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Billet de blog 28 mars 2023

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Autisme : méta-analyse sur la suicidalité

Résultats de nombreuses analyses sur les risques élevés de suicide chez les personnes autistes.

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Note : Bien que cela ait été abondamment souligné lors de la préparation du 4ème plan autisme (dite "stratégie nationale ..'), aucune stratégie ne s'est dégagée pour prévenir le suicide chez les personnes autistes, malgré le risque majeur identifié (peut-être dépassé seulement par les personnes bipolaires). Une seule mesure sur 101 aurait pu permettre de l'aborder, la mesure 47, qui prévoit l'intégration des TSA dans les projets territoriaux de santé mentale (PTSM). J'attends toujours de voir un PTSM qui en traite spécifiquement.
Dans toutes les études sur ce sujet analysées par cette méta-analyse, il n'y en a qu'une en France. Ex-aequo avec le Luxembourg, Singapour etc.


molecularautism.biomedcentral.com Traduction partielle de "A systematic review and meta-analysis of suicidality in autistic and possibly autistic people without co-occurring intellectual disability"

Une revue systématique et une méta-analyse de la suicidalité chez les personnes autistes et possiblement autistes sans handicap intellectuel associé.


    Publié : 15 mars 2023 - Molecular Autism

Victoria Newell, Lucy Phillips, Chris Jones, Ellen Townsend, Caroline Richards & Sarah Cassidy

Illustration 1
Ghost Train - Train fantôme © Luna TMG flickr

Résumé


Contexte

La suicidalité est très répandue chez les personnes autistes sans handicap intellectuel associé, et des traits autistiques élevés sont observés chez les adultes qui ont fait une tentative de suicide. Cependant, les taux de prévalence pour les personnes autistes et possiblement autistes n'ont pas fait l'objet d'une synthèse méta-analytique.

Objectifs

  • (1) calculer les estimations de prévalence regroupées de la suicidalité chez les personnes autistes et les personnes autistes sans handicap intellectuel associé ;
  • (2) évaluer l'influence des caractéristiques des participants et des études sur l'hétérogénéité ; et
  • (3) déterminer la qualité des données probantes.

Méthodes

Les lignes directrices Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analysis ont été suivies. Des recherches systématiques ont été effectuées dans PsycINFO, Embase, MEDLINE et Web of Science de 1992 au 25 janvier 2022. Les études quantitatives empiriques faisant état de la prévalence des idées suicidaires, des plans de suicide ou des tentatives de suicide et des comportements suicidaires ont été retenues. Des modèles à effets aléatoires ont été utilisés pour estimer la prévalence groupée de chaque résultat relatif à la suicidalité, avec des intervalles de confiance à 95 %. L'hétérogénéité a été explorée à l'aide d'analyses de sensibilité et d'analyses modératrices.

Résultats de l'étude

Les données de 48 186 participants autistes et possiblement autistes dans 36 études primaires ont été méta-analysées. La prévalence regroupée des idées suicidaires était de 34,2 % (IC à 95 % : 27,9-40,5), des plans de suicide de 21,9 % (13,4-30,4) et des tentatives et comportements suicidaires de 24,3 % (18,9-29,6). Des niveaux élevés d'hétérogénéité (I2 > 75) ont été observés dans les trois analyses. Les estimations ne différaient pas entre les échantillons autistes et les échantillons potentiellement autistes. La situation géographique (p = 0,005), les échantillons transgenres ou non conformes au genre (p < 0,001) et le type de rapport (p < 0,001) ont modéré de manière significative les idées suicidaires, tandis que le groupe d'âge (p = 0,001) et la mesure de la suicidalité (p = 0,001) ont modéré de manière significative les plans suicidaires. Il existe une association significative entre la proportion de participants masculins et la prévalence des plans de suicide, avec une diminution de la proportion d'hommes pour chaque unité de variation de la prévalence des plans de suicide (p = 0,013). Aucune variable n'a modéré les estimations des tentatives de suicide et des comportements suicidaires.

Conclusions

Les résultats confirment que la suicidalité est très répandue à la fois chez les personnes autistes et chez les personnes possiblement autistes sans handicap intellectuel associé, et mettent en évidence des modérateurs potentiels. Les personnes possiblement autistes doivent faire l'objet d'une plus grande attention dans les considérations cliniques et de recherche afin de mieux comprendre et prévenir le suicide dans les deux groupes.


