Jean Vinçot (avatar)

Jean Vinçot

Association Asperansa

Abonné·e de Mediapart

1944 Billets

0 Édition

Billet de blog 29 janvier 2025

Jean Vinçot (avatar)

Jean Vinçot

Association Asperansa

Abonné·e de Mediapart

Autisme - "En attendant Zorro": interview de Lucas Palisse

Un documentaire belge original montre l'intervention de Lucas, intervenant spécialisé auprès de personnes autistes.

Jean Vinçot (avatar)

Jean Vinçot

Association Asperansa

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

BA En attendant Zorro © Sarah HOWE

J'ai assisté à la projection du documentaire belge :"En attendant Zorro" au cinéma Les Studios à Brest, en présence de la réalisatrice Sarah

Illustration 2
Affiche du film

Moon Howe et du Zorro en question, Lucas Palisse. Ce documentaire est nominé dans les 4 documentaires encore en lice dans les Magritte du cinéma, équivalent des Césars en Belgique.. J'ai trouvé le film et le débat suffisamment intéressants, même décoiffants, pour interviewer Lucas 1.


Illustration 3
Copie d'écran "En attendant Zorro"
Interview de Lucas

Lucas, peux-tu résumer ton activité actuelle ?


Si je dois donner un titre, c’est intervenant spécialisé auprès d’enfants TSA. Et donc, je me rends au domicile des familles qui ont un ou plusieurs enfants TSA, et j’essaye de permettre de retrouver, de reconstruire une relation basée essentiellement sur une motivation liée à l’affect entre les deux, de plaisir partagé avant tout. C’est en gros, la base de mes interventions et après çà se traduit, çà s’explique par beaucoup de biais et de techniques différentes qui sont employées. L’objectif principal, c’est développer ou redévelopper, redynamiser les relations entre l’enfant TSA et les parents.


Dans quelle zone géographique interviens-tu ?

J’interviens à Bruxelles capitale, la région de Bruxelles on peut dire, un petit peu en Wallonie, et après un peu en France, particulièrement dans le Finistère. Mais çà peut m’arriver de me déplacer ailleurs en France pour des familles avec qui j’ai travaillé et avec qui je vais travailler. La Belgique francophone et la France.

Tu interviens auprès d’enfants et d’adultes ?

Oui, j’interviens auprès d’enfants et d’adultes. C’est assez équilibré, mais j’ai pas mal d’enfants ici en Belgique, mais dans le Finistère, ce sont des jeunes adultes principalement. Parfois des adultes aussi, çà m’arrive.

A ton avis, qu’est ce qui déclenche la demande d’intervention des parents ?

Très souvent, c’est un manque de solutions institutionnelles, en Belgique du moins, c’est en partie çà, il y a des familles qui m’ont appelé, elles ont des enfants en bas âge, en-dessous de 6 ans, et l’hôpital qui a posé le diagnostic ne leur propose pas vraiment de solutions institutionnelles, ils sont dans l’embarras. Et une liste circule avec des numéros de personnes indépendantes, et dans cette liste, je suis le seul homme qui intervient directement à domicile. C’est une partie des personnes, parce que pas de solution et je suis un peu le dernier échelon. La deuxième partie, c’est du bouche à oreille, des gens pour qui j’ai travaillé qui vont diffuser mon contact à d’autres parents, parce qu’il y a forcément un réseau qui se crée chez les parents.
Je ne pense pas être le seul à avoir été frappé lors de la projection du film à Brest. Ce qui se dit dans le milieu des parents, c’est que la Belgique, c’est l’Eldorado, l’herbe est plus verte. Ce qui a les a frappés, c’est qu’en Belgique, il y a des manques.

L’herbe n’est pas du tout plus verte. C’est exactement les mêmes problématiques concernant les moyens octroyés par l’État, les régions ou provinces pour apporter des solutions aux familles. Problèmes financiers, problème de ressources humaines, pas de personnes impliquées, problèmes structurels, et après, de mon point de vue personnel, c’est un problème de méthodes employées et de structures, d’idéologies qui sont utilisées pour faire face à la prise en charge des personnes en situation de handicap comme les enfants typiques aussi. C’est le modèle qui est à remettre en question. C’est exactement pareil [en Belgique comme en France], sauf qu’ici c’est un pays beaucoup plus petit, l’échelle n’est pas la même, mais on trouve les mêmes problématiques.

