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Je suis toujours épouvanté quand je vois les lettres des CAF notifiant un indu de prestations.
Elles indiquent la période couverte et le montant de l'indu. Aucun détail sur les prestations concernées, les motifs etc.
Un indu doit être légalement motivé en droit et en fait. Que nenni !
Quand je travaillais dans un service de prestations familiales de la MSA (régime agricole), ces lettres d'indu faisaient partie du travail le plus subtil à faire. Il y avait quelques lettres semi-automatisées à compléter, mais pour une partie, il fallait rédiger un courrier explicatif.
Ce n'était pas la partie du travail qu'appréciaient le plus mes collègues. Aussi, pour éviter un indu, il était courant de réclamer plus de justificatifs que nécessaire. Ce qui retardait le versement du juste droit. Je ramais pour expliquer qu'il fallait payer au plus vite sur la base des documents conformes à la réglementation. Il serait toujours possible de demander des pièces justificatives a posteriori. Certains agents avaient le flair pour détecter des situations pas nettes, mais cela ne justifiait pas un retard dans le versement de la prestation sollicitée.
Évidemment, le risque était d'avoir ensuite une lettre d'indu à rédiger !
La lettre d'indu, rédigée par un humain - car un employé de sécurité sociale reste un humain (même si c'est une femme) -, ne pouvait jamais être parfaite. Si la règle de droit était rappelée, la source du droit ne figurait pas dans le courrier. Cela l'aurait rendu "moins lisible". Mais aussi difficile à rédiger, parce qu'un agent fonctionne avec des règles connues, les circulaires, les documents de formation, mais sans avoir les références légales sous la main.
30% des droits aux prestations familiales sont modifiés chaque mois. Cela va dans tous les sens, augmentation ou diminution des droits, rappels comme indus.
Les organismes sont complètement débordés. De toute façon, les effectifs n'arrêtent pas de se réduire, malgré l'augmentation des tâches à accomplir. Pas besoin de faire un dessin pour que vous compreniez que, dans ce contexte, l'information des allocataires sur leurs droits, et particulièrement sur la motivation des indus, ne fait pas partie des priorités de cette branche de la sécurité sociale.
Informer complètement les allocataires des motifs d'indu ne peut générer que des contestations argumentées. Sinon, il ne reste que la demande d'un échéancier ou une demande de remise de dette. L'indu peut avoir déjà été récupéré sur les prestations, sans attendre le délai de deux mois qui permet de le contester (délai qui doit être calculé à partir du moment où l'indu a été notifié en droit et en fait). Les possibilités de récupération des indus ont sans cesse été "améliorées" - sic (récupération sur toutes prestations, montant plus élevé).
Ce constat qui m'afflige depuis des dizaines d'années m'amène à me poser la question : est-ce que l'intelligence artificielle permettrait de notifier les indus en droit et en fait ?
Je ne pratique pas ce machin, mais je suis plutôt soufflé par les résultats présentés par les personnes qui s'en servent. Je n'ai donc aucun doute sur le fait qu'il va être possible de notifier des indus respectant les principes légaux, permettant aux allocataires de comprendre et d'exercer leur droit au recours.
Mais le problème est : qui le veut ?
Nous avons l'exemple des algorithmes des CAF et CPAM analysés par La Quadrature du Net. Ces algorithmes sont conçus en théorie pour cibler des fraudes, en réalité pour cibler les risques d'indus, qui sont en général liés à des erreurs de déclarations dans des situations précaires ou complexes.
La Quadrature du Net indique ainsi récemment :
- "En 2022, le directeur de l’Assurance Maladie annonçait que la fraude à l’ensemble de la C2S* était estimée à 1% de son coût, soit 25 millions sur plus de 2,5 milliards d’euros. En revanche, le taux de non-recours à cette prestation sociale était lui estimé à plus de 30%, soit un « gain » d’environ… un milliard d’euros pour la CNAM"
Le taux de non-recours au RSA est supérieur à 30%.
Il en est de même pour la prime d'activité, l'aide au logement etc.
Mais ils ne sont jamais utilisés pour informer les personnes qu'elles ont des droits à des prestations. C'est parfois invoqué, mais jamais réalisé compte tenu du risque ... que çà coûte.
Les algorithmes ne sont donc pas neutres, en fait.
* C2S :Complémentaire Santé Solidaire. Autrefois appelé CMU . Pour ceux qui dépassent un peu le plafond de ressources, il y a une aide pour financer l'adhésion à une complémentaire.