Introduction

Les personnes diagnostiquées avec un trouble du spectre autistique (TSA), c'est-à-dire les personnes autistes, se caractérisent par des différences au niveau de la communication et de l'interaction sociales, du traitement sensoriel, des centres d'intérêt et de la préférence pour la routine et la similitude [2]. À l'heure actuelle, on estime que 1,5 % de la population des pays développés est autiste [3], avec un rapport hommes/femmes d'environ 3:1 [4]. L'autisme est très hétérogène et il est bien établi que les personnes autistes souffrent souvent de divers problèmes de santé physique et de comorbidités psychiatriques [5]. Les problèmes de santé mentale, en particulier, touchent environ 70 à 80 % des personnes autistes dans toutes les tranches d'âge, l'anxiété et la dépression étant les plus courantes et les plus persistantes [6,7,8,9].

Outre des niveaux élevés de problèmes de santé mentale, les personnes autistes présentent un risque de suicidalité (idées suicidaires, projets de suicide, tentatives de suicide et décès par suicide) nettement plus élevé que les personnes non autistes. Une étude influente portant sur des adultes autistes diagnostiqués tardivement a révélé que 66 % d'entre eux avaient eu des idées suicidaires, soit neuf fois plus que la population générale, et que 35 % d'entre eux avaient planifié un suicide ou avaient fait une tentative de suicide [10]. En outre, on constate qu'un plus grand nombre d'adultes autistes que d'adultes non autistes ont un score supérieur au seuil psychiatrique sur les mesures du risque de suicide [11, 12]. Des études de population à grande échelle font également état d'une multiplication par quatre et neuf des décès par suicide chez les personnes autistes par rapport à la population générale [13, 14], et d'une multiplication par sept des tentatives de suicide [15], ce risque étant le plus élevé chez les personnes autistes de sexe féminin et les personnes autistes sans handicap intellectuel associé [13, 14, 15, 16]. Le suicide étant un problème de santé mondial crucial et l'une des principales causes de décès dans le monde [17], il est essentiel de comprendre ce risque accru de suicidalité chez les personnes autistes pour pouvoir évaluer correctement les risques et mettre en place des stratégies de prévention.

Malgré ces résultats préoccupants, la prévalence globale de la suicidalité chez les personnes autistes est très variable d'une étude à l'autre. Des revues systématiques antérieures ont montré que les estimations varient entre 1 et 72 % pour les idées suicidaires et entre 1 et 47 % pour les tentatives de suicide chez les personnes autistes [18, 19]. De même, la prévalence des idées suicidaires et des comportements suicidaires dans des échantillons d'autistes de moins de 18 ans se situe entre 11 et 73 % [20]. Cette variation peut s'expliquer par une combinaison de diverses caractéristiques au niveau des études et des participants, telles que des différences dans la taille de l'échantillon, le recrutement dans des environnements cliniques ou non cliniques [21, 22], et la façon dont la suicidalité est mesurée, rapportée et définie [18]. En outre, l'âge, le sexe et la présence de troubles associés chez les personnes autistes diffèrent grandement d'un échantillon à l'autre, ce qui constitue une source de variabilité [18]. Il est non seulement important de synthétiser les données actuelles sur la suicidalité chez les personnes autistes, mais aussi de comprendre l'influence des facteurs qui contribuent le plus significativement à ces estimations de prévalence.

Un exemple de cette variabilité concerne les mesures utilisées pour évaluer la suicidalité, qui ne sont pas uniformes dans la littérature et n'ont pas été validées pour être utilisées dans les populations autistes [11, 23]. Il s'avère que les personnes autistes interprètent et répondent aux instruments conçus pour des personnes non autistes différemment de ce qui était prévu par les concepteurs de l'outil [24]. Le Suicidal Behaviours Questionnaire-Autism Spectrum Conditions (SBQ-ASC) est le seul outil qui ait été récemment adapté aux populations autistes, mais il n'a pas encore été pleinement utilisé dans la recherche [24]. En outre, de nombreuses études, en particulier avec des échantillons plus jeunes, utilisent des mesures dont les items ne distinguent pas les tentatives de suicide des comportements d'automutilation, comme la Child Behaviour Checklist [25] ou la Paediatric Behaviour Scale [26]. Bien que les comportements d'automutilation soient également très répandus chez les personnes autistes de tous âges [27], la fonction des comportements d'automutilation et la question de savoir s'ils sont vécus avec l'intention de mettre fin à la vie ne sont pas suffisamment bien comprises à l'heure actuelle pour être évaluées comme étant proportionnelles aux tentatives de suicide [28]. En outre, les mesures basées sur des déclarations de témoins peuvent également manquer de sensibilité. Il est prouvé que la concordance entre les déclarations des aidants et les déclarations des personnes autistes est médiocre en ce qui concerne la qualité de vie et la santé mentale [29, 30]. Si l'expérience de la suicidalité d'une personne autiste n'est pas saisie de manière précise et cohérente, cela peut contribuer aux variations de la prévalence.