Quand tu parles idéologie, traduction automatique d’une idéologie carente en matière d’autisme en France, on pense psychanalyse. C’est à çà que tu fais référence ou à autre chose ?

Non, ce n’est pas à çà que je fais référence. Je suis critique pour les méthodes préconisées par la HAS autant que sur la psychanalyse. J’ai l’impression, avec le temps et ce que j’ai pu comprendre du combat que mènent de nombreuses familles depuis des années envers la psychanalyse, que ce qui est important et valable a porté ses fruits, c’est-à-dire qu’il y a beaucoup moins d’emprise psychanalytique, elle a été énormément réduite. Au profit de méthodes à l’inverse de la psychanalyse qui vont être validées scientifiquement par des données qui sont quantifiables. Mais ces méthodes n’ont pas une légitimité et une validation qui leur permettraient de se défaire de toute critique. En fin de compte, il y a une mise en avant de certaines méthodes qui s’inscrivent dans un contexte économique. L’orientation des résultats peut être discutable, car à l’heure actuelle, on peut aussi trouver des études qui vont démonter un peu l’idée que certaines méthodes fonctionnent parfaitement pour l’autisme. Des organismes ont profité un peu de ce combat qu’avaient les familles contre la psychanalyse, qui étaient vraiment corps et âme dans la lutte pour éradiquer çà, elles étaient très occupées par ce combat là, et n’ont pas eu nécessairement, le temps, l’espace, pour ce qu’on leur a amené ensuite comme moyens pour la prise en charge des personnes autistes. Tout çà est complexe et çà mérite réflexion et critique.

[ ...]

Quel est ton parcours qui t’a amené à cette activité ?

Mon parcours est atypique et assez original. J’ai un parcours personnel qui a eu des expériences de vie et qui a été affronté à un milieu qui m’a amené à çà, et un parcours un peu plus académique qui m’a formé aussi sur des choses. Je suis le troisième d’une fratrie dont le premier enfant naît avec la mucoviscidose. Je vais naître cinq ans après, dans un contexte familial où mes parents s’occupent, prennent soin d’une personne malade, de mon frère. Mais la manière dont mes parents le font, surtout ma mère, va me permettre d’assimiler çà très facilement. Je crois que ma maman m’a bien préservé, ma sœur et moi, de ce contexte d’enfant malade qui nécessite pas mal de soins. Je n’ai jamais trouvé çà lourd, pesant. C’est la première chose, çà m’a permis de grandir en étant dans un contexte un peu anormal, qui pour moi est normal.

La deuxième chose, c’est ma scolarité dans le primaire, où je vais être changé d’établissement à 8/9 ans. Je vais me trouver dans une école où il y a une section pour personnes malentendantes et sourdes. Je vais être très attiré et devenir ami avec ces personnes en arrivant. C’est eux qui vont m’intégrer à l’école, c’est par ce biais là que je vais me familiariser avec cette école, et je me souviens très bien être sensible à leur manière d’utiliser la langue des signes, une chose atypique qui m’attirait.

Puis après, j’ai grandi, je vais aller à la fac de sport, car je voulais devenir professeur d’EPS. Faire un concours, ce n’est pas ce que j’étais capable de faire. Je vais faire une licence concernant l’activité physique adaptée. Je m’intéresse au handicap forcément. Moi, l’autisme est un fantasme, je n’y connais rien. Quand je débute mon master, je dois trouver un stage. J’en trouve à Lyon, avec une maman qui a un fils de 17 ans, qu’elle retire de l’institution parce que son fils a été violé et violenté par un éducateur. Elle décide de retirer son fils de l’institution, et elle décide de créer une association qui fait des prises en charge au domicile des familles. Ce qui n’était pas à l’époque commun. Je suis la deuxième personne qu’elle emploie et qu’elle fait venir chez elle pour travailler avec son fils. Je ne connais rien à l’autisme. Mais elle va me faire confiance et me laisser faire progressivement avec son fils. Puis organiser de petites formations.

