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Billet de blog 25 janvier 2021

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Laurent Mottron - webinaire « Autisme, la construction d’une épidémie »

Transcription de l'introduction du webinaire organisé par l'ANAE avec Laurent Mottron. But : "donner des justifications pour lesquelles il faudrait peut-être revenir à une conception plus étroite de l’autisme."

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Commentaire : on m'a fait remarquer qu'il y avait un sous-diagnostic général en France, évidemment pour les adultes, mais aussi pour les enfants. Nous sommes bien loin de la prévalence des CDC (USA) : 5 à 10 fois plus bas. Cela n'invalide pas, pour autant - à mon avis - l'argumentation de Laurent Mottron. Il y a une réelle hétérogénéité dans les diagnostics, et l'étendue du spectre est la-même chez nous qu'au Québec et aux USA. Les motifs conduisant aux diagnostics ne sont pas les mêmes : il n'y a pas la même pression sur le besoin du diagnostic pour accéder à un accompagnement, mais il y aussi les freins liés à la prégnance de la pédopsychiatrie néo-kleinienne dans les services, ce qui conduit à la dysharmonie, à la psychose, au refus du diagnostic pour préserver le sujet etc. Toutes choses qui n'ont rien à voir avec la position de Laurent Mottron.


Le webinaire ""LE SPECTRE AUTISTIQUE" : LA CONSTRUCTION D'UNE EPIDEMIE ?" avec Laurent Mottron
https://octopus-formations.fr/VENDREDI-22-JANVIER-2021.html

