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Billet de blog 30 juillet 2019

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Affronter la vie quotidienne: stratégies compensatoires des adultes autistes

Comment les adultes autistes arrivent à compenser dans les interactions sociales ... et est-ce que ce ne serait pas possible de simplifier cette contrainte ?

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Traduction par lulamae de "How autistic people use compensatory strategies to cope with daily life"

Par Francesca HAPPÉ, Lucy Anne LIVINGSTON, Punit SHAH, The Conversation /  26 Juillet 2019

Illustration 1
Cancan et Moulin Rouge © Luna TMG

L'autisme est souvent détecté par les médecins durant l'enfance, mais un nombre croissant de personnes sont aujourd'hui diagnostiquées pour ce trouble à l'âge adulte.

Recevoir un diagnostic tardif peut être déstabilisant, car de nombreux adultes intellectuellement capables ont déjà développé des stratégies psychologiques « compensatoires » pour surmonter leurs difficultés liées à l'autisme. Ces stratégies peuvent masquer leurs symptômes auprès des médecins, des employeurs, mais également des membres de leur famille.

Une récente étude a fait apparaître que de nombreux médecins généralistes en Grande-Bretagne doutaient de leur capacité à identifier l'autisme. Et à présent, on pense que les stratégies compensatoires sont une des principales raisons de cette difficulté à diagnostiquer les adultes.

Pourtant, il existe peu d'instructions adressées aux médecins pour reconnaître ces stratégies, et pour que les parents et enseignants puissent savoir si elles ont un impact positif. Et jusqu'ici, le plus grand nombre des preuves de l'existence de ces stratégies est resté anecdotique, issu souvent d'observations recueillies indirectement, plutôt que des expériences vécues de l'autisme. (Cela reflète la question problématique de la sous-évaluation des voix de participants et de patients dans la recherche médicale.)

Notre nouvelle recherche a exploré ces stratégies psychologiques plus en détail, et a cherché en outre à promouvoir la voix des personnes autistes qui, malgré leurs difficultés, sont déterminées à s'ajuster à une société non-autiste.

Si l'on se réfère à une collection de données en ligne à grande échelle, les adultes autistes tout autour du monde ont fait état de leurs expériences quant à l'usage de stratégies psychologiques pour s'adapter. Ils ont souvent raconté qu'ils copiaient les gestes des mains, le contact visuel et les expressions faciales des autres, et apprenaient à quel moment il fallait rire des plaisanteries qu'ils n'avaient pas comprises.

L'un d'eux dit :

Si je m'étais comporté comme cette personne là-bas, personne n'aurait pu savoir qu'à l'intérieur de moi je me battais tout seul...  Je dressais des listes mentales des choses que je devais penser à dire ou à faire.

La plupart des participants comprenaient que ces stratégies compensatoires étaient la raison principale qui empêchait le diagnostic de l'autisme durant l'enfance, et qui justifiait que les gens persistent à ignorer leurs difficultés. L'un d'eux a commenté :

Beaucoup de gens qui ne me connaissent pas bien sont apparemment surpris que je sois autiste. Pour moi, ce n'est pas un compliment, et j'ai souvent envie de réagir [en disant] : « Vous vous rendez compte de tout le fichu travail que ça demande de paraître aussi normal ? »

Des participants ont confié également que le recours à ces stratégies exigeait une lourde charge d'énergie mentale, ce qui diminuait leur bien-être mental :

Cette expérience [de compenser] vous donne l'impression de courir un marathon, alors que les non-autistes marchent tranquillement... Ca alimente mon anxiété.

Mais toutes les expériences de compensation n'étaient pas négatives. Ces mêmes techniques paraissaient aussi aider certains autistes à vivre de manière indépendante, à décrocher un emploi et à entretenir des relations :

[Grâce aux stratégies de compensation]... mes collègues et amis m'apprécient... Je n'ai pas vécu en marge, perdu et seul, comme cela aurait pu m'arriver.