Je commence à suivre des formations ponctuelles données par des professionnels. Je commence à m’intéresser un peu plus théoriquement à des choses liées à l’autisme. Mais c’est ma pratique. Au fil des années, je vais rencontrer Caroline Peters, qui est une thérapeute BCBA, spécialisée dans l’autisme, qui à l’époque s’inscrivait dans le courant ABA, qui était dans ce courant là, qui est toujours reconnue dans ce courant-là. Elle va me prendre sous son aile et me faire travailler de plus en plus en Hollande avec des familles françaises et va m’inculquer une certaine manière de faire, avec son propre style à elle. C’est un ABA qui est fort centré sur la relation, les compétences sociales. Sur le jeu, comment apprendre à jouer à un enfant. Mais je vais travailler pendant quelques années avec les systèmes de renforcement extrinsèque, des systèmes de jeton, de récompenses matérielles. Puis, petit à petit avec Caroline, on va s’intéresser à d’autres manières de voir les choses. Le problème qu’on avait tout le temps, on savait très bien faire, on parvenait à mettre en place nos méthodes. Mais c’était quasiment toujours compliqué de le faire faire aux parents, que les parents parviennent à faire çà. On s’est dit « çà ne marche pas », parce qu’il y avait trop de parents qui n’y arrivaient pas, et aussi des professionnels qui n’étaient pas capables d’avoir la même exigence, la même précision. Donc on s’est un peu éloigné un moment de certains aspects de l’ABA, sans pour autant s’en détacher complètement, car il y a des règles qu’on valide tout à fait dans le comportementalisme. A un moment donné, en termes d’acquisition de compétences relationnelles et sociales, il y a quelque chose qui manquait et nous nous sommes intéressés à une autre méthode, la RDI (Relation Developpement Intervention) qui nous a amenés à penser un peu différemment. Ça nous a amenés à travailler beaucoup plus sur les compétences relationnelles, la communication non verbale. Cela rejoint des méthodes comme Floortime ou Sonrise, tout en utilisant des principes comportementaux et enlevant une forme de pression de devoir atteindre des objectifs. On s’en détache un peu aussi.

C’est mêlé à la fois théorique et pratique, et toutes ces années, j’ai beaucoup lu. Je me suis intéressé à la pédagogie de manière générale : qu’est ce que c’est, les courants pédagogiques ayant émergé en Europe à partir du 16ème/17ème siècle, leur évolution. Je m’y intéresse toujours.

Comment es-tu rentré en contact avec la documentariste, Sarah Moon Howe ? J’ai trouvé marrant que le film s’appelle « En attendant Zorro », une certaine autodérision, je pense.


Quand je suis arrivé à Belgique – Bruxelles – il y a 6 ans, j’ai travaillé pour une famille. Cette famille avait un enfant de 4 ou 5 ans. Il allait dans une école ordinaire, mais il fallait que quelqu’un l’accompagne. La maman me faisait aller à l’école avec son enfant, quelques matinées par semaine ; çà se passait très bien. Sauf que je commençais à avoir beaucoup de travail, il fallait trouver quelqu’un d’autre qui puisse, lorsque j’étais absent, venir à l’école pour me remplacer.

Cette maman était sur les groupes de parents, cherchait des solutions dans les groupes plutôt alternatifs, pas très pro[fessionnels]. Et elle tombe sur la réalisatrice, Sarah Moon Howe, qui est aussi une maman, assez militante, qui essaye quand elle a le temps de pouvoir aider des familles. Cette maman explique sa situation de recherche d’un remplaçant : « j’emploie quelqu’un, mais cette personne n’est pas tout le temps là ». Elle me dit alors qu’elle a trouvé une remplaçante, et que çà serait bien que je vienne 2/3 jours à l’école avec elle pour l’aider, commencer faire avec son fils. Je rencontre de cette manière-là Sarah Moon Howe, dans une classe, auprès d’un enfant. Assez vite, je vais comprendre que Sarah Moon Howe a aussi un enfant. Elle va petit à petit m’en parler, me faire venir chez elle pour travailler certaines choses chez elle avec son fils.

Puis la période du COVID. Je vais pouvoir venir chez elle dans cette période-là où plus personne ne travaillait pour les gens. Tout était fermé, tous ces parents qui se sont retrouvés avec leur enfant, chez eux, à devoir gérer … Çà lui a permis de surmonter cette période en partie, et aussi de s’apercevoir : tiens, cette personne est assez intéressante dans sa manière de travailler, de se rendre dans les familles. C’est comme çà que nous avons fait au mur et à mesure connaissance, qu’elle s’est intéressée à mon travail et moi au sien.

