose, et eux peuvent me dire "voilà ce qui se passe" ». (participante n°2)

Sous-thématique 2 : Facilité entre mêmes neurotypes

Les participants ont fréquemment décrit se sentir à l’aise et détendus quand ils passaient du temps avec des amis et proches autistes. Beaucoup ont affirmé que les types de communication étaient similaires chez les personnes autistes, et que cela rendait les interactions plus détendues, et qu’il était plus facile de suivre les conversations et de comprendre ce que voulaient dire les gens : « Avec des autistes, j’ai une bien meilleure idée de ce que font les gens, ce qu’ils veulent dire, et ce qu’ils comprennent. » (participante n°2)

Les participants ont noté qu'il y avait une certaine souplesse avec leurs amis et leur famille autistes quant à ce qui constitue une « bonne » interaction, et que si jamais un problème surgit au cours d'une interaction, leur famille et leurs amis autistes comprendront : « On n’est pas obligé de parler ». S’il y a des silences, ce n’est pas gênant, car il y a une entente mutuelle sur le fait que le silence est agréable (participante n°1) ; « On se sent à l’aise. Ce n’est pas grave si les interactions vont de travers, ce n’est pas stressant, c’est agréable. »  (participant n°4)

Le besoin d’utiliser un masque ou le camouflage est moindre en présence d’autres personnes autistes, parce qu’il y a une compréhension et une acceptation mutuelles présumées des comportements et des modes d'interaction des autistes : « Tu peux baisser la garde, laisser tomber le masque. Tu n’as pas besoin de te comporter de telle ou telle façon avec eux, car ils le comprennent tout à fait » (participante n°10). Les personnes autistes étaient aussi conscientes des difficultés potentielles auxquelles font face leurs amis et proches autistes dans le cadre des interactions du quotidien, et prenaient les devants en faisant en sorte de rendre les interactions bienveillantes et compréhensives :

  • Avec mes amis autistes… les gens ont été très sensibilisés sur le fait que les gens sont ou se sentent exclus… et beaucoup d’entre eux semblent vraiment faire de gros efforts pour empêcher que cela n’arrive. C’est donc une communauté qui m’est beaucoup plus accessible, parce que ce n’est pas à moi seule de faire tous les efforts, ce que je ressens comme étant le cas avec les neurotypiques. Les autistes sont disposés à faire la moitié du chemin. (participante n°7)

Contrairement à la fatigue ressentie après avoir passé du temps avec des membres de leur famille et des amis non-autistes, de nombreux participants autistes ont souligné qu'ils se sentaient moins fatigués après avoir passé du temps avec leur famille et amis autistes : « C'est fatigant [d'interagir avec des neurotypiques], je ne m'en suis rendue compte que depuis que j'ai des amis autistes. C'est tellement plus facile... ... ça se fait sans effort. » (participante n°10)

Bien que la grande majorité des témoignages décrivent des sentiments de détente et de confort avec d'autres autistes, deux participants ont évoqué des difficultés dans la relation autistes-autistes. Un participant a déclaré que l'honnêteté pouvait être blessante, tout en comprenant qu'elle pouvait être involontaire : « Les autistes... peuvent me blesser en quelque sorte... en étant honnêtes... mais je le comprends aussi. Vous n'êtes pas cruel, vous êtes juste un peu pédant, et je comprends cela » (participante n°2). Un autre participant a déclaré qu'il trouvait difficile d'être avec des personnes autistes inconnues car elles peuvent être imprévisibles, ce qui n'était pas le cas des personnes qu'elle connaissait : « Être avec des personnes autistes que je ne connais pas, qui peuvent avoir des comportements imprévisibles, peut être plus difficile que d'être avec des neurotypiques que je connais déjà. C'est une question de prévisibilité, si je sais à quoi m'attendre, je trouve que c'est plus facile » (participante n°3).

Thème 2 : Statut de minorité

En passant du temps avec des amis et proches non-autistes, les participants ont eu le sentiment de faire partie d’une minorité et ont souvent ressenti une forme de pression à se conformer aux styles et préférences de communication de la majorité non-autiste. La façon dont ils se sentaient par rapport au fait d’être autiste en a été affectée, souvent de manière négative.