En ce qui concerne la variabilité au niveau des participants, certains groupes d'âge de personnes autistes pourraient contribuer davantage aux estimations de la prévalence de la suicidalité. Les méta-analyses suggèrent que la suicidalité varie en fonction de l'âge dans la population générale, où les adultes (âgés de plus de 18 ans) présentent des estimations de prévalence plus élevées que les adolescents (âgés de 14 à 18 ans), mais où les adultes plus âgés (âgés de plus de 65 ans) présentent un risque plus faible par rapport aux autres groupes d'âge [31, 32]. Si la trajectoire développementale de la suicidalité suit un schéma similaire chez les personnes autistes, on pourrait s'attendre à ce que l'âge explique une partie de la variabilité des estimations de prévalence d'une étude à l'autre. Cependant, il n'existe actuellement aucune recherche explorant cette relation chez les personnes autistes [28].

Le sexe peut également expliquer une partie de la variance de la prévalence. Dans la population générale, les hommes ont 2,3 fois plus de risques de mourir par suicide que les femmes [17] ; cependant, les données suggèrent que les femmes autistes ont un risque plus élevé de mourir par suicide et de faire des tentatives de suicide que les hommes autistes [13, 15]. Il pourrait même s'agir d'une sous-estimation, car l'autisme des femmes autistes est souvent négligé, mal diagnostiqué ou identifié tardivement [17], ce qui fait qu'elles peuvent, par inadvertance, ne pas être prises en compte dans les recherches pertinentes. La prévalence de la suicidalité est également plus élevée chez les personnes autistes transgenres et non-conformes au genre que chez les personnes cisgenres (c'est-à-dire qui s'identifient au sexe assigné à la naissance) [33, 34]. Malgré cela, ce n'est que récemment que des études ont commencé à reconnaître l'impact conjoint des diverses identités de genre et de l'autisme sur les résultats en matière de santé mentale. Les personnes autistes féminines et transgenres ou non conformes au genre pourraient donc représenter des groupes à haut risque ayant une influence disproportionnée sur la prévalence de la suicidalité.

Les estimations peuvent également varier selon que les personnes autistes avec ou sans troubles de l'identité cooccurrents sont incluses et analysées comme des groupes distincts dans les recherches. Certaines études combinent ces groupes dans le même échantillon [par exemple 35-37], bien que les personnes autistes sans troubles associés présentent un risque de suicidalité plus élevé que les personnes présentant des troubles associés [13, 15, 18, 38, 39]. La prévalence peut également être compliquée par l'utilisation fréquente de l'auto-évaluation pour mesurer la suicidalité, ce qui est moins accessible aux personnes atteintes d'un TDI [trouble du développement intellectuel] associé et peut ne pas fournir une représentation exacte de leur expérience interne [40]. 

Dans le cadre de cette étude, nous espérons que le fait de se concentrer sur les personnes autistes ne présentant pas de troubles liés à une déficience intellectuelle réduira cette ambiguïté.

Si la gravité de la suicidalité chez les personnes autistes est évidente, les raisons pour lesquelles ce risque accru existe ne sont toujours pas claires et n'ont pas fait l'objet de recherches suffisantes [28]. Comme dans la population générale, les problèmes de santé mentale, l'automutilation non suicidaire, le chômage et l'isolement social augmentent le risque de suicide chez les personnes autistes, mais leur prévalence est nettement plus élevée [18, 41, 42]. La recherche suggère également qu'il existe des facteurs de risque de suicidalité propres à l'autisme, tels que le camouflage (c'est-à-dire le fait de cacher activement ses traits autistiques pour être mieux accepté par ses pairs non autistes) et les besoins de soutien non satisfaits [41]. Étant donné les taux élevés de problèmes de santé mentale comorbides [9, 43] et d'automutilation non suicidaire [44, 45] chez les personnes autistes, on peut s'attendre à une prévalence accrue de la suicidalité dans les échantillons non cliniques de personnes autistes, qui sont moins susceptibles d'avoir accès à un soutien approprié [46]. De même, de nombreuses personnes autistes éprouvent des difficultés à obtenir leur diagnostic au départ, de sorte que l'âge avancé du diagnostic peut également contribuer à un manque de soutien tangible et à une augmentation de la suicidalité [10]. Il n'existe actuellement aucune preuve que l'âge du diagnostic soit un facteur de risque de suicidalité, mais cette question n'a été examinée jusqu'à présent que chez des personnes autistes diagnostiquées à l'âge adulte [41]. La présence ou l'absence de tels facteurs de risque dans les échantillons de personnes autistes devrait être prise en compte dans les diverses estimations de la prévalence de la suicidalité.