Illustration 4
Extrait bande annonce


Je connaissais un peu ton intervention, puisque ma femme est bénévole depuis longtemps auprès de Pia, présentée dans le documentaire. J’ai eu l’occasion parfois de visionner certaines de tes interventions. L’intérêt du film est de montrer la cohérence de celles-ci. Le débat qui a suivi à Brest t’a permis de donner des explications complémentaires. Est ce qu’on peut dire que tu interviens auprès des parents ou auprès de la personne autiste ?

On peut dire que j’interviens auprès des deux. Mais dans l’évolution, çà s’est inversé, avant j’intervenais beaucoup plus auprès de l’enfant, ce qui m’a permis d’être plus précis, de comprendre comment fonctionnait un enfant TSA. Quelles caractéristiques, un large panel et moultes expériences. Dorénavant, j’interviens plus auprès des parents, un peu avec l’enfant, mais ma priorité c’est que les parents le fassent, soient amenés à rentrer en relation. Je suis plus occupé à comment amener ces parents à pouvoir entrer en relation.

Est-ce que tes interventions donnent du répit aux parents de personnes autistes ?

Personnellement, je ne donne pas, moi, du répit. Par contre, j’essaye de les obliger à prendre du répit, dans le processus. Sinon, c’est trop compliqué, l’énergie que çà demande, l’investissement.
Il n’est possible que si les parents cherchent à se libérer un peu de cette exigence quotidienne. Moi personnellement, je le fais pour une personne en Belgique, une dame qui a un enfant de 36 ans.


J’ai été frappé par tes conseils aux parents d’économiser les paroles – paroles douces bien évidemment. Tu conseilles d’éliminer un certain nombre d’éléments dans l’environnement. Est-ce que tu t’inspires de la méthode TEACCH – visant à diminuer et structurer les sollicitations – ou est-ce que tu as des objectifs un peu – ou beaucoup – différents ?

Non, je ne m’en inspire pas. Je ne l’ai jamais bien étudiée. Sans doute qu’il y a quelques caractéristiques qui correspondent dans ce que je fais.

Tu ne penses pas qu’il faut diminuer les sollicitations pour les personnes autistes ?

Ça, je ne le pense pas que pour les personnes autistes. C’est ce quelque chose de commun à n’importe qui, n’importe quelle éducation dans le monde occidental dans lequel on vit, surtout citadin. Les méthodes TEACCH sont recommandées, ils les appliquent. En parallèle, un enfant autiste, si on regarde son emploi du temps, étant donné qu’il doit aller chez l’orthophoniste, chez le kiné, le psychomotricien, chez la psy, puis à l’école, je ne vois pas du tout l’application de cette recommandation, étant donné qu’on les balade de praticien à praticien tous les jours de la semaine. Ceux qui disent appliquer cela, dans leur propre activité, l’enfant est soumis à un emploi du temps et des stimulations beaucoup plus intenses.

Illustration 5

Et pour la communication alternative et améliorée ?

Je ne suis pas du tout d’accord avec ce qui est train de se passer. Là encore, derrière des enjeux économiques qui sont mis en place… on peut prendre l’exemple de l’iPad. En 2006/2007, l’iPad sort sur le marché. Apple organise très rapidement des présentations di iPad pour les publics d’adultes qui sont confrontés à l’autisme, en déployant une publicité au sujet de l’avenir que va proposer ces tablettes en terme de communication, d’outils pour communiquer et que çà va être génial. Depuis que je travaille – j’avais commencé un peu avant 2007 -, la seule chose dont je me rend compte au sujet des tablettes, c’est que çà provoque plus de troubles du comportement que de résolutions. Çà peut tenter d’être utilisées comme outil de communication, mais étant que sur une tablette, il y a plein d’autres choses. C’est un écran avec lequel le rapport se fait d’une manière un peu détachée d’un élan naturel.

Deuxième chose très importante, c’est qu’avant de mettre tous ces types de communication alternative qu’on voit sur le marché depuis pas mal d’années maintenant, qui s’enchaînent, se renouvellent, il y a une chose qui est peu avancé dans plein de méthodes, c’est comment utiliser la première communication accessible par l’être humain, c’est la communication non verbale, comment l’identifier et la déployer chez les personnes autistes. Pas grand-chose de décrit, de promu là-dedans, alors que tout est là d’office. A part dans des cas exceptionnels, s’il manque à l’enfant une partie de son corps – et encore, il y a le visage. Avant de mettre en place des outils de communication, il faut commencer à mettre en place la communication non verbale, avec le visage, le corps. En face de lui aussi, il y a des êtres sensibles qui sentent, car la communication non verbale, c’est faire sentir et ressentir. Dans un développement typique, dès l’âge de 4/5 mois, il y a pléthore de communications non verbales qui se mettent en place. Çà va se développer et être la communication majoritaire utilisée toute la vie par un individu typique. Alors, chez une personne atypique ou TSA, pourquoi ne pas développer çà, promouvoir çà ? Pourquoi s’embêter avec des outils de communication alternative qui vont d’abord demander un coût financier, puis une mise en place avec tout un tas de compétences à enseigner ? C’est comme le PECS, trouver un enfant qui l’utilise vraiment correctement, on peut s’amuser à les compter, il n’y en a pas beaucoup.

