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Billet de blog 13 décembre 2020

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Justice 22 : Les personnes autistes sont-elles criminelles de naissance?

Michelle Dawson, chercheuse autiste, analyse une étude sur l'histoire pénale des patients d'Hans Asperger. Elle est dans l'ensemble proche de celle de la population générale, avec cependant très peu de comportements violents. Elle est plus faible pour ceux qui ont des caractéristiques autistes plus affirmées.

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Sur le blog de Michelle Dawson : Are autistic people natural born criminals?  10 Octobre 2010

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Les associations entre l'autisme et des crimes violents notoires sont faciles à trouver - elles semblent presque automatiques. Voici un exemple, et un autre, et un de plus [retrouvez les liens dans l'article original]. Il semble y avoir un livre entier sur ce thème, bien que je ne l'ai pas lu.

Dans la littérature scientifique, vous pouvez trouver des puissants modèles de déficit de l'autisme à l'œuvre dans des prévisions que les autistes seraient de manière disproportionnée violents et enclins à un comportement criminel. Depuis des décennies, des exemples et des affirmations (quelques-uns ici, ici, ici, ici) combattant cette prédiction ont été mis en évidence, tandis que les quelques points de vue dissidents (par exemple ici et ici) ont eu peu d'effet.

Ensuite, il y a l'opportunisme politique. A moins d’accueillir les interventions habituelles des groupes de pression, les autistes afficheront de manière disproportionnée un comportement criminel et finiront en prison - ou du moins c'est ce qu'on prétend. Quelques exemples de la politique habituelle en matière d'autisme ici, ici, ici.

Kathrin Hippler et ses collègues méritent d'être félicités pour avoir remarqué à quel point ils étaient bien placés pour enquêter sur ce genre de croyances populaires. Leur récent article tire profit de leur accès à l'information sur le groupe important de personnes - 177 d'elles - qui sont d'anciens patients de la clinique d’Hans Asperger à Vienne.

La plupart (93 %) de ces anciens patients sont des hommes. Tous ont été présumés avoir obtenu un score au moins dans la plage normale d'intelligence pendant leur enfance, mais pour la plupart, aucun score de QI n'a été enregistré. Ils sont nés entre 1938 et 1979, et ont été diagnostiqués en moyenne à l'âge de huit ans (fourchette de 3 à 21 ans). En 2010, leur âge moyen serait d'environ 50 ans. Il est peu probable que la plupart des membres de cette cohorte aient subi les interventions habituelles pour l'autisme défendues par les groupes de pression pendant leur enfance.

Hippler et al. ont obtenu des informations du registre pénal autrichien sur toutes les condamnations pénales enregistrées, à partir de 2002, dans cette cohorte. Ils ont trouvé 33 condamnations pour un total de 8 personnes, qui ont donné lieu à 23 "peines privatives de liberté" allant de 2 à 30 mois et à 11 amendes.

Ils ont également vérifié si, par rapport à la population générale, leur cohorte présentait un taux plus élevé de nouvelles condamnations enregistrées pour les années 1998-2002. Voici ce qu'ils ont trouvé :

  • la proportion moyenne de condamnations dans notre échantillon (1,30%) est très comparable à celle dans la population masculine en général (1,25%)

En ce qui concerne les types de crimes:

  • « De loin, les condamnations les plus fréquentes chez les anciens patients d'Asperger l’ont été pour des infractions contre les biens [...] Les atteintes à la vie et à l'intégrité physique étaient rares. »

Et bien que les données pour la population générale étaient limitées:

  • « L’évaluation qualitative des types d'infractions chez les anciens patients d'Asperger suggère qu'elles ne diffèrent pas radicalement de celles dans le grand public »

Comme ce point doit être souligné, voici un extrait de la conclusion de Hippler et al :

  • « les résultats de notre étude ne suggèrent pas une surreprésentation de certains types d'infractions. Dans les dossiers couvrant 22 ans et 33 condamnations, il n'y a eu que trois cas de dommages corporels, un cas de vol et un cas de comportement violent et menaçant. »

Encore une fois à leur grand mérite, Hippler et autres ont également fourni des données réparties selon le système de diagnostic d'Asperger . Les 177 anciens patients ont été divisés en un groupe AP («psychopathologie autistique», N = 73) et un groupe AF ("traits de psychopathologie autistique", N = 104).

Il s'agit d'une hypothèse, mais le groupe AP répondrait aux critères actuels, soit pour le syndrome d'Asperger, soit pour le diagnostic spécifique de l'autisme. Hippler et al. estiment qu'un tiers serait spécifique à l'autisme, mais il n'est pas difficile de trouver des chercheurs qui estimeraient une proportion plus élevée (ici, par exemple).

Alors qu'une minorité du groupe AF pourrait répondre aux critères du syndrome d'Asperger, selon Hippler et al. d'autres pourraient être des TED-NS, ou dans le phénotype élargi (non autiste) de l'autisme. Les AF sont décrits comme "d'anciens patients à l'extrémité inférieure du spectre" et ont été inclus par Hippler et al. parce que :

  • Asperger pensait que la "psychopathie autistique" était une condition héréditaire se fondant dans la "normalité", ce qui se reflète dans les descriptions de cas de ces enfants dans le sens où les caractéristiques essentielles étaient les mêmes mais où les symptômes étaient moins graves ou pouvaient être mieux compensés.

Selon des hypothèses quasi universelles, il serait bien mieux d'être AF (moins "grave" ou "extrême") que AP. La transformation des types AP en types AF est un objectif majeur des interventions habituelles en faveur de l'autisme. Mais Hippler et al. ont constaté que la plupart des condamnations pénales enregistrées dans leur cohorte n'appartenaient pas au groupe AP "plus autiste" mais au groupe AF "moins autiste ou pas autiste du tout".

En effet, sur les 33 condamnations enregistrées à partir de 2002, seules trois condamnations de deux personnes ont été trouvées dans le groupe AP. Les 30 autres appartiennent à six personnes du groupe AF, dont deux ont fait l'objet de 22 condamnations.

En comparaison avec les taux de nouvelles condamnations enregistrées dans la population générale, le taux AP était de 0,6 % tandis que le taux AF était de 1,7 %. Ces chiffres sont respectivement inférieurs et supérieurs à ceux de la population générale masculine, tandis que le taux AP est comparable à celui de la population générale, femmes comprises (0,7 %).

Hippler et al. fournissent un aperçu compétent de la littérature pertinente (y compris cette récente constatation), ainsi qu'une juste discussion des limites de leur étude. Sous la rubrique " Implications plus larges ", ils écrivent :

  • Le public a le sentiment que les personnes avec des troubles mentaux en général, et le syndrome d'Asperger en particulier, représentent une menace pour le grand public. Nous soutenons que, sur la base des données de suivi de la cohorte initiale d'Asperger, ainsi que d'autres études, cette perception est erronée.

Des implications encore plus larges incluent la question négligée de savoir comment le fait d'être considéré comme naturellement violent et dangereux pour les autres, en tant que criminel né, a affecté les résultats des autistes.

Référence:
Hippler, K., Viding, E., Klicpera, C., & Happé, F. (2009). Brief Report: No Increase in Criminal Convictions in Hans Asperger’s Original Cohort [Pas d'augmentation des condamnations pénales dans la cohorte originale de Hans Asperger ] Journal of Autism and Developmental Disorders, 40 (6), 774-780 DOI: 10.1007/s10803-009-0917-y


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Autism crisis

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