Enfin, on pense que l'autisme lui-même contribue à la suicidalité au-delà d'autres facteurs [41]. Les personnes autistes possibles (c'est-à-dire les personnes qui obtiennent des scores élevés sur les mesures des traits autistiques mais qui n'ont pas de diagnostic ASC officiel) semblent également présenter un risque plus élevé de suicidalité. On a constaté que 41 % (40,6 %) des adultes ayant fait une ou plusieurs tentatives de suicide au cours de leur vie avaient un score supérieur au seuil clinique pour les traits autistiques [47]. Par ailleurs, des preuves d'autisme et des traits autistiques élevés ont été trouvés chez 10,7 % des personnes décédées par suicide au Royaume-Uni [48]. De nombreuses personnes peuvent ne pas être diagnostiquées pour diverses raisons, telles que le manque de services de diagnostic adaptés à l'âge et d'outils permettant d'identifier les femmes autistes. Cela est particulièrement vrai pour les personnes qui correspondent au profil de l'autisme sans retard de langage ou de trouble du développement intellectuel associé [49]. Il est donc important de ne pas négliger ces personnes potentiellement autistes lorsque l'on étudie la prévalence de la suicidalité.

À ce jour, seules deux méta-analyses se sont intéressées à la suicidalité chez les personnes autistes [21, 22]. L'une d'entre elles a démontré que le risque de suicidalité (idées suicidaires, tentatives de suicide et suicide combinés) était trois fois plus élevé chez les personnes autistes que dans les groupes de comparaison non autistes, mais elle n'a pas examiné les idées suicidaires, les tentatives de suicide ou le suicide en tant que résultats distincts [22]. L'autre méta-analyse ne s'est intéressée qu'aux études portant sur les jeunes autistes, pour lesquelles les estimations de prévalence regroupées étaient de 25,2 % pour les idées suicidaires, de 8,3 % pour les tentatives de suicide et de 0,2 % pour les décès par suicide [21]. Ces méta-analyses fournissent des résultats utiles, mais n'abordent pas la question de la prévalence des différentes formes de suicidalité tout au long de la vie, ni spécifiquement pour les groupes à haut risque tels que ceux qui ne présentent pas de troubles concomitants de l'identité et qui sont peut-être autistes.

Objectifs actuels

En résumé, la suicidalité est inquiétante chez les personnes autistes, mais les estimations actuelles de la prévalence sont très variées, et l'influence des caractéristiques des participants et des études sur la suicidalité est inconnue. Des estimations solides de la prévalence de la suicidalité sont donc nécessaires pour identifier les besoins en services des personnes autistes à risque et pour informer la prévention du suicide basée sur des preuves au sein de cette population. Il est également nécessaire d'explorer l'influence des caractéristiques des participants et de l'étude et d'évaluer leur impact sur la prévalence des résultats de la suicidalité chez les personnes autistes. À notre connaissance, cette revue est la première du genre à examiner les études sur la suicidalité chez les personnes autistes diagnostiquées et les personnes potentiellement autistes, en mettant l'accent sur celles qui n'ont pas de troubles concomitants de l'identité, dans tous les groupes d'âge.

L'objectif de la présente étude systématique et méta-analyse est donc le suivant :

  •  1. de synthétiser les estimations de prévalence de la suicidalité chez les personnes autistes et éventuellement chez les personnes autistes sans TDI associé.
  •  2. évaluer l'influence des caractéristiques des participants (âge, sexe, autisme ou autisme possible, présence de facteurs de risque) et des études (cadre de l'étude, emplacement géographique, mesure de la suicidalité, type de rapport) sur l'hétérogénéité des estimations de la prévalence.
  •  3. déterminer la qualité des preuves disponibles. (...)