Ce sont des outils qui demandent aux professionnels de se faire former, de s’embarrasser avec du matériel, alors qu’il a quelque chose de base, la communication non verbale déjà présente et qu’il faut juste dévoiler, promouvoir, arranger pour qu’elle puisse déjà se mettre en place. Celle-ci est à l’origine de compétences autres qui s’étendent sur le plan physique et intellectuel, cognitif.

Je comprends ton argumentation, mais les outils de communication à mon avis peuvent intervenir, peut-être après … Tu interviens pour des enfants ou des adultes autistes ? Toujours à domicile ou dans un autre cadre ? De quelle façon – à domicile ou par d’autres moyens ?

J’interviens à domicile, et après j’ai des échanges à distance, avec les familles. Qui sont conditionnés par rapport à des missions que ces familles doivent faire régulièrement, avec lesquelles je crée des outils par dossiers « drive », dans lesquels je peux écrire, communiquer et on peut s’échanger des vidéos. Je filme, les familles filment, elles m’envoient des vidéos, je leur envoie des vidéos aussi pour les faire travailler aussi. Ce support vidéo est très riche, très important pour les amener à évoluer dans le processus. Cà marche plutôt bien et que je fais avec les gens qui habitent dans le Finistère. Tous les 3 mois, je me rends chez eux, et entre les 3 mois, il y a le travail à distance qui se fait tous les 15 jours en moyenne.

Je me rends aussi dans les écoles assez régulièrement, et parfois, dans des institutions en Belgique ou en France.

Est-ce que tu peux intervenir facilement dans les écoles en France ou en Belgique ?

Étant donné que l’état actuel de la prise en charge est catastrophique, les institutions, l’école sont débordées, je peux intervenir très facilement sans aucune contrepartie, sans justification. Ça arrive parfois que des écoles « contrôlent » ma venue, qui disent : est-ce qu’il a une assurance, d’où il vient, est-ce qu’il est formé ? Mais dans la majeure partie des cas, on ne me demande strictement rien, car ils sont tellement dans des situations problématiques, que quand le parent dit : « il y a quelqu’un qui va venir avec mon enfant en classe pour l’aider » , ils disent « Ok, pas de souci ». C’est très contradictoire avec les sociétés de contrôle dans lesquelles on est.

J’ai trouvé ton intervention dans une classe (maternelle, primaire?) intéressante, dans la mesure où elle semblait viser à faire accepter l’enfant autiste dans la classe. Les interventions des camarades de classe étaient très touchantes : c’était vraiment de l’inclusion. Est-ce que tu as des difficultés pratiques à intervenir dans cet environnement (en Belgique ou en France) ? Quelles sont, à ton avis, les conditions à réunir pour permettre cette intégration dans le groupe classe ? Est-ce que ton intervention va s’effriter ou a des effets pérennes ?

La question de l’effritement va dépendre du niveau de l’enfant, de quelles compétences il va pouvoir développer. Plus le temps avance dans la scolarité, cela va devenir plus difficile pour des personnes atypiques comme pour des personnes typiques, d’ailleurs, car le système est fait de telle manière qu’il vise à une élite intellectuelle et non pas à une « élite d’intelligence humaine ». Nos sociétés sont gangrenées par un fonctionnement social pas du tout optimal, où nous sommes devenus des êtres individualistes, qui vivons dans des communautés, qui nous replions sur nous-mêmes alors que le monde n’a jamais été autant mondialisé dans sa technologie.
Il y a certains enfants pour qui, sur une certaine période, çà va être intéressant. Ils vont pouvoir être amenés à interagir avec des enfants typiques de plus en plus, çà va les aider . Cà va aussi amener les enfants typiques à être confrontés à des enfants qui fonctionnent un peu différemment, et c’est assez riche dans l’échange. Mon intervention peut aider à çà.