Illustration 1

Alors, bonjour tout le monde. Deux petites rectifications initiales, donc en fait je suis à l’université de Montréal, pas l’université du Québec, elles sont distinctes ici, et puis le titre c’était « Autisme, la construction d’une épidémie », plus précisément.
Alors, ce dont je vais vous parler, c’est de considérations générales sur le fait que l’autisme augmente en nombre et augmente en hétérogénéité. Bon, c’est un fait qui est tellement admis que on peut dire que maintenant, beaucoup de textes sur l’autisme commencent par « L’autisme est un problème de plus en plus fréquent, mais en même temps de plus en plus hétérogène. » Et le but de mon intervention, c’est de donner des justifications pour lesquelles il faudrait peut-être revenir à une conception plus étroite de l’autisme. C’est un sujet extrêmement polémique, et la plupart du temps, la première incompréhension, quand on essaie d’avoir ce type de démarche, c’est que pour les gens qui pensent se situer dans la partie justement qu’on a rétréci, c’est : « Mais qu’est-ce qu’on va devenir ? »
Alors il y a un caveat vraiment initial que je voudrais faire avant de commencer ma présentation, c’est que tous les gens qui s’auto-diagnostiquent autistes, ou qui se reconnaissent dans cette condition, ou qui trouvent un professionnel pour dire qu’ils appartiennent au spectre autistique, je dirais, par définition ce sont des gens qui ont des besoins, et que, la démarche que je fais, c’est une démarche avant tout scientifique, et qui n’a absolument pas comme but de diminuer les services qui sont donnés à ces personnes qui sont, mettons, sur la frange du spectre autistique. L’idée, c’est de donner à ces personnes-là des services qui correspondent effectivement à leurs besoins, leurs besoins n’étant pas forcément des besoins autistiques. Et puis aussi, au niveau scientifique, c’est un problème un petit peu différent, c’est celui de savoir, quand on est à différents endroits du spectre autistique, est-ce que ce que l’on dit, ce que l’on apprend pour une partie du spectre vaut pour l’autre, autrement dit, est-ce que les différents composants de ce spectre hétérogène sont informatifs l’un pour l’autre, est-ce que la science que l’on fait sur des autistes qui parlent, elle est vraiment à ce point-là informative et aidante pour comprendre ceux qui ne parlent pas ? Vous voyez que, en fait, dans tout ce que je vais vous dire maintenant, il y a une distinction assez marquée qui est faite entre les besoins cliniques et les besoins de recherche, et j’essaierai autant que faire se peut, puis si vraiment c’est pas clair à la fin, s’il vous plaît demandez-le-moi, parce que je tiens vraiment à avoir un discours pour la clinique, un discours pour la recherche, parce que je pense qu’ils ne se superposent pas.
Alors commençons par quelques chiffres sur « pourquoi est-ce qu’on peut parler d’épidémie ? » Même si on n’est pas complotiste et qu’on ne pense pas à des folies de vaccins ou des bêtises comme ça, pourquoi est-ce qu’on parle d’épidémie, ben parce que les chiffres d’autistes dans les services, dans les services publics, les services qui les comptent pour savoir combien d’argent on y consacre au niveau de l’État, les épidémiologistes des différents pays avancés, avancent maintenant des chiffres qui sont à peu près 30 fois plus importants que le nombre d’autistes déclarés il y a une trentaine d’années. Et ça, c’est des chiffres qu’on ne trouve normalement que dans les pathologies infectieuses – on est en plein dedans en ce moment. Donc une augmentation de cette nature-là, c’est un problème en soi. C’est un problème si elle est vraie, et c’est un problème si elle est fausse. Alors, il faut bien comprendre que, dans un pays comme les États-Unis, qui est un petit peu toujours extrême sur ce côté-là, on avance maintenant des chiffres comme 2.5, 2.6 % d’autisme, donc une personne sur 45, 48. Avec l’argent qui va avec, avec les services qui vont avec, c’est devenu un univers, une industrie, des services sont organisés en fonction de ça. Je pense pas être le seul, en tout cas parmi les scientifiques, on pense qu’il y a une espèce de dérive là-dedans, qui est véritablement déraisonnable. Elle est à double face, parce que peut-être que des gens vont penser que cette augmentation est associée à une augmentation de service pour les gens qui étaient justement, quand on est passé de 1 à 2 %, eh ben mettons ce deuxième pour cent, ce sont peut-être des gens qui n’auraient pas eu de service avant, puis qui ont des services maintenant. Mais cela ne vaut pas dire que si ce deuxième pour cent, quand on passe de 1 à 2 % de la population, qui reçoit des services qui ont été modelés sur le 1 % antérieur d’autistes plus conformes au prototype autistique, eh bien que les services qu’ils vont recevoir leur sont véritablement adéquats. Cette épidémie a quelque chose de particulier, c’est que plus on augmente la prévalence, moins les gens que l’on inclut dans le spectre se ressemblent entre eux, premier point, et deuxièmement, ressemblent aux premiers que l’on a inclus dans la cohorte.
Je vais recommencer ça, parce que c’est vraiment important. Quand on parle de l’hétérogénéité du spectre autistique, elle est double. Elle est le fait que plus on augmente en prévalence, moins ceux de la fin ressemblent à ceux du début, hein, moins les autistes de 2021 vont ressembler aux autistes de, mettons, 1980, mais également, si vous prenez tous les autistes de 2021, tous ceux qui s’appellent comme ça, ou qui reçoivent des services à ce nom-là, eh bien moins ils se ressemblent entre eux. Vous avez donc une double hétérogénéité. Et on arrive ainsi à une sorte de catégorie qui va progressivement manger toutes les autres. C’est ce phénomène, qui est bien connu, qui a surtout été étudié pour la déficience intellectuelle, de recodage, où des gens qui avaient initialement un premier diagnostic, celui par exemple de déficience, eh ben il va y en avoir de moins en moins, et puis la catégorique autistique va comme avaler des gens qui avaient initialement cet autre diagnostic. Alors, ça pose évidemment des problèmes de toutes sortes, des problèmes de nature de services et des problèmes de science.
Et alors, un autre contresens qu’on pourrait faire, c’est de dire que le diagnostic se fait de mieux en mieux. Et ça vous voyez ça marqué partout, puis ça me semble, les gens racontent avec une belle assurance qu’il y a de plus en plus d’autistes parce que on est de plus en plus aptes à les reconnaître, ce qui voudrait dire que cette épidémie irait vers un toujours plus de vérité. Je pense que les gens qui disent ça le disent beaucoup trop vite, et sans vraiment comprendre comment on fabrique un diagnostic d’autisme, et comment on fabrique un instrument pour faire le diagnostic d’autisme. Le fait que l’on diagnostique de plus en plus d’autistes ne veut absolument pas dire qu’on les diagnostique de mieux en mieux. Pourquoi est-ce qu’on ne peut pas faire cette équivalence ? Eh ben tout simplement parce qu’on n’a pas de gold standard qui nous dirait que les différentes personnes que l’on inclut dans un diagnostic d’autisme le sont toutes au même titre.