Des adultes autistes ont également souligné que les personnes non-autistes pouvaient aussi développer des stratégies compensatoires pour aider à créer une société plus accueillante envers les autistes :

La communication est une voie à double sens, alors, autant je peux comprendre la nécessité de s'adapter dans certaines situations, autant les non-autistes devraient développer une compréhension et reconnaître qu'il y a un juste milieu. Ce monde n'appartient pas qu'à eux.

Des conversations bi-latérales

La recherche souligne les écarts entre les autistes adultes et la société non-autiste, avec des implications importantes pour le diagnostic de l'autisme et le regard porté par la société sur cette condition.

Les manuels utilisés pour diagnostiquer et accompagner l'autisme ne font référence aux stratégies compensatoires que rapidement, en survol. Nous espérons que nos résultats encourageront une reconnaissance formelle et un échange sur ces stratégies, pour améliorer le diagnostic et le soutien aux personnes qui ne « paraissent pas » autistes. Ces résultats alimenteront la formation à l'autisme des médecins généralistes, ce qui est un besoin urgent.

Notre recherche apporte également des pistes pour que les personnes non-autistes puissent mieux interagir avec les autistes. Réduire le bavardage social (quand on demande « comment allez-vous ? » par exemple) peut permettre réellement d'améliorer les interactions.

Cela peut paraître impoli ou maladroit, mais réduirait la nécessité pour les autistes de compenser dans des situations que sans cela ils ressentiraient comme stressantes. L'animateur radio autiste Chris Packham décrit cette expérience dans la même revue académique que notre recherche. |Traduction à suivre]

Il n'est pas sûr encore que réduire le bavardage social serait utile, aussi nous espérons diriger d'autres recherches autour de cette notion de compensation « bilatérale », en nous appuyant sur le travail de l'universitaire autiste Damian Milton.

Mais par-dessus tout, nos résultats peuvent aider les autistes à renforcer le positif et à réduire les conséquences négatives des stratégies compensatoires. Cela pourrait en retour améliorer leur qualité de vie et la cohésion entre autistes et non-autistes dans la société.

Ce récit est d'abord paru dans The Conversation. Il a été légèrement modifié pour l'adapter au style de Spectrum News.

Sources : https://www.spectrumnews.org/news/how-autistic-people-use-compensatory-strategies-to-cope-with-daily-life/


 Les témoignages des adultes autistes interrogés pour cette étude

Cognitivement éprouvant

"Penser constamment aux moyens de savoir quoi dire, comment le dire. ce que d'autres disent et ne disent pas, la connotation de chaque mot, structure de phrase, accent, le langage corporel, ainsi que tout ce qui précède combiné dans une géante matrice de pensée !"Homme, non diagnostiqué, âgé de 25 à 30 ans

"C'est toujours un make-do, peut-être comme une langue étrangère. Même bien qu'on puisse l'avoir adopté dans une bonne mesure, ce n'est jamais natif." Homme, non diagnostiqué, âgé de 31 à 40 ans

Une limite supérieure

"Je pense que je pourrais faire " tous les bons choix " dans les situations sociales si je pouvais pouvait choisir hors ligne avec plus de temps pour réfléchir et de loin, mais les situations réelles sont bien plus délicates." Homme, s'identifiant comme tel, âgé de 25 à 30 ans

 L'écart entre l'apparence et la réalité intérieure

"C'est ce qui se passe sur le plan cognitif, pas comportemental et les gens Je ne vois pas ça. C'est frustrant parce que je n'ai pas...le soutien ou la compréhension dont j'ai besoin." Femme, non diagnostiquée, âgée de 25 à 30 ans

"Nous avons beaucoup de difficultés et ce n'est pas parce que nous nous cachons elles n'existent pas pour autant." Femme, diagnostiquée, 41-50 ans

Compensation de faible profondeur

"Il y a des défauts évidents, si vous êtes observateur - je me répète ou utilise des phrases pour la télévision ou le cinéma et parfois dit des choses qui sont sorties. du contexte." Femme, diagnostiquée, 41-50 ans