Sous-thématique 1 : Les normes sociales de la majorité

Les règles sociales non explicites des personnes non-autistes peuvent faire en sorte que les autistes aient du mal à mener des interactions avec leurs proches et amis non-autistes. Les subtilités des interactions se présentent souvent comme un défi pour les personnes autistes : « Je passe souvent à côté des subtilités, quand les personnes parlent. Je n’arrive pas toujours à saisir ce qu’ils veulent dire en réalité car ils ne l’expriment pas. À moins que quelqu’un ne le me fasse remarquer plus tard, je ne le comprends pas. » (participante n°7)

Souvent, les amis et proches non-autistes ne s’adaptaient pas aux besoins et préférences sociales des personnes autistes, et par conséquent, les autistes se sentaient obligés d’atténuer ou de masquer leurs comportements et préférences naturelles dans des situations sociales avec des neurotypiques. Ces commentaires ont été interprétés comme autant d’exemples de personnes autistes considérant faire partie d’une minorité sociale et se sentant obligées de se conformer à la façon majoritaire de communiquer dans les interactions sociales, au risque sinon d’en être exclues. « Il arrive à ma famille neurotypique de me dire ‘c’est pas facile d’être avec toi’ si je ne mets pas de masque social » (participante n°2). « Si je suis entouré de personnes neurotypiques, je ne peux pas laisser s’exprimer mes côtés autistes » (participant n°12).

Certains participants ont eu le sentiment qu’ils faisaient de leur côté de gros efforts pour s’accorder à leurs amis et proches non-autistes, tandis que ces derniers n'essayaient pas de faire les mêmes adaptations pour eux :

  • Je travaille très dur afin de passer pour une personne « normale » en compagnie de personnes non-autistes. Je les comprends et je vois comment ils interagissent. Mais comme ils n’ont jamais eu à étudier les autistes comme moi je l’ai fait pour eux, ils ne me comprennent pas, ou ne prennent pas en compte mes besoins. (participante n°3)
  • Les personnes neurotypiques ne comprennent pas pourquoi certaines choses peuvent être difficiles ou poser problème pour une personne autiste. Vous essayez de leur expliquer, mais invariablement ils considèrent ça d'un point de vue neurotypique. (participante n°9)

Sous-thématique 2 : Activités sociales de la majorité et contexte

Souvent, les amis et proches neurotypiques ne prennent pas les préférences des autistes en compte lorsqu’ils organisent des événements sociaux, ce qui peut dans ces occasions aggraver leur anxiété et leur stress. Les commentaires des participants autistes indiquaient que les activités leur étaient inaccessibles, ou que cela leur posait des défis conséquents à cause de l’environnement physique ou sensoriel : « les endroits où l’on va constituent un énorme défi. Ils veulent souvent aller dans des endroits qui sont très animés ou bruyants. » (participante n°8)

Ce qui est le plus compliqué c’est quand vos amis vous disent « tu devrais rencontrer ces gens, ils sont supers, allons dans un pub, tous ensemble » et que ça m’est vraiment difficile, mais comme je veux aussi me montrer impliquée et… c’est là que je me sens le plus contrariée parce que… d’un autre côté je ne veux pas y aller, je voudrais que tout le monde aille dans un endroit qui ne soit pas bruyant. Mais je ne veux pas non plus être la personne qui fait en sorte qu’on aille tous à la bibliothèque… et qu’on discute à voix basse. (participante n°2)

Sous-thématique 3 : Conséquences de l’appartenance à une minorité

Etant donné qu’on attend des autistes à ce qu’ils se comportent de façon neurotypique avec leurs amis et proches neurotypiques, les autistes ont souvent noté que les gens développaient des attentes neurotypiques à leur encontre. Cela a parfois conduit à des sentiments accrus de frustration chez les personnes autistes, à la fois dirigés contre les personnes neurotypiques avec lesquelles elles passaient du temps et contre elles-mêmes pour ne pas être capable de gérer des « choses normales » :