Quand on dit qu’il y a une épidémie, bon, c’est facile de prendre un exemple en ce moment, en ce moment on en a une, on vit dans une pandémie. À chaque fois qu’on a plus de personnes atteintes qu’on en avait la veille, on a toujours l’examen sérologique qui va nous dire que les nouveaux sont de la même nature que les anciens, parce que, on a dans les deux cas un examen biologique, et dans les deux cas le résultat de cet examen biologique est le même. Les Covid d’aujourd’hui sont à peu de chose près la même chose que les Covid d’hier. Par contre, dans le cas de l’autisme, comme on n’a pas de gold standard, on n’a pas une petite bandelette qu’on trempe dans le pipi pour dire « ben ça c’est un autiste », ça veut dire que on n’a aucune espèce d’assurance que les autistes d’aujourd’hui sont les mêmes que les autistes d’hier. Ils correspondent aux mêmes critères, mais ce qu’on appelle des critères ne vont pas épingler des caractéristiques biologiques ou comportementales telles qu’on puisse être certains que la personne appartient bien à ce à quoi on dit qu’elle appartient, et que deux personnes qui y appartiennent y appartiennent au même titre.

Ce que nous disent actuellement les outils diagnostiques, c’est que ce que j’appelle autiste en France, un Américain va aussi l’appeler autiste, hein, ça ne veut pas, absolument pas dire que ce sont les mêmes. On va prendre une analogie : si j’appelle en France un chat un animal, et que j’appelle aux États-Unis un chien aussi un animal, eh bien les deux pays vont dire que les chats et les chiens c’est des animaux, mais ça restera des chats puis des chiens. Ils seront différents entre eux, parce que la catégorie « animal », elle est plus générale que la catégorie « chat » ou « chien », et ça c’est un des problèmes avec lequel, on pourrait dire, on construit l’épidémie autistique.
Alors on va maintenant voir un petit peu le problème des outils standardisés. Les outils standardisés, vous savez les fameux ADOS, ADI, on est passés d’un diagnostic qui se faisait de façon, disons, un petit peu subjective et informelle, « je pense qu’il est autiste », à des critères que l’on a mis à plat, qui ont été construits à partir de la description d’autistes qu’un gars avait reconnu puis que d’autres gars avaient ensuite reconnus. On a essayé de faire des définitions des signes qu’avaient de commun les différentes personnes qui avaient été reconnues identiquement autistes. Et alors là, il se passe quelque chose de particulier avec ces critères : tout le monde le sait, les DSM ça change avec les années, et ça change des fois de façon absolument drastique. Et un point, je pense, qu’il faut réaliser, c’est la profonde, et je dirais, actuellement l’incontournable incapacité des critères avec lesquels on définit l’autisme d’attraper la manière dont on les reconnaît.

On peut reconnaître un autiste prototypique, quand on en a vu suffisamment, en véritablement très très peu de temps. Ça a été étudié sous le nom de frank autism, et ça prend à peu près 8 minutes pour des gens qui en ont vu quelques centaines. Ce qui est frappant, c’est que quand on regarde les critères par lesquels, quand on les débriefe, les gens, « sur quoi l’avez-vous reconnu ? », qui sont pas du tout hiérarchisés comme les critères du DSM. Deux particulièrement, la démarche puis l’intonation. Ce que Dustin Hoffman avait très très bien compris quand il a fait son imitation à succès de Rain Man. Il n'avait pas pris les critères, il en a regardé, puis il a imité. Ça veut pas dire que tous les gens qui ont une drôle de démarche puis une drôle de voix sont autistes, évidemment. Mais ça veut dire que la sorte de drôle de voix et que la sorte de démarche d’une personne autiste, quand on en a vu beaucoup, elle a une certaine valeur pour nous faire penser à l’autisme. Quand on l’ajoute à N autres caractères comme ça, ça nous permet de reconnaître une personne autiste.

