Pandémie : les gouvernements doivent maintenir les services pour le handicap
Propositions d'Ari Ne'eman pour l'accompagnement notamment des personnes autistes aux USA pendant la pandémie du coronavirus. Compte-rendu du Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, Catalina Devandas.
Le COVID-19 est tombé. Pour sauver des vies et atténuer le poids qui repose sur le système de santé américain, nous devons rester confinés.
Mais que fait-on des personnes handicapées, surtout les nombreuses personnes qui ont besoin de services spéciaux, et de prestataires de services pour survivre ?
Pour contenir l’épidémie, les gouvernements ont, à juste titre, encouragé des mesures de confinement, comme rester chez soi et garder des distances sociales – se tenir loin des autres pour éviter de répandre l’épidémie. Mais, comme l’a exprimé Catalina Devandas Aguilar, « rapporteur spécial des droits de personnes handicapées » aux Nations Unies, la semaine dernière, ces mesures « seront peut-être impossibles à appliquer pour ceux qui sont dépendants de l’aide des autres pour manger, s’habiller et se laver. » [traduction ci-dessous]
Les personnes handicapées courent déjà des risques importants d’avoir des complications dues à l’infection. Les gouvernements sont en mesure de faire beaucoup pour leur garantir l’accès aux services vitaux durent cette crise.
En tant que militant des droits des personnes handicapées, j’ai passé les 15 derniers jours à travailler à la politique publique concernant les services au handicap, et je suis convaincu que les gouvernements pourront sauver des vies s’ils prennent certaines mesures simples.
Aux Etats-Unis, la déclaration de l’urgence nationale permet aux États d’autoriser plusieurs changements, et de le faire après coup – ce qui signifie que les états n’ont pas besoin d’attendre la permission pour opérer. Dans d’autres pays, les gouvernements devraient s’assurer que leurs propres déclarations d’état d’urgence comprennent bien des mesures pour garantir la sécurité, la survie et les droits des personnes handicapées.
Relever les plafonds des heures supplémentaires : de nombreux États limitent le nombre d’heures durant lesquelles un travailleur de soutien peut dispenser des services, pour éviter que les gouvernements et les prestataires aient à payer des heures supplémentaires. Ces restrictions se sont généralisées de manière grandissante ces dernières années.
Certains États, comme le Massachusetts, ont relevé les plafonds des heures supplémentaires en réponse à la crise, et d’autres devraient suivre leur exemple.
D’autres gouvernements devraient aussi suivre le mouvement pour promouvoir des services autogérés – grâce auxquels les personnes handicapées embauchent elles-mêmes leurs employés – et pour ajuster les taux de remboursement aux organismes de services, afin de garantir le paiement des heures supplémentaires. La pandémie rend très difficile pour les personnes handicapées le recours aux prestataires de services. Lever ces restrictions peut aider la main d’œuvre existante à dispenser des services à ceux qui en ont besoin.
Permettre à des membres de la famille de remplir le rôle de travailleurs de soutien : des Étatset pays différents appliquent des politiques variées concernant la pratique de payer des parents, conjoints et autres membres de la famille, pour remplir le rôle de travailleurs de soutien. Même ceux qui autorisent cette pratique empêchent souvent les « proches légalement responsables » - comme les parents d’enfants mineurs - de dispenser des services, pour éviter de les dédommager de tâches qu’ils effectueraient de toute façon.
Quels que soient les avantages de telles restrictions en temps normal, les gouvernements doivent envisager de les lever pendant cette pandémie.
Pendant les quelques mois à venir, toute politique qui oblige les personnes handicapées à avoir des contacts superflus avec ceux qui vivent à l’extérieur de chez elles, les exposera à un risque plus élevé en plein milieu de cette pandémie. Compte-tenu de ce risque, lever les restrictions qui empêchent de payer les aidants familiaux, y compris les proches légalement responsables, est une mesure d’urgence absolue.
Autoriser le remboursement des travailleurs de soutien dans les hôpitaux : il est possible que parmi les personnes hospitalisées, nombreuses soient celles porteuses de handicaps, car certains handicaps augmentent les risques de complications médicales dues au virus.
Parmi celles-ci, nombreuses seront les personnes – notamment celles qui ont des handicaps intellectuels et des troubles du développement susceptibles d’affecter leur comportement et leur capacité à communiquer – qui auront besoin d’aide pour supporter leur séjour à l’hôpital. De nombreuses personnes ont des difficultés à se faire comprendre dans leur façon de communiquer, ou sont plus susceptibles d’avoir des crises ou des accès de colère, qui pourraient les amener à subir une contention si elles n’ont pas accès à une personne familière.