Et il y a des interventions qui je sais ne vont pas aboutir à grand-chose, qui vont permettre un temps dans une scolarité et qui vont s’étioler car au fur et à mesure, un trou va se creuser entre le niveau qu’on attend et là où en est l’enfant.

Mais l’école n’aide pas dans sa structuration pour pouvoir intégrer les personnes en situation de handicap.

J’ai trouvé des analogies entre ton intervention et des programmes du type guidance parentale, encore peu diffusés en France, qui commencent à avoir une validation scientifique. Je n’aime pas à vrai dire le terme de « guidance parentale », qui accentue le rôle hiérarchique du professionnel par rapport aux parents qui doivent faire pourtant l’essentiel du travail au quotidien. As-tu eu l’occasion de comparer ta pratique à ces programmes ?

Je n’en ai aucune idée. Les programmes de coaching parental, de guidance parentale, je ne les connais pas. J’étudie çà à ma manière, je lis des livres sur le développement personnel des adultes, sur la communication non violente. J’utilise des outils qui vont me permettre de bien me mettre en communication avec les parents.
En fait, tout ce qui est programme avec des tableaux à remplir, avec des compétences visées et à atteindre sur une temporalité précise : je refuse de travailler comme cela, car je sais très bien et ce que j’observe, c’est que çà amène les gens dans un rapport de productivité face à l’enfant et aux parents et les empêche de saisir sur l’instant et dans leur pratique, quand ils sont dans les familles, tout ce qui se passe au moment T. Il y a comme un besoin de devoir bien identifier toutes les compétences à devoir enseigner sur un temps imparti qui détache du présent. On loupe pas mal de choses qu’il faut observer précisément pour savoir comment appliquer, réagir, aider l’enfant et le parent, savoir ce qui se passe surtout chez l’enfant. Savoir bien observer un enfant TSA demande de la concentration, d’être dans le présent, d’être là et pas ailleurs dans sa tête.

J’y ai pensé car un des outils utilisé est la vidéo, car en Grande-Bretagne, avec le NHS (système de santé national), a l’avantage d’être moins coûteux qu’un déplacement de professionnel à domicile. Mais je vois qu’il y a une différence avec ce que tu fais, c’est que ces programmes interviennent très tôt – 18 mois/3 ans. Alors que tu interviens plutôt plus tard ?

Oui, çà m’arrive d’intervenir pour des 3/4 ans. Mais … en Belgique, il y a des retards de diagnostic phénoménaux. Quand le diagnostic est posé, ce n’est pas vers moi que les équipes médicales vont orienter en premier. Pour certains, comme en Suisse, il y a le programme Denver qui est mis en place pour beaucoup de familles. Il faut voir où en l’enfant 5 ans après. Nous, avec Caroline, c’est quand même impressionnant le nombre d’enfants qui arrivent chez nous, qui ont suivi le programme ABA, programme recommandé par la Haute Autorité de Santé, et des familles qui sont démontées par la mise en place de ces programmes ABA. Je ne sais pas pourquoi, comme s’il ne fallait pas en parler, alors que c’est un réel problème.

Démontées comment ? Le délai, le temps, le coût ?

Non, dans ce que çà a enseigné à l’enfant. Ce sont des enfants qui, en terme de relation humaine, ont appris à seulement interagir, non pas pour le plaisir et l’intérêt à interagir humainement avec quelqu’un ou son parent, mais seulement pour obtenir des récompenses extrinsèques. Qui ont appris à fonctionner de cette façon là, à avoir en quelque sorte le contrôle sur leur environnement. Car ils savent très bien le contrôler grâce à ce système mis en place grâce à ce système mis en place de récompenses extrinsèques, ils prennent même le dessus parce que c’est eux qui peuvent faire du chantage, manipuler ce qui va se passer ensuite au sein de la maison. Cela donne lieu à de gros problèmes relationnels au sein des familles.

Question entre parenthèses : est-ce que tu penses que l’ABA provoque un stress post-traumatique ?