Illustration 2
Laurent Mottron 22 janvier 2021

Et ça, si on systématise un peu cette façon de faire, ça s’appelle la clinique. Être capable de reconnaître un autiste sans finalement toujours exactement savoir sur quoi on le reconnaît. Donc il y a une partie implicite, partie dont il est de bon ton de vouloir se départir en pensant que quand on est scientifique, quand on est sérieux, quand on est rationnel, il faut passer à des critères qui sont objectifs. Et dans l’histoire des sciences de l’autisme, on est dans une drôle de situation. Parce qu’on est dans une situation dans laquelle, quand vous utilisez des échelles standardisées, que vous diagnostiquez, mettons, 100 autistes satisfaisant aux critères de l’ADI et l’ADOS, et puis que vous demandez à des experts, eh ben il y en a à peu près 10, 15, sur ces 100, que les experts vont dire « Ben pas du tout ». Et 10, 15, je suis vraiment généreux, parce que ça peut être beaucoup, beaucoup plus important. Si vous appliquez des outils standardisés, non pas à la population générale, mais disons, à une population pédopsychiatrique ou psychiatrique générale, donc vous passez l’ADI et l’ADOS à des schizophrènes, des déficients, des gens qui ont mauvais caractère, des gens qui sont en prison, des anorexiques, vous allez vous trouver à sélectionner et à donner une définition d’autiste à des gens que les cliniciens ne vont pas reconnaître comme tels.
Donc actuellement, à quoi le clinicien doit-il se fier ? Est-ce qu’il doit se fier à ce qu’il reconnaît, ou est-ce qu’il doit se fier aux critères ? Est-ce que les critères sont plus scientifiques que la reconnaissance ? Il est bien évident qu’une reconnaissance simple, ça prête à tous les abus, mais les outils amènent eux-mêmes un certain type de problèmes. Et le but de ma présentation, c’est juste de faire prendre conscience qu’actuellement, le passage d’une subjectivité totale du diagnostic à une espèce de pseudo-rationalisation par les outils, eh ben, on a remplacé un problème par un autre problème, et ça aboutit, ça contribue, à une augmentation absolument gigantesque de la prévalence sans aucun gold standard que les gens qu’on va inclure sont effectivement de la même nature. Ça va pas non plus démontrer qu’ils ne le sont pas, simplement, ça n’a pas la consistance d’une preuve, d’une démonstration, et surtout, grands dieux, ça n’a absolument rien de scientifique.
Bon, quel impact ça a, cette espèce d’épidémie ? Dans un papier qu’on a sorti il y a deux ans, et dont il est pas inintéressant de savoir que la première auteure est une extraordinaire jeune chercheure autiste, Mme Rødgaard, on a montré que les tailles d’effet – la taille d’effet c’est la magnitude de la différence entre les autistes et les groupes contrôle, sur 30, 40 ans, elle avait diminué jusqu’à 80 %. Donc les autistes d’aujourd’hui sont considérablement plus semblables à la population générale que les autistes d’avant.