Discussion

L'objectif principal de la présente revue systématique et méta-analyse était de synthétiser les estimations de prévalence de la suicidalité chez les personnes autistes et possiblement autistes sans DI associée. À partir de 40 études primaires, 36 d'entre elles ont été méta-analysées, représentant 48 692 participants autistes et possiblement autistes. Des analyses modératrices ont été menées pour évaluer l'influence des caractéristiques des études et des participants sur la prévalence des résultats en matière de suicidalité. Il s'agit de la première méta-analyse à synthétiser des données concernant des personnes autistes et des personnes possiblement autistes sans troubles associés, quel que soit leur âge, et à fournir de nouvelles estimations de la prévalence des idées suicidaires, des plans de suicide, des tentatives de suicide et des comportements suicidaires dans les deux groupes. Ces résultats ont des implications cliniques et scientifiques importantes pour la compréhension et la prévention du suicide. De plus, l'utilisation de procédures robustes, rigoureuses et standardisées, conformes aux directives PRISMA [50], garantit l'exactitude des estimations et renforce la validité des résultats.

Des estimations de prévalence élevées ont été mises en commun pour les trois résultats relatifs à la suicidalité ; les idées suicidaires étaient présentes chez plus d'un tiers (34,2 %) des personnes autistes et possiblement autistes sans troubles associés de TDI ; les plans de suicide étaient présents chez 21,9 %, et les tentatives de suicide et les comportements suicidaires chez 24,3 %. Ces estimations restent considérablement plus élevées que celles de la population générale. Par exemple, la prévalence transnationale des idées suicidaires dans la population générale est d'environ 9 %, et se situe entre 2 et 3 % pour les plans de suicide et les tentatives et comportements suicidaires [31, 78]. La grande différence entre ces taux vient s'ajouter aux preuves que les personnes autistes présentent un risque particulièrement accru de suicidalité [10, 18, 19, 20, 21, 22]. En outre, les estimations de la prévalence des idées suicidaires, des plans de suicide, des tentatives de suicide et des comportements suicidaires se sont avérées comparables entre les groupes autistes et les groupes non autistes. Ce résultat renforce les recherches antérieures montrant que les personnes autistes potentielles sont également exposées au risque de suicidalité [47, 48], et devrait donc être pris en compte dans les recherches et les considérations cliniques à l'avenir.

Des niveaux élevés d'hétérogénéité ont été observés dans chacun des modèles à effets aléatoires (I2 = 95,9-96,7 %) et des analyses de sous-groupes et des méta-régressions univariées ont donc été réalisées. Ces analyses ont montré que la prévalence des idées suicidaires et des plans de suicide variait en fonction de certaines caractéristiques des participants et de l'étude, ce qui n'était pas le cas pour les tentatives de suicide et les comportements suicidaires.

Tout d'abord, la prévalence des idées suicidaires a été modérée par la situation géographique, les échantillons transgenres ou non conformes au genre et le type de rapport. Il a été constaté que les idées suicidaires différaient d'un lieu géographique à l'autre, avec des estimations de prévalence plus faibles en Asie qu'en Europe et en Océanie. Cette constatation est intéressante, étant donné qu'environ deux tiers des décès par suicide dans le monde surviennent en Asie [80]. Dans la présente étude, la situation géographique de l'Asie était principalement constituée de pays d'Asie de l'Est (Corée, Taiwan, Chine, Singapour et Japon), où la prévalence plus faible peut s'expliquer par une série de facteurs tels que la criminalisation du suicide [81], la stigmatisation des problèmes de santé mentale [82,83,84] et de l'autisme [85,86,87], et l'importance du maintien de la réputation de la famille dans les sociétés asiatiques collectivistes [88]. Il est donc possible que les déclarations de suicidalité, de diagnostic d'autisme ou de traits autistiques ne soient pas le reflet exact de la réalité. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre les complexités de la suicidalité chez les personnes autistes et éventuellement autistes à travers l'Asie.

Les résultats actuels suggèrent également que les idées suicidaires sont plus élevées dans les échantillons d'autistes et de personnes potentiellement autistes qui sont transgenres ou dont le genre n'est pas conforme. Cela n'est pas surprenant, car les personnes transgenres et non-conformes au genre dans la population générale présentent des taux d'idées et de comportements suicidaires beaucoup plus élevés que leurs pairs cisgenres [89,90,91]. Par ailleurs, les personnes autistes sont plus susceptibles d'être de sexe différent que les personnes non autistes [74, 92], et les personnes de sexe différent sont également plus susceptibles d'être autistes [93]. Il est donc possible que l'intersection de ces deux identités aggrave le risque de suicidalité, ce qui se traduit par une estimation plus élevée de la prévalence. Il est clairement nécessaire que les études futures fassent état de diverses identités de genre afin d'approfondir cette relation. En outre, les cliniciens travaillant avec des personnes transgenres ou non conformes au genre et/ou des personnes autistes devraient être sensibilisés à ce chevauchement possible et au risque associé, afin de dépister et de prendre en charge la suicidalité de manière appropriée [74].