  • Je me sens mal à l’aise et honteuse [quand j’interagis avec des personnes neurotypiques] … Je vois encore trop les choses avec un capacitisme intériorisé, concernant les tâches que je trouve difficiles mais que je « devrais » être capable d’effectuer. (participante n°9)
  • Parfois mon amie [neurotypique], son conjoint [neurotypique] et le mien [neurotypique] allons dîner ensemble. Je suis la seule personne autiste et je trouve cela très difficile de suivre la conversation, je perds mes mots… les autres pensent que je suis saoule parfois (même si je n’ai pas bu), et je leur laisse penser ça parce que j’ai honte de confondre ainsi les mots. (participante n°3)

Thème 3 : Appartenance

Les participants ont déclaré éprouver un sentiment d'appartenance lorsqu’ils étaient avec leurs amis et des membres de leur famille autistes. Avec d'autres personnes autistes, les participants ont dit se sentir compris et en mesure d’assumer de manière authentique leur identité autiste. Le fait d'entretenir des relations avec d'autres autistes a permis aux personnes autistes d'avoir l'impression de faire partie d'une communauté, ce qui, pour certains, était une expérience nouvelle :

  • Nous pouvons parler, rire, confronter nos idées et philosopher, ou bien nous asseoir tous ensemble, dessiner, sans parler. Nous permettons à chacun d’entre nous d’être soi-même et d’accepter tous les aspects de notre identité. (participante n°3)

Sous-thématique 1 : Compréhension

Les participants ont affirmé qu’en compagnie de leurs amis et proches autistes, ils se sentaient compris et comprenaient les autres personnes. Certains participants autistes ont indiqué que c'était ainsi qu'ils imaginaient que les personnes non autistes se sentaient en permanence :

  • Aussi charmants que puissent être mes amis neurotypiques, je sens que c’est là que je dois être [avec les autistes], là où je suis comme tout le monde. Je n'ai jamais eu ce sentiment avant... J'ai l'impression de comprendre les gens et d’être comprise par eux. (participante n°2)
  • Parfois les personnes autistes comme moi, on fait de gros efforts pour être normal… et si j’étais dans un environnement autiste je sens qu’il n’y aurait pas vraiment de pression. (participant n°4)
  • Depuis que j’ai des amis autistes je me dis « voilà comment doivent tout le temps se sentir les neurotypiques » et c’est assez triste à vrai dire. De réaliser que les gens ont éprouvé ça toute leur vie, d’être à l’aise au milieu des autres, et de se sentir à leur place comme moi maintenant. C’est vraiment dommage que ça ne me soit pas arrivé plus tôt. (participante n°2)

Les participants autistes ont également dit qu’ils se montraient compréhensifs et empathiques avec leurs amis et proches autistes, bien plus que si ces derniers avaient été neurotypiques :

  • Je suis bien plus patiente [avec les personnes autistes]… si quelqu’un parle d’un truc en boucle, je vais être du genre « c’est vraiment barbant, mais c’est pas grave », parce que je fais pareil. Alors que j’ai pas la même patience face à des neurotypiques qui parlent juste de choses et d’autres. (participante n°2)
  • Je sais qu'ils [les personnes autistes] peuvent me parler pendant 20 minutes d'un oiseau qu'ils ont vu, mais je sais ce qu’ils ressentent, parce je suis heureuse quand je vois des choses que j'aime, et que je vais alors continuer à en parler. Donc, même si ce que tu me dis ne m'intéresse pas, je comprends ce que tu ressens. (participante n°7)

Sous-thématique 2 : Être authentiquement soi-même avec ses caractéristiques autistiques

En étant en compagnie d’autres personnes autistes, les participants estimaient qu’ils n’avaient pas besoin de dissimuler ouvertement les traits autistiques de leur comportement ou de leur style de communication, comme ils auraient eu à le faire en présence de proches et amis non-autistes. « Je peux être entièrement détendue et complètement moi-même. Tout est permis » (participante n°5). Des comportements tels que l’auto-stimulation, le fait de se balancer et d’échanger par des modes de communication autistes faisaient l’objet d’un accord implicite de la part de leurs proches et amis autistes. Les participants avaient l’impression qu’ils pouvaient être authentiquement eux-mêmes, avec leurs caractéristiques autistiques :