Encore une fois, ça ne veut pas forcément dire que c’est faux, ça veut juste dire que c’est pas pareil, et que on n’a pas le critère scientifique pour dire que c’est pareil, et là ça prête à tous les problèmes. Si, mettons, vous dites « En France, on a 2 % d’autistes », donc faut faire des classes pour 2 % d’autistes, et des classes qui soient régies selon les principes que l’on a mis sur pied avec les années pour faire du bien et apprendre des choses à des autistes d’une certaine forme, quand vous allez augmenter, vous allez effectivement donner des services, mais en quoi ces services vont-ils être adéquats ? À la grande époque, il y a 20, 25 ans, où les gens découvraient les autistes d’intelligence normale, on avait déjà ce problème-là. C’est-à-dire que vous aviez, au Québec c’était absolument caricatural, des gens qui continuaient à utiliser des pictogrammes pour des autistes qui parlaient comme vous et moi. Bon, ça c’est une caricature, mais c’est quand même quelque chose d’exemplaire, que quand vous augmentez votre catégorie, ce qui est vrai pour une partie de la catégorie n’est pas forcément vrai pour l’autre.
Alors, à partir de là je vais faire une sorte de parenthèse, c’est la question de « est-ce qu’il existe une bonne et une mauvaise variabilité dans l’autisme ? », j’aime bien poser les problèmes comme ça. Je crois qu’il existe une ‘’bonne’’ hétérogénéité dans l’autisme. La première, c’est celle des transformations développementales. Un autiste prototypique, quand ça a 3 ans ça ne parle pas, quand ça a 4 ans ça fait de l’écholalie différée, et quand ça a 7, 8 ans en fait il y a 80 % qui parlent. Vous avez un certain trajet développemental, et quand ça a 20 ans, eh bien il y a toute une partie d’entre eux qu’on a bien du mal à reconnaître comme autistes si on n’a pas été capable de les voir petits. Par contre, si vous faites des critères qui cherchent à prendre les deux façons d’être, être autiste à 2, 3 ans puis être autiste à 20 ans, si vous êtes obligés de diluer les critères de façon que la personne à 20 ans, telle quelle, soit considérée comme un autiste, eh bien à ce moment-là, vous allez englober énormément d’autres conditions psychiatriques qui à 20 ans sont peu distinguables. Ça signifie que, si on veut augmenter la spécificité des critères, il faut avoir des notions de trajet développemental d’une certaine nature, parce que si on n’a pas cette notion-là, eh bien on va finir par inclure n’importe qui.
Alors, ça c’est une, une des hétérogénéités. L’autre hétérogénéité, qui me semble vraiment capitale, nous c’est vraiment un domaine où on travaille énormément là-dessus à Montréal, c’est la question du langage. Je crois dur comme fer que le syndrome d’Asperger existe, même si je pense par ailleurs qu’il a posé d’énormes problèmes de définition. Quand je dis que ça existe, c’est-à-dire qu’il existe un certain nombre de personnes très proches de ceux des autistes qui ont eu un retard de langage, au niveau de leur socialisation et de leurs intérêts particuliers, mais qui ont accès au langage très très tôt au lieu d’y avoir accès très très tard. Ces personnes-là doivent à la fois être considérés comme des autistes de plein droit, on pourrait dire, c’est-à-dire que pour eux il y a toute une partie de l’autisme prototypique qui s’applique, mais pas toute, parce que c’est vraiment pas pareil pour une personne d’avoir eu accès au langage au tout début de sa vie versus à l’âge de 5 ans. Donc on a une autre hétérogénéité qui est celle du trajet langagier. Là aussi, c’est en incluant un certain parcours développemental avec les critères qu’on va probablement augmenter leur spécificité.
Donc, ça ce serait la bonne hétérogénéité. La mauvaise, c’est celle qui est fabriquée par les critères du DSM. Je vais dire quelques mots sur ce qu’on appelle les critères polythétiques, peut-être vous êtes pas habitués à cette formulation-là. Dans les conditions, ça vaut en médecine physique aussi, où vous n’avez pas de critère pathognomonique, de critère qui vous permet de dire, la bandelette hein là, qui vous permet de dire en oui ou non, la personne a ou n’a pas telle condition, on utilise des critères polythétiques, c’est-à-dire qu’on fait une liste de tous les critères possibles, et puis on regarde au bout de combien de ces critères-là les gens se mettent d’accord entre eux.