Clairement, j’ai vu des enfants qui sont traumatisés. Après, on va me répondre très régulièrement, c’est parce que les personnes qui ont utilisé cette méthode l’ont mal mis en place. Ils ne savent pas faire de l’ABA correctement. A force, je dis que s’il y a autant de personnes qui mettent mal en place les programmes ABA, ce ne sont plus les personnes qui sont coupables, c’est peut-être la méthode quand même. C’est qu’elle est trop exigeante, elle met trop les gens dans un rapport productiviste, elle met trop la pression. Et l’utilisation de renforçateurs extrinsèques est réellement un problème. Chez les personnes TSA comme chez les personnes typiques, parce que nos sociétés, nos États fonctionnent énormément avec des lois comportementales aussi, pour conditionner les gens à avoir tel ou tel comportement. On voit bien les limites.

Une des réactions du public breton a été le constat déprimant que « l’herbe n’était pas plus verte » en Belgique par rapport à la France. Compte tenu de notre situation géographique, peu de personnes autistes ont été exilées en Belgique. Je crois que l’inclusion est un peu meilleure pour la scolarisation en Belgique, comme en Italie. Mais par contre, comme en Italie, l’accompagnement des adultes autistes est aussi gravement carrent. Quel est ton point de vue ?

C’est parce que les instituts privés belges se sont ouverts, par manque de places en France. Ils ont pu ouvrir des places financés par les conseils départementaux du nord de la France, et parce que ces places étaient financées par l’agent public français, ces places étaient présentes pour des enfants français. Bien évidemment, ils font une pub pour faire croire que leur prise en charge est meilleure. Mais le premier argument est le fait qu’il n’y a plus de places à la frontière, dans le nord. De l’autre côté de la frontière, il y a des personnes mal intentionnées qui se disent qu’il y a un filon à prendre : on va obtenir de l’argent public français pour ouvrir des places chez nous. Il y a des belges qui veulent aller dedans, on leur dit « non, car ce sont des places réservées pour les français ». Ce scandale énorme est là, des deux côtés de la frontière.

Comment as-tu pu diffuser ta pratique auprès de professionnels ou d’étudiants ? Quelle a été leur réaction ?

Pour l’instant nullement, parce que je n’avais pas de possibilités, je ne suis pas quelqu’un qui a des diplômes certifiés par des formations. De toute façon, je n’ai pas cherché à le faire. Mais le documentaire, par sa diffusion, permet de donner l’idée que j’intervienne dans des écoles d’éducs. J’ai été contacté dernièrement pour aller auprès de certaines écoles, pour intervenir auprès d’un organisme qui s’occupe des enfants handicapés dans les écoles et par la suite pour aller donner une formation en mai en Suisse pour une fondation qui s’occupe principalement du programme Denver.

J’ai peur que ta pratique subtile soit très difficilement reproductible. A ton avis ? A quelles conditions ? Quelle formation ?

Moi aussi, je me le demande. On va voir comment ces hypothèses de formation vont se concrétiser et quelles routes vont suivre. Il y aussi quelqu’un qui me suit dans le travail, qui vient avec moi. Je vais lui donner quelques prises en charge que je fais. Je vais voir comment çà marche. Ça va me former à faire çà aussi. Mais ce n’est pas la première question que je me pose, je suis déjà pris énormément par mon travail.

Tu me sembles intervenir peu en institution. Je trouve cela dommage. Des SESSAD (services d’éducation spécialisée à domicile) pourraient bien intégrer cette pratique. Rien n’oblige à passer par le financement parental d’un éducateur libéral. Je pense que des services ou établissements, regroupant de nombreux professionnels, doivent être capables d’objectiver le résultat des interventions et de négocier avec les parents les objectifs de l’accompagnement. Penses-tu que ce soit possible ? Est-ce que tu penses que c’est possible d’intervenir dans une institution de façon stable, avec les pratiques que tu proposes ?

Le problème principal est que pour prétendre aujourd’hui intervenir, il faut rentrer dans un cadre institutionnel qui s’appuie sur une idéologie productiviste, de résultats, que ce soit dans l’éducation spécialisée ou l’éducation normale : c’est ce qui domine la pensée depuis pas mal de temps. Tant que çà dominera dans les systèmes d’éducation, on va droit dans le mur, car on met les gens face à une pression de rendement qui automatiquement crée des gagnants et des perdants. Tant qu’il faudra prouver que des méthodes marchent parce qu’elles sont un bon rendement – c’est comme dans l’industrie, il faut prouver qu’un médicament a un bon rendement par rapport au diabète, mais on ne réfléchit pas comment le diabète est là . On ne remet pas en question ce qui fonde les relations humaines, l’élan naturel, on veut juste combler des ratages par l’application de méthodes qui ont un bon rendement. Moi, je serai toujours en marge de çà, et çà plaira toujours ce que je fais, car quand je m’adresse aux gens et que j’explique ce que je fais, forcément, ils comprennent et ils sont touchés. Ça vient s’appuyer sur des caractéristiques qui sont propres à nous. Cà plaira toujours, mais çà n’aura pas pour l’instant pignon sur rue. On peut pas quantifier exactement ce peut apporter ce processus en terme d’atteinte d’objectifs : pas possible.