  • C’est génial quand on est ensemble, l’environnement autiste est tellement valorisant comparé au monde extérieur, c’est super de voir des gens en train de s’auto-stimuler sans se sentir gêné. (participante n°9)
  • Je me sens aussi libre qu’un oiseau. Pas besoin de faire d’efforts. Je n’ai pas besoin de mettre un masque et je ne me sens pas stupide si je ne comprends pas quelque chose. Je me sens capable de poser une question, tout simplement. Chacun de nous confond sans cesse ses mots, les oublie et perd le fil de la conversation, mais on s’en amuse. On le fait tous et on se comprend. (participante n°3)

Les termes ci-dessus font écho aux réponses de nombreux participants qui ont utilisé des termes comme « véritable » et « accepté » en décrivant leurs expériences.

Sous-thématique 3 : Joie, bien-être et résilience

Passer du temps avec des proches et des amis autistes a été une source de joie importante pour ces participants : « les personnes autistes me font battre des mains de joie » (participante n°9) ; « si je sais que je vais aller voir un de mes amis autistes, je suis tout excitée et vraiment très heureuse car je sais que je vais passer un super moment » (participante n°10).

Ils ont également souligné que le fait de passer du temps avec leurs amis et proches autistes constituait un facteur important pour la préservation de leur santé mentale et de leur bien-être, et renforçait le principe de résilience afin de gérer la vie quotidienne dans un monde majoritairement non-autiste :

  • C’est très important d’avoir un environnement autiste pour les personnes… parfois les gens craignent que ce soit une forme de repli sur soi ou de ségrégation et je n’essaie pas de dire qu’on n’a pas besoin de survivre aussi dans le monde des non-autistes, mais… c’est une telle bouée de sauvetage pour bon nombre d’entre nous… (participante n°9)
  • Le fait de passer du temps avec des personnes autistes apporte un soutien émotionnel très important, car parfois, quelque chose que les autres considèrent comme relativement anodin peut en réalité nous briser le cœur… ils le comprennent, simplement, et peuvent donc aider en ce sens. (participant n°12)
  • Les personnes autistes sont plus à même de donner des conseils sur votre santé mentale car elles se font une meilleure idée de votre problème. Les personnes neurotypiques ne le comprennent pas de la même manière. (participante n°2)

Perspectives

Cette étude s’est fixé pour but d’examiner les expériences d’adultes autistes qui passent du temps avec des membres de leur famille et des amis, autistes ou non autistes, en recourant à une trame d’analyse thématique. Les relations sociales occupent une part importante, même si elle sont souvent compliquées, de la vie des personnes autistes. Des études antérieures ont eu tendance à se concentrer sur les relations des personnes autistes avec des amis ou membres de la famille (présumés) non autistes. Ici, nous avons particulièrement comparé les relations entre et à l’intérieur des neurotypes. L’analyse a révélé trois thèmes : la compréhension entre phénotypes, le statut de minorité et l’appartenance. Ces thèmes nous aident à comprendre pourquoi les relations entre personnes autistes et non-autistes peuvent parfois s’avérer aussi difficiles, et en quoi les relations entre personnes autistes sont différentes.

Ces résultats concordent avec les recherches précédentes sur les difficultés auxquelles les personnes autistes sont confrontées quand elles ont des interactions avec d’autres personnes non-autistes, mais soulignent que les interactions avec d’autres autistes sont fondamentalement différentes. Tous les participants ont indiqué que passer du temps avec des membres de la famille ou des amis non-autistes impliquait des difficultés particulières, qu’ils ne connaissaient pas lorsqu’ils se trouvaient en compagnie d’autres membres de la famille ou amis autistes. Cela corrobore la théorie de la double empathie sur l’autisme, qui pose que les personnes autistes et non-autistes ont des difficultés mutuelles à se comprendre et à éprouver de l’empathie l’une pour l’autre, en raison de différences dans la manière dont chacune comprend le monde et en fait l’expérience, plutôt qu’à cause d’un déficit de communication lié à la personne autiste (Milton, 2012). Il a été démontré que les personnes neuro-typiques surestiment le caractère égocentrique qu’elles attribuent aux membres autistes de leur famille (Heasman & Gillespie, 2018), et surestiment l’aide qu’elles apportent aux personnes autistes (Heasman & Gillespie, 2019). Nos conclusions indiquent que cela se traduit dans les difficultés bien réelles rencontrées dans les interactions avec des amis et membres de la famille neurotypiques, qui peuvent affecter la santé mentale, le bien-être et l’estime de soi des personnes autistes.