En outre, la prévalence des idées suicidaires était plus élevée pour les mesures d'auto-évaluation de la suicidalité que pour les mesures d'évaluation par un informateur. Les deux principales études qui n'ont utilisé que l'auto-évaluation sont celles qui ont porté sur des échantillons d'adolescents ou d'enfants autistes [94, 95]. Les études qui ont utilisé à la fois l'information et l'auto-évaluation ont montré qu'il y avait une faible concordance entre les parents et leurs jeunes autistes, les parents semblant sous-évaluer les différents symptômes psychiatriques, y compris la suicidalité [29, 96, 97]. Cela suggère que l'auto-évaluation peut fournir un reflet plus précis des expériences internes des jeunes autistes en matière de suicidalité et souligne la nécessité de corroborer les comptes-rendus avec les rapports des informateurs lorsque cette méthode est utilisée.

Deuxièmement, la prévalence des plans de suicide a été modérée par le groupe d'âge, la mesure de la suicidalité et la proportion de participants masculins. La prévalence des projets de suicide était plus élevée chez les adultes autistes ou potentiellement autistes (âge ≥ 20 ans) que chez les jeunes (âge < 20 ans), mais ces effets de modération par l'âge n'ont pas été observés pour les idées suicidaires, les tentatives de suicide et les comportements suicidaires. De même, de grandes études en population montrent que l'incidence des tentatives de suicide chez les personnes autistes avec ou sans TDI associée ne diffère pas significativement en fonction de l'âge [14]. Cette prévalence comparable des idées suicidaires, des tentatives de suicide et des comportements suicidaires dans les différents groupes d'âge peut s'expliquer par les facteurs de risque de suicidalité auxquels les personnes autistes sont confrontées tout au long de leur vie (par exemple, les problèmes de santé mentale) [6,7,8,9, 41]. Par conséquent, les personnes plus âgées pourraient être plus susceptibles d'avoir un plan de suicide, mais ne sont pas plus susceptibles de penser au suicide ou de faire une tentative que les personnes plus jeunes. Malgré cela, il n'existe actuellement aucune recherche explorant cette trajectoire développementale de la suicidalité dans l'autisme [28], et il est nécessaire d'en faire plus pour déterminer avec précision toute relation entre l'âge et la suicidalité.

En outre, les plans de suicide se sont avérés plus élevés lorsqu'on utilisait un outil de mesure spécifique à la suicidalité que lorsqu'on utilisait un outil général ou non standardisé. Nous savons que les personnes autistes interprètent et répondent différemment aux items et mesures validés pour une utilisation en population générale [24]. Cependant, la plupart des études rapportant des plans de suicide ont utilisé le SBQ-R [98], dont une a utilisé la version adaptée de celui-ci : le SBQ-ASC [24]. Il est possible que ces mesures qui évaluent les projets de suicide soient suffisamment homogènes pour être sensibles aux différences de prévalence, par rapport à la grande diversité des méthodes d'évaluation utilisées pour mesurer les idées suicidaires, les tentatives de suicide et les comportements suicidaires.

Cependant, la présente étude ne confirme que partiellement les données antérieures selon lesquelles la suicidalité est plus fréquente chez les femmes autistes [13, 15]. Les résultats de la méta-régression ont mis en évidence une association entre la proportion de participants masculins et la prévalence des plans de suicide uniquement, en ce sens que plus la proportion de participants masculins diminuait, plus la prévalence des plans de suicide augmentait. Il est intéressant de noter que toutes les études faisant état de projets de suicide, à l'exception de deux d'entre elles, incluaient des participants majoritairement féminins [75, 96] et que plusieurs d'entre elles portaient également sur d'autres identités sexuelles [24, 76, 99, 100], ce qui constitue un échantillon plus représentatif. L'absence de détection de cette association dans les idées suicidaires, les tentatives de suicide et les comportements suicidaires peut indiquer que les autres échantillons n'étaient pas suffisamment diversifiés en termes de genre pour pouvoir l'explorer de manière fiable en tant que modérateur.

Enfin, aucun modérateur significatif n'a été trouvé pour les tentatives de suicide et les comportements suicidaires, ce qui suggère une prévalence comparable dans les sous-groupes examinés. Il est également possible que l'hétérogénéité soit expliquée par d'autres variables, telles que l'âge du diagnostic, le chômage ou la présence d'automutilation non suicidaire [41]. Ces éléments sont suggérés comme étant des facteurs de risque de suicidalité chez les personnes autistes, mais il n'a pas été possible d'approfondir les recherches en raison de l'insuffisance des données dans les études primaires. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer lesquels de ces facteurs, le cas échéant, modèrent les estimations de prévalence des tentatives de suicide et des comportements suicidaires chez les personnes autistes ou susceptibles de l'être.