(…)

Les familles ne doivent pas se dire, comme certains professionnels : ils doivent pouvoir ne pas être soumises à ce qu’on va leur dire ou demander de faire, avoir un espace de négociation sur les prises en charge. Être entendus et écoutés beaucoup plus. Cela m’est arrivé il n’y a pas longtemps, et cela m’énerve parce que dans nos sociétés où il y a beaucoup plus de racisme, de xénophobie, de rejet de l’autre, les familles qui sont d’origine étrangère – et particulièrement du continent africain – ont tendance à se soumettre très facilement à ce que l’autorité va leur dire en injonction par rapport à leur enfant en situation de handicap. Elles n’osent pas remettre en cause ce qu’on leur demande de faire par rapport à la situation de leur enfant, alors qu’elles parfois voient dans ce qu’on leur demande de faire quelque chose qui n’est pas logique, qui va à l’encontre de leur idée, de leur culture. Mais elles se taisent, car elles ont trop peur, elles sont dans un conditionnement de soumission. Ça m’énerve particulièrement pour elles, car les « pauvres », elles ont souvent raison dans la critique qu’elles font dans ce qu’on leur demande d’appliquer, mais elles n’osent pas le dire, aller à l’encontre de l’institution.

Les parents que je connais dans le Finistère ont développé une expertise de l’accompagnement d’enfants autistes « sévères ». Ils ont utilisé les 3I, l’ABA etc. Estimes-tu que çà a été négatif ou penses-tu avoir pu t’appuyer sur la progression obtenue – quitte à modifier complètement l’accompagnement ?

C’est difficile de répondre à cette question. C’est propre à chaque enfant. Ça dépend comment on a appliqué les 3I et l’ABA. Moi, j’utilise aujourd’hui bien évidemment des principes comportementalistes. La méthode des 3I, je vois à peu près comment c’est, j’utilise aussi des principes. Je n’ai pas de chapelle au-dessus de ma tête. Je m’intéresse, je me renseigne, je lis, j’évolue aussi avec mon temps, avec ma société.

Par exemple tout le mouvement de l’école Montessori, de la méthode – tout le monde l’appelle méthode, alors que Maria Montessori ne voulait pas qu’on l’appelle méthode et elle avait bien raison, parce que çà ne doit pas être figé dans le temps, car çà doit toujours s’adapter au temps dans lequel on vit – c’est des élans de pensée qui sont nés à un moment de l’histoire, avec une certaine organisation sociale et une certaine caractéristique culturelle. Mais qui ne doit pas s’appliquer comme cela, il faut que çà prenne d’autres formes.
La seule chose à laquelle il faut être fidèle, c’est un bon sens humain, comment on sent l’autre et on se fait sentir pour être en relation de la manière la plus saine possible, pour jouir de la présence l’un de l’autre, et en faire quelque chose de constructif sur la longueur.

Maintenant, la méthode 3I, elle répond un peu plus à çà, mais il y a une certaine forme de laxisme qui laisse un peu trop l’enfant pouvoir décider de ce qu’il veut ou veut pas. Ça l’enferme aussi dans un truc où il croit que seul lui peut décider, sauf que le monde est communautaire, social, oblige de prendre en compte l’autre dans ce qu’il souhaite ou ne souhaite pas. C’est complexe à amener chez un enfant autiste. Il faut l’amener un peu à çà, à hauteur de ce qu’il est capable de comprendre.

La méthode ABA, il y a des trucs intéressants, mais quand tu commences à n’utiliser que des renforçateurs extrinsèques, cela devient des conditionnements purs et durs qui sont complètement dénués du sens de la relation humaine.

Il y a des critiques à faire, il y a des choses à prendre. Il faut être mobile dans sa tête.


1 L'interview a été réalisée par visioconférence, retranscrite par mes soins et vérifiée sur trois bouts de phrase.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.