Le fait que cela leur donnait une conscience encore plus aigüe de leur propre statut minoritaire au sein d’une société majoritairement neurotypique est un exemple de la façon dont les interactions avec des pairs non-autistes pouvait avoir des répercussions négatives. Devoir s’adapter à des modes d’interactions et de socialisation neurotypiques engendrait des sentiments d’inadaptation et de honte. Des résultats similaires ont été présentés par Humphrey et Lewis (2008), qui sont arrivés à la conclusion que les adolescents autistes entourés par des élèves neurotypiques dans des classes traditionnelles ont une image de soi négative par rapport à l’autisme. Lorsqu’ils avaient passé du temps avec une majorité de pairs neurotypiques, les élèves autistes caractérisaient souvent leurs différences en termes négatifs, croyant qu’ils avaient un “mauvais cerveau”, et désiraient “s’intégrer” avec leurs pairs (Humphrey et Lewis, 2008).

Vivre en dehors d’une majorité peut créer un stress supplémentaire. Le stress de la minorité est un phénomène qui a été étudié au sein d’autres groupes minoritaires stigmatisés, parmi lesquels les minorités de sexe, de genre et d’ethnie (Cokley et al., 2013 ; Meyer, 2003). Cela est lié à un soutien social insuffisant, donnant lieu à une santé mentale et physique diminuée (Clark et al., 1999 ; Dohrenwend, 2000 ; Pascoe & Smart Richman, 2009). Alors qu’une grande partie des recherches sur l’autisme et la santé mentale ont porté sur des liens directs via des diagnostics simultanés ou des profils symptomatiques élevés, une recherche récente a étudié l’effet que peut avoir, sur la santé mentale des personnes autistes, l’appartenance à une minorité basée sur l’identité (Botha & Frost, 2018). Botha et Frost (2018) ont constaté que, pour les personnes autistes, les éléments de stress liés au fait d’être une minorité comprennent la discrimination quotidienne, la stigmatisation intériorisée et l’obligation de se camoufler, et que ces facteurs prédisaient de manière significative une santé mentale diminuée. Ces facteurs sont répercutés dans les mots des participants à la présente étude. Etant donné que la prévalence de maladies à la fois physiques et mentales est significativement plus élevée dans les populations autistes (Dunn et al., 2019 ; Hirvikoski et al., 2016 ; Rydzewska et al., 2018), de futures études devraient se pencher sur l’expérience du stress inhérent au statut de minorité pour les personnes autistes, en se demandant si des connaissances élargies et une meilleure compréhension de l’autisme apportées au public peuvent atténuer cet état de fait, et quel type de facteurs de réduction du stress peuvent être disponibles pour la population autiste (Botha & Frost, 2018).

De nombreuses personnes autistes éprouvent un sentiment de réconfort et d’appartenance quand elles passent du temps avec leurs amis, ou les membres de leur famille, autistes. Il était important de faire partie d’une communauté autiste : cela leur permettait de se montrer tels qu’ils étaient vraiment et d’être compris. Des recherches précédentes ont mis l’accent sur le fait que, pour les personnes autistes, l’inclusion peut être caractérisée par un sentiment d’appartenance, l’impression d’être estimés et de recevoir le soutien nécessaire pour s’épanouir (Goodall, 2018). Pour les autistes, l’obtention du diagnostic peut ouvrir un nouveau monde social – favoriser plus de compassion pour soi-même et les aider à se sentir plus actifs et autonomes (Leedham et al., 2020). Nos résultats laissent voir que le fait de passer du temps avec des membres de la famille ou amis autistes donne aux personnes autistes l’occasion d’apporter cette compassion, compréhension et action, aux autistes autour d’elles.