Ces règles " tacites " ne s'appliquent pas toujours à tout le monde et tous les contextes. Vous devez réévaluer la situation ou même l'état d'esprit de votre enfant. la même personne tout le temps." Femme, non diagnostiquée, âgée de 25 à 30 ans

Compensation profonde

"Je pense que j'observe des schémas de comportement et que j'essaie ensuite de transférer ceci. Donc, si une personne se comporte d'une façon ou d'une autre, elle pourrait ressentir ou penser ce que les gens avaient ressenti. C'est presque un cas de stockage systématique de petits schémas chez chaque personne et le contexte, pour que je puisse m'y référer à l'avenir." Femme, diagnostiquée, 25-30 ans

Masquage comportemental

"C'est généralement plus facile d'être comme tout le monde et de ne pas se démarquer. C'est souvent plus facile d'être une autre brique dans le mur." Femme, non diagnostiquée, âgée de 25 à 30 ans

Différences individuelles

"L'adaptabilité....ma superpuissance. J'ai appris à survivre quoi qu'il arrive." Femme, s'identifiant comme telle, âgée de 51 à 60 ans

Motivation sociale

"Je désire fortement l'amitié, mais je suis consciente que je ne suis pas vraiment bonne à l'initier et encore pire à l'entretenir....malgré ma conscience, ma capacité à contrecarrer mes faibles aptitudes sociales est à la traîne. Bref, maintenant je sais que c'est moi le problème, mais je ne sais pas ce que c'est. je ne sais toujours pas comment me soigner." Femme, diagnostiquée, âgée de 31 à 40 ans

Coûts par rapport aux avantages

"Si je passe une mauvaise journée, toutes les stratégies passent par la fenêtre, la socialisation n'est plus une priorité, j'ai juste besoin d'être seule." Femme, diagnostiquée, âgée de 18 à 24 ans

Pour les autres

" La compensation naît de la nécessité. Nous avons une vaste l'expérience de la cruauté des gens." Homme, s'identifiant comme tel, âgé de 41 à 50 ans

"J'en avais assez d'avoir très peu d'amis, d'être mal-aimée et ostracisée par mes pairs et tyrannisée... J'ai finalement craqué. à 16 ans... je ne voulais pas foirer cette fois." Femme, s'identifiant comme telle, âgée de 25 à 30 ans

Exigences environnementales

"Environnement sensoriel. Il peut anéantir 100% de mes capacités d'adaptation. d'énergie en quelques instants." Femme, diagnostiquée, 51-60 ans

"Je me perçois aussi comme plus habile à l'âge adulte parce que j'ai passé la majeure partie de ma vie d'adulte au Royaume-Uni. Réglementation et  normes sociales sont différentes ici....un ajustement beaucoup plus facile pour beaucoup de gens sur le spectre, parce que certaines des choses qui viennent le plus souvent naturellement pour nous sont valorisées dans la culture britannique - une certaine quantité de réserve, réticence, ne pas traiter toutes les personnes que vous rencontrez instantanément comme un ami." Femme, diagnostiquée, 25-30 ans

L'interaction est bidirectionnelle

"Je] donne des opinions éclairées sur une question d'intérêt pour mon interlocuteur au lieu de bavardages... Je suis coincée quand je rencontre des gens qui n'ont aucun intérêt et des extravertis extrêmes." Femme, diagnostiquée, 41-50 ans

"Avec des personnes autistes, qui parlent ma langue... fantastiquement bien la plupart du temps. Ou avec une personne qui n'est pas autiste. des gens qui sont très à l'aise sans beaucoup de contact visuel et d'insignifiance sociale, alors ça ne me dérange pas d'être moi. N'importe quand Je dois faire semblant, c'est épuisant, inauthentique, et finalement inutile." Femme, diagnostiquée, 51-60 ans