Limites

Bien que la présente étude ait été solide et exhaustive, elle présente certaines limites qu'il convient de reconnaître. L'une d'entre elles est que 91,7 % (n = 33) des études primaires qui ont fait l'objet d'une méta-analyse ont été menées dans des pays à revenu élevé. Or, environ 75 % des suicides ont lieu dans des pays à revenu faible ou intermédiaire (PRFI), où les taux de pauvreté sont plus élevés et où les ressources pour soutenir les personnes en proie à la suicidalité sont limitées [101]. En outre, il y a une pénurie d'instruments de dépistage et de diagnostic pour les ASC, ainsi qu'une sensibilisation réduite à l'autisme dans les professions de santé [102, 103]. La combinaison de ces facteurs présente des défis systémiques uniques pour les personnes autistes dans les PRFM par rapport aux pays à revenus plus élevés et limite la généralisation de nos résultats à toutes les populations autistes.

L'analyse actuelle n'a également porté que sur des échantillons de personnes autistes et éventuellement autistes sans troubles associés, car cette population a été identifiée comme présentant un risque plus élevé [15]. Cependant, les personnes autistes souffrant de troubles associés de DI ne sont pas exemptes de suicidalité ; les troubles associés de DI chez les personnes autistes sont associés à un risque accru de tentatives de suicide ou de comportements d'automutilation, mais pas d'idées suicidaires [37]. Il se peut que cette constatation reflète les niveaux élevés de comportement d'automutilation chez les personnes souffrant de DI associée [104] sans qu'il y ait nécessairement d'intention suicidaire [28]. Par ailleurs, cela pourrait indiquer des difficultés dans l'évaluation des idées suicidaires chez les personnes souffrant de DI associée, où les mesures d'auto-évaluation présentent des défis supplémentaires pour comprendre et répondre aux questions, en plus de ceux associés au fait d'être autiste [40]. Cela pourrait conduire à des rapports plus faibles sur les résultats vécus intérieurement (c'est-à-dire les idées suicidaires) mais pas sur les comportements observables extérieurement (c'est-à-dire les tentatives de suicide/les comportements d'automutilation). Les futures méta-analyses devraient viser à comparer les preuves de la suicidalité chez les personnes autistes avec et sans troubles de DI associés afin de déterminer si c'est le cas.

Les résultats de l'analyse ont également été quelque peu limités par la qualité des études primaires et de leur méthodologie, peu d'entre elles ayant démontré un faible risque de biais. Pour remédier à cette limitation, des analyses de modération ont été effectuées en utilisant le risque de biais et le score total de la NOS, mais la qualité n'a pas influencé de manière significative les taux de prévalence dans les études pour aucun des résultats. Quoi qu'il en soit, ces résultats soulignent la nécessité de mener des recherches dans ce domaine afin de mieux prendre en compte les sources de biais.

Enfin, même si l'hétérogénéité des mesures de la suicidalité a été explorée à l'aide d'analyses de sous-groupes, il existe toujours des différences inhérentes dans la manière dont la "suicidalité" est conceptualisée, ce qui rend difficile de tirer des conclusions concrètes [105]. Les études ne distinguent généralement pas les idées suicidaires passives (c'est-à-dire le désir d'être mort) des idées suicidaires actives (c'est-à-dire le désir de se tuer), et certaines utilisent des définitions des idées suicidaires qui incluent les plans de suicide, tandis que d'autres considèrent les plans de suicide comme une étape distincte [106]. Il existe également de grandes variations dans la période d'observation au cours de laquelle les résultats de la suicidalité mesurés se produisent, en particulier pour les idées suicidaires (par exemple, actuelle, 6 mois, 12 mois, à vie, etc.). Cette revue a également utilisé une conceptualisation dichotomique de l'automutilation [107, 108] ; cependant, toute la littérature ne distingue pas les tentatives de suicide de l'automutilation. Par exemple, certaines études ont été exclues parce qu'elles utilisaient des éléments englobant à la fois les tentatives de suicide et les comportements d'automutilation [25, 26]. Il est donc possible qu'une partie de la littérature pertinente n'ait pas été prise en compte. Les recherches futures devraient non seulement viser à mesurer la suicidalité chez les personnes autistes et éventuellement autistes de manière homogène avec des mesures validées (ce qui est plus faisable aujourd'hui en utilisant le SBQ-ASC [24]), mais aussi fournir des catégorisations claires et fines de la suicidalité.