Les personnes handicapées seront plus en sécurité dans les hôpitaux si elles peuvent garder un contact avec des travailleurs de soutien qu’elles connaissent depuis longtemps. Les gouvernements des États interdisent généralement de payer des travailleurs accompagnateurs des communautés quand la personne qu’elles accompagnent est à l’hôpital. Il faudrait assouplir cette politique durant la pandémie.
Autoriser les paiements d’avance pour conserver les placements dans la communauté : Quand les personnes qui utilisent des services basés sur la communauté, comme un auxiliaire de soin ou des services d’aide à la vie en collectivité, sont hospitalisées pour de longues périodes, les services de leur communauté peuvent expirer lorsqu’elles rentrent à la maison. De nombreuses personnes se retrouvent à sortir de l’hôpital, seulement pour apprendre que leurs auxiliaires de soin personnels ont trouvé un autre poste ou que leur foyer collectif a fait occuper leur place par quelqu’un d’autre.
Ces conséquences risquent fort de devenir permanentes, tant l’hébergement et les services sont difficiles à remettre en place quand on les a perdus, et cela pourrait conduire à placer la personne handicapée dans une institution.
Les gouvernements pourraient prévoir de recourir à des « paiements d’avance » pour aider les prestataires de services basés sur la communauté lorsque les personnes handicapées sont à l’hôpital. Cette approche éviterait que les personnes handicapées soient placées en institution quand elles quittent l’hôpital.
Bénéficier de congés maladies pour les travailleurs accompagnateurs : bénéficier de congés maladies devrait être un droit pour tous les travailleurs dont les vies sont désorganisées par cette crise. C’est particulièrement important pour les travailleurs qui dispensent des services aux populations à risque élevé, comme aux personnes handicapées.
Non seulement cela évitera aux travailleurs de soutien et à leurs familles de se trouver en difficulté économique, mais en plus, cela aidera aussi à protéger les personnes handicapées du risque de contracter le virus, parce que leurs travailleurs de soutien ne se sentiront pas contraints de travailler s’ils tombent malades.
Eviter les placements « temporaires » en institution : Lors de crises majeures, comme des ouragans et autres catastrophes naturelles, les personnes handicapées ont été, dans de nombreux états, retirées de la communauté et placées dans des foyers de soins et autres établissements institutionnels, prétendument à titre temporaire. Mais trop souvent, ces placements « temporaires » deviennent permanents par simple inertie.
Les personnes handicapées ont le droit de vivre avec la communauté.
Les gouvernements devraient empêcher que les établissements institutionnels hébergent ceux qui sont délogés par la pandémie, même à titre temporaire. S’ils recourent de fait à cette option, ils devraient élaborer un plan pour ramener les personnes à la communauté, et faire en sorte qu’elles ne perdent pas leurs relations avec les prestataires communautaires.
Mettre au point une supervision continue des établissements de soins, foyers collectifs et institutions : les directives des Centres pour le Contrôle et la Prévention des Maladies américains limitent toute visite aux établissements de soins, sauf pour les situations de fin-de-vie. De nombreuses autres institutions, foyers collectifs et diverses résidences collectives, ont également limité drastiquement les visites des proches et amis.
Les personnes handicapées sont exposées, dans ces établissements, à un double risque : le risque accru de contamination, et le risque de maltraitance et de négligence, en raison d’une surveillance extérieure insuffisante.
Pour atténuer ces risques, les gouvernements devraient autoriser des personnes mandatées pour protéger les droits des résidents à entrer dans ces établissements, même pendant la pandémie, comme l’a autorisé l’état de l’Oregon.
Il faut que tous ces changements soient mis en place aussi vite que possible pour sauver des vies pendant la pandémie.
Nous vivons des temps de crise comme jamais auparavant, au-delà de ce que chacun d’entre nous a pu voir dans toute sa vie. Dans ce bouleversement mondial, il est de notre devoir sacré de faire en sorte que les personnes handicapées ne soient pas abandonnées.
Ari Ne’eman est professeur invité à L’Institut Lurie pour la Politique du Handicap à l’Université Brandeis de Waltham, dans le Masachussetts, et doctorant en politique de santé à l’Université d’Harvard. Il a été directeur exécutif du Réseau des Défenseurs des Droits des Autistes (ASAN), de 2006 à 2016.
COVID-19 : qui protège les personnes handicapées ?