Passer du temps avec d’autres personnes autistes était souligné comme important pour construire sa résilience, afin d’affronter la vie quotidienne, de renforcer son bien-être, et comme source de bonheur. Les participants se sentaient confirmés en passant du temps avec d’autres personnes autistes, comme le soulignent leurs commentaires, par rapport au fait de ne pas se sentir dans l’erreur, brisé ou mauvais, quand ils sont en présence d’autistes. Une étude systématique récente a constaté une aide limitée en ce qui concerne l’efficacité d’interventions de soutien social pour la santé mentale ou le bien-être des adultes autistes sans handicap d’apprentissage (Lorenc et al., 2018), et des demandes ont été exprimées pour étudier l’efficacité d’interventions de soutien comme le soutien des pairs et le parrainage (Iemmi et al., 2017 ; Lorenc et al., 2018). Nos résultats, dans le contexte de ces précédentes études, indiquent que de futures recherches devraient développer et évaluer des modèles de soutien par les pairs, pour apporter des améliorations à la santé mentale et à la qualité de vie des personnes autistes.

Forces et limites

Cette recherche est le premier examen portant sur les relations des personnes autistes avec des personnes autistes et non-autistes. Alors que des récits à la première personne réfléchissant sur ce phénomène existent, cette étude vise à étudier la question d’une manière plus systématique que les récits personnels qui existaient jusque-là. La possibilité d’échanger en ligne par messages, de répondre au questionnaire par téléphone ou en face à face a élargi la diversité de l’échantillon de participants. Toutefois, il y avait des limites à cette étude. Tout d’abord, l’étude comprenait 12 participants adultes, verbaux

, lesquels avaient tous un QI proche de 100, ou bien au-dessus, et la plupart d’entre eux avaient été diagnostiqués à l’âge adulte. Par conséquent, les résultats de l’étude ne sont peut-être pas transférables à la population autiste élargie, y compris les enfants et les jeunes gens, les autistes non verbaux, les autistes diagnostiqués dans l’enfance et les autistes avec un handicap d’apprentissage coexistant. En second lieu, le plus grand nombre de notre échantillon étaient des femmes, et ainsi les résultats ne sont peut-être pas transférables aux hommes autistes et aux personnes non-binaires. En particulier, les études ont fait ressortir des taux plus élevés de camouflage chez les femmes autistes (Lai et al., 2017), et les attentes sociales varient selon le genre en Angleterre. De la sorte, le comportement social, et les pressions sociales sur les hommes autistes, pourraient donner des expériences différentes par rapport aux sujets étudiés ici. Troisièmement, tous les participants étaient aussi implantés en Angleterre : leur expériences des interactions sociales sont basées sur les normes sociales anglaises, et les résultats pourraient ne pas se transférer aux personnes autistes vivant ailleurs qu’en Angleterre. En fait, il serait nécessaire de mener des études trans-culturelles sur la façon dont les autistes ressentent les choses, dans leur appréhension du monde social.

Conclusion

Si l’on peut définir précisément ce qui rend les interactions avec des personnes non autistes difficiles pour les personnes autistes, cela signifie que les personnes non-autistes peuvent devenir des partenaires d’interactions sociales plus efficaces, quand ils passent du temps avec des amis ou des membres de leur famille autistes. Ces résultats indiquent que passer du temps avec d’autres personnes autistes et dans des espaces confortables pour des autistes peut être bénéfique pour la santé mentale des autistes. Dans le contexte de demandes d’interventions pour une meilleure santé mentale (Cusack & Sterry, 2016), il est important de développer des modèles fondés sur les preuves, faisables et acceptables, de soutien par les pairs autistes, et d’évaluer ces modèles, pour en connaître les bienfaits potentiels pour la santé mentale. Ces résultats peuvent aussi être utiles pour les autistes dans des environnements dans lesquels ils représentent une minorité sociale, comme dans l’éducation et l’emploi, en renforçant la compréhension de la communication autistique. Nous espérons qu’une meilleure compréhension des contextes dans lesquels les personnes autistes peuvent avoir des interactions confortables, naturelles et faciles, contribueront à une base de données dont pourront s’inspirer les prestataires de services, pour mettre au point de meilleurs soins de santé et éducation pour les personnes autistes.

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