Implications

Néanmoins, la prévalence élevée de la suicidalité chez les personnes autistes et possiblement autistes constatée dans la présente revue a des implications importantes pour la prévention du suicide, tant sur le plan clinique que scientifique. La recherche future devrait continuer à s'intéresser aux priorités pour une meilleure prévention du suicide qui sont en accord avec celles identifiées par la communauté autiste [109]. Il s'agit par exemple d'adapter et de développer des méthodes qui mesurent avec précision les concepts pertinents (c'est-à-dire la suicidalité et l'automutilation) dans les populations autistes. Il est essentiel que ce processus soit également guidé par les recommandations d'un outil de recherche validé, tel que le Consensus-Based Standards for the Selection of Health Measurement Instruments, qui souligne l'importance de la validité du traitement [110].

De même, il convient de combler les lacunes importantes de la littérature concernant les raisons pour lesquelles les personnes autistes sont plus exposées au risque de suicidalité. Bien qu'il y ait un chevauchement avec les marqueurs de risque connus dans la population générale, ceux-ci tendent à être beaucoup plus fréquents chez les personnes autistes, et d'autres ont été identifiés comme étant propres à l'autisme [41]. La recherche devrait également explorer si ces marqueurs de risque de suicidalité s'étendent également aux personnes autistes.

Avec une meilleure compréhension de l'épidémiologie de la suicidalité chez les personnes autistes et potentiellement autistes, des recherches supplémentaires sont également nécessaires pour explorer les mécanismes qui sous-tendent à la fois le développement des idées suicidaires et la progression des idées suicidaires vers les tentatives de suicide et les comportements suicidaires [111]. Ces recherches devraient s'appuyer sur des théories telles que la théorie interpersonnelle du suicide (IPTS) [112]. Les théories du suicide ont été sous-utilisées dans le domaine de l'autisme jusqu'à présent, mais la TISP a une utilité émergente au sein des populations autistes et possiblement autistes [75, 113]

L'IPTS stipule que la combinaison de la perception d'un fardeau et d'une appartenance contrariée crée un désir de suicide, et que la capacité acquise de tenter de se suicider dépend de la capacité à surmonter la peur de la mort et la douleur qui accompagne une tentative de suicide [10]. Les personnes autistes sont plus susceptibles que les personnes non autistes de faire état d'un sentiment d'appartenance contrarié et d'un fardeau perçu, ces deux éléments jouant un rôle médiateur dans l'association entre les traits autistiques et la suicidalité [76]. De même, chez les personnes présentant des traits autistiques élevés, le camouflage est associé à un sentiment d'appartenance contrarié accru [114]. L'IPTS pourrait faciliter une meilleure compréhension de la suicidalité chez les personnes autistes et possiblement autistes en déterminant qui est à risque de suicide, et donc comment réduire ce risque [40].

Remarques finales

En résumé, la présente méta-analyse a généré des estimations robustes de la prévalence des idées suicidaires, des plans de suicide, des tentatives de suicide et des comportements suicidaires chez les personnes autistes et possiblement autistes sans troubles associés au TDI. Une hétérogénéité significative a été constatée entre les études primaires, où l'analyse modératrice a démontré que la prévalence variait en fonction des caractéristiques des participants et de l'étude. Les estimations de la prévalence des idées suicidaires étaient plus faibles dans les études menées en Asie, mais plus élevées dans les échantillons transgenres ou non conformes au genre et lorsqu'elles étaient fondées sur l'autodéclaration. Les estimations de la prévalence des plans de suicide étaient plus élevées chez les adultes autistes et lorsqu'on utilisait des mesures spécifiques de la suicidalité. Le sexe est également associé aux plans de suicide, une diminution de la proportion d'hommes étant associée à une augmentation des estimations de plans de suicide. Inversement, aucune variable n'a été trouvée pour modérer la prévalence des tentatives de suicide et des comportements suicidaires. Des recherches supplémentaires sont nécessaires, en partenariat avec la communauté autiste, pour comprendre pourquoi le risque accru de suicidalité existe dans cette population. Les recommandations portent notamment sur des mesures de meilleure qualité, des preuves de l'existence de facteurs de risque ou de protection et l'extension des modèles théoriques. Cela contribuera à la prévention du suicide en garantissant que les personnes autistes et potentiellement autistes en proie à la suicidalité reçoivent le soutien approprié et opportun dont elles ont besoin. (...)


Autisme et suicide

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