Et là, il y a aussi quelque chose à comprendre profondément, c’est que le critère de seuil, c’est un critère statistique à partir duquel les gens sont d’accord. Mais combien de fois il va falloir dire que le fait que des gens soient d’accord sur quelque chose, ça veut pas dire que c’est vrai ? Hein, je pense que l’histoire et un peu de regard autour de soi nous apprend qu’un certain nombre d’erreurs, ou en tout cas de biais ou de choses comme ça, peuvent être collectifs. Et actuellement l’autisme est un diagnostic par consensus, c’est le consensus qui tient lieu de vérité, on n’a pas autre chose. Mais une fois qu’on a dit ça, une fois qu’on a dit que c’est le consensus qui tient lieu de vérité, il me semble que ça devrait remettre au premier plan la notion d’expertise et de reconnaissance, parce que ça veut dire qu’au bout du compte, reconnaître un autiste n’est pas spécialement moins rigoureux que d’être capable de le définir. Et l’histoire récente nous montre, avec une prévalence augmentée dans les proportions dans lesquelles elle est, que cette augmentation est déraisonnable et que on reconnaît moins d’autistes que l’on va en identifier.
Donc actuellement, il me semble qu’il est déraisonnable d’accepter l’idée que l’autisme soit ce que l’ADI et l’ADOS diagnostiquent. À la fois parce que, arrivé à un certain point de transformation développementale, surtout pour le sous-groupe Asperger, les gens vont négativer l’ADOS. L’ADOS est très mauvaise pour diagnostiquer des autistes verbaux de 40 ans. Si vous prenez le seuil de ces instruments, eh ben vous allez avoir tous les Tourettes qui vont entrer, tous les TDAH graves, tous les troubles d’attachement graves, qui vont être positifs pour ces instruments. Je sais en disant ça que c’est récupéré et que quand j’essaie de dire des trucs comme ça, ça il va y avoir un escadron de psychanalystes qui vont dire « Ah ben ça bien veut dire que la clinique, et puis la subjectivité, il y a que ça qui compte etc., et on avait raison, et qu’il fallait se méfier du DSM etc. », je regrette mais tous les gens qui sont en désaccord avec quelque chose ne sont pas forcément d’accord entre eux, hein.
Alors, au niveau maintenant des conséquences au niveau des services, je voudrais revenir là-dessus. Je pense vraiment que tous les gens qui travaillent en autisme devraient être des experts en autisme. Et être experts au sens technique du terme, c’est pas savoir beaucoup, c’est en avoir vu beaucoup, en avoir rencontré beaucoup. Et dans la situation actuelle, on est en train de créer une pseudo-population qui fabrique une pseudo-expertise, parce que les autistes auxquels quelqu’un qui travaille en autisme est exposé, c’est pour partie des troubles neuro-développementaux avec une déficience marquée, avec des variants génétiques identifiés, ce qu’on appelle donc l’autisme syndromique, qui en fait, ça il y a à peu près un accord entre scientifiques là-dessus, en étant très conservateur sur le case ascertainment, font à peu près 8, 10 % maximum de la population. Et puis complètement à l’autre bout, cette population est composée de gens qui disent « Ah ben je serais bien autiste », et qui ont d’autres conditions ou pas de condition du tout.

Ce qui fait le cœur, véritablement, de la catégorie autisme, ce sont des gens qui ne parlent pas jusqu’à 4 ou 5 ans, qui finissent par devenir verbaux en passant par des étapes tout à fait bien caractérisées, et dont l’intelligence non verbale est généralement normale, même si ils ont bien du mal à le montrer et qu’on a bien du mal à le découvrir. Ce sont donc des gens qui ont fonctionnellement des déficits parfois majeurs, mais qui diminuent avec le temps, mais qui, quand on arrive à trouver les bonnes tâches, sont la plupart du temps – c’est une courbe de Gauss, il y en a sûrement qui ne sont pas très malins –, ont une intelligence non verbale normale, mais une intelligence verbale qui rattrape le non verbal au fur et à mesure du développement. Ça, c’est le cœur de la catégorie. C’est pas parce que c’est celle que Kanner a décrite que c’est le cœur de la catégorie, mais c’est parce que, comme c’est le cœur de la catégorie, ben c’est ça qui a eu le meilleur rapport signal sur bruit, et ce qui fait qu’il y avait forcément un gars qui allait se trouver en face pour dire « Ah ben tiens, ça c’est peut-être une catégorie naturelle. »
Alors écoutez, c’est un problème tellement gigantesque là, que j’ai abordé en 30 minutes, que c’est une gageure d’essayer d’en faire le tour, je vous renvoie à des papiers qu’on a faits récemment dans le groupe là-dessus sur ces questions de diagnostic, parce que ça devient un petit peu assez central là dans le groupe de recherche, je pourrai répondre à toutes les questions que vous voulez là-dessus et je m’arrête maintenant.

Vous pouvez écouter l'introduction et le débat (56 mn 57) sur youtube.

Webinaire LM 220121 final © OCT-OPUS

Merci à oliverfh pour la transcription (revue par LM)


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