Diagnostic tardif

"Le gros problème s'est posé lorsque mes pairs se sont mis à postuler un emploi et à vivre dans le monde réel. Je savais que je ne pourrais jamais travailler comme garçon de bureau, encore moins comme consultant en gestion." Homme, s'identifiant comme tel, âgé de 41 à 50 ans

 "Nous supposons un aspect tout à fait normal en voyant notre médecin généraliste....l'enregistrement vidéo est le seul moyen pour un médecin généraliste d'être témoin de ce que les autres personnes voient." Homme, s'identifiant comme tel, âgé de 41 à 50 ans

Avait l'air trop normal

"Je pense que je suis "f***ed" de toute façon....parce que les gens pensent que je peux prendre plus de leurs s*** si je compense que je ne peux réellement."  Femme, diagnostiquée, âgée de 31 à 40 ans

"Beaucoup de gens qui me connaissent"Beaucoup de gens qui me connaissent m'expriment superficiellement leur surprise que je sois autiste. Je ne le prends pas comme un compliment et j'ai souvent envie de répondre par "Vous réalisez à quel point c'est dur de paraître aussi normal ?". Femme transgenre, diagnostiquée, 41-50 ans

Santé et bien-être

"J'ai planifié trois méthodes pour mon propre suicide... J'ai perdu de grandes personnes dans ma vie et détruit des carrières et des relations antérieures. Tout ça, c'est pour compenser." Homme, diagnostiqué, âgé de 25 à 30 ans

"Le pire aspect de mes techniques de compensation est qu'elles fonctionnent sur la base du fait que je ne suis pas bon dans un environnement social et qu'en mettant en pratique mes techniques de compensation, je renforce cette idée que je suis mauvais pour la socialisation et [cela] diminue ma confiance." Homme, non diagnostiqué, âgé de 18 à 24 ans

Un rôle dans la société

"Cela réduit la douleur et me rend employable. ...Ne pas compenser rendrait la vie plus malheureuse pour moi et ceux avec qui je force à interagir avec moi." Homme, s'identifiant comme tel, âgé de 41 à 50 ans

"Il me reste peu d'énergie à la fin de la journée de travail, je n'arrive pas à faire le ménage de ma maison ou à me nourrir. C'est dur de m'imaginer en mère....ce n'est pas parce que je ne suis pas compétente." Femme, diagnostiquée, âgée de 31 à 40 ans

Soi et relations sociales

"L'incapacité de masquer ou de compenser au-delà des étapes initiales d'une relation ne m'a jamais permis de développer le capital social dont tout le monde a besoin pour réussir." Homme, diagnostiqué, âgé de 31 à 40 ans

"J'ai l'impression d'agir la plupart du temps et quand les gens disent que j'ai une caractéristique, je me sens comme un imposteur parce que j'ai fait apparaître cette caractéristique." Femme, non diagnostiquée, 41-50 ans

Les choses vont mieux maintenant.

"Avec rémunération, j'ai un travail où les gens respectent mon travail et me demandent mon aide et mes opinions... Mes collègues et amis m'apprécient... Je ne vis pas sur le fil du rasoir, perdue et seule, comme je l'aurais pu. J'ai été super super super chanceuse." Femme, non diagnostiquée, âgée de 31 à 40 ans

L'équilibre est la clé

"Je suis plus honnête avec moi-même et les autres et je limite mes interactions pour me maintenir en bonne santé mentale et donc physique. J'ai plus d'énergie pour bidouiller le monde parce que j'en déforme moins." Homme, diagnostiqué, âgé de 25 à 30 ans

Un défi permanent

"Je n'ai toujours pas d'indice sur ce que je peux faire pour l'améliorer. Je suis plus seul que jamais." Homme, s'identifiant comme tel, âgé de 41 à 50 ans

Source : pp 6-7 de Compensatory strategies below the behavioural surface in autism: a qualitative study


A suivre : traduction du témoignage de Chris Packham: How are you?

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