GENEVE (17 mars 2020) – On s’est peu occupé de fournir aux personnes handicapées les directives et le soutien requis pour les protéger pendant cette période actuelle de pandémie au COVID-19, bien qu’elles soient nombreuses à faire partie du groupe à risque élevé, avertissait aujourd’hui le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, Catalina Devandas.
« Les personnes handicapées se sentent abandonnées », déclare l’expert des droits de l’homme à l’ONU. « Les mesures de confinement, comme la distanciation sociale et l’isolement, sont parfois impossibles à mettre en place pour ceux qui ont besoin de l’aide des autres pour manger, s’habiller et se laver. »
« Ce soutien est essentiel à leur survie, et les Etats doivent prendre des mesures supplémentaires de protection sociale pour garantir la continuité de ce service d’une manière sûre, tout le temps que prendra cette crise. »
L’expert des Nations Unies a souligné avec force le fait que des mesures raisonnables d’aménagement sont essentielles pour permettre aux personnes handicapées de réduire les contacts et le risque de contamination. On devrait leur permettre de télétravailler ou de bénéficier d’un congé payé pour garantir la sécurité de leurs revenus. Les membres de la famille et les soignants peuvent avoir également besoin d’aménagements raisonnables pour s’occuper des personnes handicapées durant cette période.
« L’accès à une aide financière supplémentaire est également vitale pour diminuer le risque que ces personnes handicapées et leurs familles tombent dans une plus grande vulnérabilité ou pauvreté », a-t-elle expliqué.
« De nombreuses personnes handicapées dépendent de services qui ont été interrompus et n’ont peut-être pas assez d’argent pour faire des réserves de nourriture ou de médicaments, ou pour s’offrir le coût additif de livraisons à domicile. »
Catalina Devandas a aussi fait remarquer que la situation des personnes handicapées dans les institutions, les établissements psychiatriques et les prisons, est particulièrement grave, étant donné le risque élevé de contamination et l’absence de surveillance extérieure, aggravés par le recours à l’état d’urgence pour raisons sanitaires.
« Les restrictions devraient être étroitement adaptées, et faire usage de moyens les moins intrusifs possibles pour protéger la santé publique », a-t-elle affirmé. « Restreindre le contact avec leurs proches laisse les personnes handicapées totalement vulnérables envers toutes sortes de maltraitance ou de négligence dans les institutions. »
« Les Etats ont une responsabilité accrue envers cette population, en raison de la discrimination structurelle qu’elles subissent. »
L’expert des Nations Unies a également souligné que les personnes handicapées ont droit à ce qu’on les ré-assure que leur survie est une priorité, et elle a enjoint les Etats d’établir des protocoles clairs pour les urgences de santé publique, pour garantir que, quand les ressources médicales se raréfient, l’accès aux soins de santé, y compris les soins de maintien en vie, ne sera pas fait de manière discriminante pour les personnes handicapées.
« Pour faire face à cette pandémie, il est vital que l’information sur les mesures prises pour prévenir et endiguer le coronavirus soit accessible à tous », a-t-elle expliqué.
« Les campagnes publiques d’information des autorités sanitaires nationales doivent être mises à disposition du public en langue des signes et délivrées par des moyens, des supports et formats accessibles, comprenant une technologie numérique accessible, des sous-titres, des services de relais, messages texto, en langage courant et facile à lire. »
« Il faut consulter et impliquer les associations de personnes handicapées à toutes les étapes des réponses à trouver au COVID-19 », conclut Catalina Devandas.
Cet appel de Catalina Devandas a été approuvé par le Rapporteur Spécial sur la suppression des discriminations envers les personnes atteintes de la lèpre et les membres de leurs familles, Alice Cruz, ainsi que l’Expert Indépendant du respect de tous les droits de l’Homme pour les personnes âgées, Rosa Kornfeld-Matte.
FIN.
Mme Catalina Devandas (Costa Rica) a été nommée premier Rapporteur Spécial des droits des personnes handicapées en juin 2014, par le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU. Elle a beaucoup contribué à défendre les droits des personnes handicapées et le développement de l’inclusion pendant ces 20 dernières années, y compris avec la Banque Mondiale, les Nations Unies, et les associations internationales de donateurs. Ses priorités de travail comprennent l’inclusion socio-économique, l’encouragement à une citoyenneté complète des personnes handicapées, et l’inclusion de la diversité/compréhension du fait que les personnes handicapées participent à la diversité humaine.
Secrétariat d'Etat auprès du Premier Ministre chargé des Personnes Handicapées : dossier coronavirus
Foire aux questions Pour les adultes et enfants en situation de handicap, la famille et les proches aidants, les professionnels médico-sociaux